Accueil > Revue de presse > Jack Lang : "Pour la droite, l’école est un fardeau et une charge" - Le (...)

Jack Lang : "Pour la droite, l’école est un fardeau et une charge" - Le Monde, 3 novembre 2011

jeudi 3 novembre 2011

Propos recueillis par Mattea Battaglia et David Revault d’Allonnes à lire ici

Ancien ministre de l’éducation, le député PS du Pas-de-Calais Jack Lang revient sur les engagements du candidat socialiste, François Hollande, en matière de politique éducative.

Est-ce une erreur d’avoir proposé de créer 60000 postes dans l’éducation sur cinq ans, comme l’a fait François Hollande ?

Tout au contraire. Cet engagement clair et fort sera ratifié par les Français. François Hollande est le seul candidat qui, courageusement, prend le taureau par les cornes.
La droite est coupable d’un double saccage du paysage éducatif. Quantitatif d’abord : 150 000 postes supprimés en dix ans, soit 15 % des effectifs de l’éducation nationale.

Les médecins de Molière sont au pouvoir : ils croient à la thérapie de la purge. L’école est malade ? Amputons-la… Jamais, dans l’histoire de la République, une telle saignée ne lui avait été infligée.

Le saccage est également qualitatif, avec la multiplication des classes surchargées, le massacre de la formation des enseignants, la recrudescence des violences, la hausse de l’échec scolaire… Le plan pluriannuel de recrutement et de formation de François Hollande sera le levier d’une véritable révolution éducative.

La proposition était-elle improvisée ?

Absolument pas. C’est une volonté réaffirmée à plusieurs reprises depuis la rentrée scolaire. Tel un roc, le plan sera maintenu contre vents et marées. Il sera le symbole de la détermination absolue de notre candidat à engager une transformation profonde de l’école.

L’UMP dépeint François Hollande en "irresponsable". Cette proposition des 60000 embauches va-t-elle devenir le "péché originel" de sa campagne ?

Que le candidat Hollande place l’école au cœur de tout est une vertu, non un péché ! Le président Obama, confronté au sujet de l’école à la même critique des républicains, répond avec force : "Il faut choisir entre l’enrichissement des milliardaires et l’enrichissement de l’école." Comme lui, nous choisissons l’école.

Quand le président de la République dit qu’il veut construire 30 000 ou 40 000 nouvelles places de prison, personne ne proteste. Et lui, où trouve-t-il l’argent ?

Peut-on augmenter de 60 000 le nombre de professeurs sans augmenter ni le nombre total de fonctionnaires ni la masse salariale de l’État ?

L’effort ne s’accomplira pas en un jour. Des redéploiements s’effectueront sur toute la durée de la mandature. Le plan de François Hollande est en vérité raisonnable : 60 000 recrutements en cinq ans, principalement des professeurs mais aussi des personnels non enseignants, alors que 77 000 emplois d’enseignants ont disparu en cinq ans, et 150 000 en dix ans.

A quel rythme rétablir les postes ?

Le plan pluriannuel permettra de recruter chaque année 40 000 personnes. 28 000 correspondront au remplacement des fonctionnaires partant à la retraite, 12 000 seront les nouveaux emplois proposés par François Hollande.

Comment financer ces 60 000 embauches ?

Chaque année, un crédit de 500 millions d’euros sera ouvert, une goutte d’eau dans le budget. Sur cinq ans, la somme totale sera de 2,5 milliards d’euros. Rien à voir avec les 7,5 milliards inventés par Luc Chatel en contradiction avec le droit budgétaire. Illusionniste en chef, l’actuel ministre est capable de vendre du sable dans le désert.

Les 3,5 milliards d’euros en faveur de la restauration assureraient aisément le financement de ces nouveaux postes. N’oublions pas non plus les 90 milliards de niches fiscales considérées comme inefficaces par l’inspection des finances.

Au-delà des chiffres, ce sont deux visions de la société qui s’affrontent. Pour la droite, l’école est un fardeau et une charge. Pour la gauche, l’école est une chance.

Xavier Bertrand soutient que François Hollande et ses amis sont "très embarrassés par cette promesse inconsidérée". Est-ce exact ?

Nous sommes fiers et heureux que notre candidat soit porteur d’une ambition éducative aussi élevée. Et je le répète, loin d’être inconsidéré, cet engagement est relativement modeste.

Au-delà de la logique comptable, quels chantiers faut-il engager pour une école plus démocratique ?

La formation des maîtres est à réinventer. C’est le socle du système. Ne pourrait-on pas concevoir que le diplôme du master consacre trois années de licence et deux années de formation disciplinaire et pratique ? Pourquoi les futurs professeurs seraient aujourd’hui moins bien traités que les futurs magistrats ou les futurs hauts fonctionnaires qui bénéficient d’au moins une année d’apprentissage professionnel ? On pourrait imaginer une Ecole nationale supérieure de formation des maîtres, à l’image de l’ENA ou de l’École nationale de la magistrature.

N’est-il pas hypocrite d’affirmer qu’on embauchera 12 000 enseignants par an quand on sait que les candidats aux concours manquent déjà ?

Le gouvernement actuel a détourné les jeunes de l’enseignement et installé la fonction d’enseignant dans le mépris. Les professeurs, confrontés à la dislocation des familles, à l’apartheid social, aux violences et aux incivilités, n’ont été ni épaulés ni pleinement reconnus dans leur dignité intellectuelle. D’où cette spirale négative.

Une dynamique positive contribuera à attirer les nouvelles générations d’étudiants vers ce grand et beau métier. Au demeurant, le vivier existe : 120000jeunes sont chaque année titulaires d’un master.

Faut-il revoir les rythmes scolaires ?

La semaine de quatre jours établie par le gouvernement sortant est un non-sens pédagogique. Il faut au plus vite rétablir une matinée supplémentaire d’enseignement.