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Harcèlement à l’école : « des généralisations hâtives » - Hubert Montagner, Mediapart, 19 avril 2011

lundi 25 avril 2011

Alors que le Ministère de l’éducation nationale organise les 2 et 3 mai 2011 des assises nationales du harcèlement à l’école, Hubert Montagner, ancien Directeur de l’Unité Enfance inadaptée l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM), affirme qu’il n’existe « aucune étude scientifique sur les conduites que l’on qualifie d’agressions, en particulier le harcèlement » et dénonce un « nouvel arbre sécuritaire ».

Le débat sur la violence des enfants à l’école vient d’être relancé par l’annonce du Ministre de l’Education Nationale de créer un conseil scientifique sur le harcèlement à l’école et par l’organisation les 2 et 3 mai 2011 d’assises nationales du harcèlement à l’école. Le harcèlement à l’école (« school bullying ») est ainsi reconnu de facto comme une violence majeure à l’école et comme un champ scientifique. On ne s’y prendrait pas autrement si on voulait détourner l’attention de l’opinion publique de la situation réelle de l’école et des écoliers. On ne s’y prendrait pas autrement si on voulait occulter les conséquences désastreuses des mesures imposées par le Ministère de l’Education Nationale depuis trois ans (réduction du nombre de postes d’enseignants, extinction à terme des Réseaux d’aides spécialisées aux élèves en difficulté (RASED), fermetures de classes, regroupement d’écoles, augmentation de l’effectif d’enfants par classe, pseudo-évaluations discriminantes, cursus de formation des enseignants « insensé », « rythmes scolaires » aberrants, alourdissement des journées scolaires avec le poids augmenté des apprentissages dits fondamentaux, aide personnalisée aux enfants en difficulté scolaire à des moments de moindre réceptivité et disponibilité...).

Quel est le sens et quelle est la signification du glissement de l’attention, des annonces et des initiatives vers le harcèlement à l’école ? Que faut-il entendre par harcèlement à l’école ? Issu essentiellement de recherches québécoises, le vocable de « bullying » (ou « school bullying ») a été brusquement mis au goût du jour en France par le rapport controversé de l’INSERM sur la « détection » des jeunes enfants susceptibles de devenir violents à l’adolescence. On pourrait donc penser qu’il recouvre un phénomène majeur qui pourrait nous éclairer sur la violence à l’école.

En fait, pour un observateur des conduites enfantines, il s’agit d’une conduite difficile ou impossible à définir, parfois inquiétante, souvent mineure, ambiguë et ambivalente, comme le montrent les films réalisés dans des cours de récréation. En effet, dans les interactions entre enfants (ou adolescents), il est difficile ou impossible d’établir une différence claire entre ce qui relève de comportements psychologiquement dommageables pour le(s) partenaire(s), réellement vécus comme des agressions par les « harcelés » et/ou les « spectateurs », réellement anxiogènes, inquiétants et/ou angoissants, et ce qui « nourrit » les « chahutages », rodomontades, postures ou taquineries ordinaires qui mêlent provocations, « effets de manche », « bourrades ludiques », et même complicité ou « cinéma » (chacun sait que, dans certaines activités ludiques, les enfants simulent, exagèrent ou mettent en scène des « rapports de force » imaginaires ou des agressions factices), en tout cas dans la plupart des interactions « ordinaires ».

Pourtant, en se fondant sur des propos d’enfants, on veut nous faire croire que les conduites de harcèlement représenteraient environ 10% des interactions avec les « pairs », sans même prendre la peine de les définir et d’expliquer comment, avec quelles démarches et méthodes, avec quelles « populations », dans quels lieux, situations et contextes, ce chiffre est obtenu, et aussi dans quel cadre (scientifique ?) et avec quel(s) objectif(s). C’est une affirmation qui recueille logiquement un certain écho chez les parents quand leur enfant a mal vécu et/ou vit mal les pressions des pairs qui l’écartent, le rejettent, ou le conduisent à se laisser déposséder de ce qui lui appartient. Ils peuvent alors considérer cette conduite comme un racket. Il arrive par exemple qu’ils disent ce qu’on peut résumer par « je lui achète sans arrêt de nouveaux stylos, ciseaux... car il (ou elle) les abandonne sous la pression », ou encore « il (ou elle) abandonne son goûter, son chocolat... à x ou y sous la menace ». Il est évidemment légitime que de tels comportements suscitent l’indignation, la colère et/ou la révolte des parents. Pourtant, il s’agit le plus souvent de « tracasseries » et d’abus faciles à régler par le dialogue entre les parents, l’enseignant et les enfants concernés (le « harceleur » et le « harcelé »). Pourquoi en faire un drame ? Le school bullying permet-il d’apporter un éclairage pertinent sur la violence scolaire ou autre ?

Les conduites qualifiés de violences ne se réduisent pas au school bullying que des psychologues québécois essaient d’exporter en Europe après avoir essayé de le faire en Amérique du Nord. C’est le petit bout de la lorgnette des violences et souffrances subies et « exprimées » au quotidien par les enfants et les adolescents en difficulté dont la famille est elle-même en difficulté quand elle cumule la maladie et la pauvreté persistantes, la marginalité sociale, le chômage ou sa perspective, les conflits, les agressions et ruptures intra-familiales... S’agissant des interactions au sein des groupes de pairs, et avec les autres partenaires plus jeunes ou plus âgés, elles sont extraordinairement diversifiées, complexes, mouvantes et évolutives. Bien évidemment, elles ne se limitent pas aux phénomènes de harcèlement ou perçus comme tels. Pourquoi faudrait-il se focaliser sur ces conduites, qu’elles soient réelles, supposées, bien ou mal interprétées ? Sous quelle(s) forme(s) se manifestent-elles et quelle est leur fréquence réelle, à quels moments ou circonstances, et dans quels lieux ? Caractérisent-elles certains enfants ?

En effet, les enfants les plus « bullyistes » (« harceleurs ») peuvent avoir des conduites affiliatives parfaitement lisibles, fonctionnelles et non dommageables, par exemple la coopération et l’entraide, selon le contexte, la situation, les partenaires, l’environnement, les expériences individuelles, le vécu... J’ai vu des enfants réputés « bullyistes » dont les conduites affiliatives « prenaient le pas » sur les conduites agressives, y compris le harcèlement perçu comme tel, dès lors que certaines conditions étaient réunies. C’est évident pour les plus jeunes dans la cour d’école maternelle (voir les publications et les milliers de vidéo-cassettes accumulées au cours des recherches).

On fait comme si on connaissait bien les violences des enfants à l’école, en particulier celles que l’on qualifie de harcèlements. Beaucoup en parlent... pour occuper le terrain politique, médiatique ou autre. Il faut considérer l’ensemble des publications scientifiques sur les interactions entre enfants, et pas seulement sur le school bullying, c’est-à-dire celles qui sont parues dans des périodiques à comité de lecture, c’est-à-dire jugées et validées par des pairs ? Un nombre très limité fait référence à ce « phénomène », essentiellement et sélectivement « décrit » en Amérique du Nord. En outre, il ne suffit pas de rapporter des anecdotes ou des faits spectaculaires, même à partir de consultations cliniques bien menées et/ou de faire du populisme ou de la démagogie en s’abritant derrière la souffrance réelle ou supposée des enfants harcelés, celle de leurs parents, et aussi celle des enseignants dont beaucoup ne supportent pas les phénomènes qu’ils interprètent comme des harcèlement.

Si on veut réellement mieux appréhender les conduites des enfants, on ne doit se priver d’aucune approche (développementale, pédagogique, psychologique, psychophysiologique, sociologique, anthropologique, systémique...). En outre, je ne vois pas comment on pourrait comprendre « le phénomène et son ampleur » (écrit récent d’Eric Debarbieux) en se limitant au milieu scolaire. Il est évident que les conduites d’un enfant ou d’un adolescent sont influencées par ce qu’il a vécu et/ou ce qu’il vit dans le milieu familial, par les rythmes de vie et de travail de ses parents, par les conditions d’habitat, par les interactions sociales en dehors de la famille et de l’école... ou même par les déficits de sommeil ou les troubles du rythme veille-sommeil et bien d’autres facteurs.

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Voir en ligne : http://blogs.mediapart.fr/edition/l...