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Sciences-Po : Richard Descoings s’explique sur les superbonus. Mediapart, Jade Lindgaard le 12 janvier 2012

jeudi 12 janvier 2012

C’est par une lettre extravagante adressée à ses salariés que Richard Descoings, le directeur de Sciences-Po, commence à s’expliquer sur les rémunérations des dirigeants de l’école. Pour la première fois après les révélations de Mediapart sur les superbonus des cadres de l’école ainsi que sur leur train de vie, il prend la parole pour défendre sa politique salariale, dans un email envoyé lundi 9 janvier et dont Mediapart a obtenu copie.

Dans ce texte long de deux pages, Richard Descoings semble s’amuser à un petit jeu de cache-cache concernant le montant de son salaire. « Je gagne l’équivalent, pour ne donner que deux exemples, du président de l’université de Birmingham en Angleterre et deux fois moins que le salaire le plus élevé d’un président d’université publique américaine », écrit-il. Les salariés de Sciences-Po n’en sauront pas plus sur ce sujet tabou dans la missive de leur directeur.

Pourtant, la direction de la communication de l’école dispose d’un document très instructif compilant les rémunérations des présidents d’université aux Etats-Unis, en Grande-Bretagne et au Canada. Richard Descoings n’a pas pris la peine de le transmettre à ses salariés mais il avait été remis à Mediapart en réponse à des questions sur les rémunérations du directeur de l’Institut d’études politiques (IEP).

On y lit que David Eastwood, le vice-chancelier – l’équivalent d’un président – de l’université de Birmingham a gagné environ 475 .000 euros en 2010 (392.000 £). Ce que ne précise pas la note, c’est que la révélation de cette rémunération par le Daily Telegraph en janvier 2011 avait provoqué un scandale en Grande-Bretagne, en pleine vague de hausse des frais d’inscription des facs. Syndicats étudiants et enseignants se sont alarmés de tels niveaux de rémunérations, plus élevés que le salaire du premier ministre, David Cameron (environ 173.000 euros). Depuis, David Eastwood a bénéficié d’une nouvelle augmentation, si bien qu’en 2011 il a empoché environ 508.000 euros (dont environ 446.000 de salaires et de primes). Quant à l’université publique américaine, c’est le président de la Ohio state university, E. Gordon Gee, qui était le mieux payé sur l’année 2009/2010, selon Sciences-Po, avec un peu moins d’un million d’euros.

A en croire Richard Descoings, il gagne donc autour de 500.000 euros par an, soit environ 38.500 euros brut par mois, en comptant son salaire et sa prime de résultat. Or, selon un cadre dirigeant déjà cité par Mediapart, il touche un salaire mensuel d’environ 25.000 euros brut. Depuis 2009, les salariés de la rue Saint-Guillaume bénéficient d’un 13e mois – comme le précise la lettre de leur directeur. Un rapide calcul permet ainsi d’évaluer le bonus qu’il a empoché : autour de 175.000 euros. Selon nos informations, sa prime de résultat atteignait 200.000 euros en 2010 et autour de 130.000 euros en 2009.

« Est-ce trop ? »

« Est-ce trop ? » fait mine de s’interroger Richard Descoings dans cette même missive, dans laquelle il reconnaît : « A tous les niveaux de notre fondation, les rémunérations sont très sensiblement supérieures à celles des administrations publiques de l’Etat et des universités ». A titre de comparaison, un président d’université touche entre 4.500 et 6.000 euros par mois environ.

Alors que la fondation nationale des sciences politiques (FNSP), par où passe presque tout l’argent de Sciences-Po, est majoritairement financée par l’Etat, ces niveaux exceptionnels de rémunération dans l’enseignement supérieur sont-ils justifiés ? Oui, répond son administrateur dans sa lettre, car « la profonde transformation que nous avons déjà conduite dans notre institution et qui se poursuivra dans les années à venir suppose la constitution d’équipes compétentes à tous les niveaux, motivées ».

Quels sont exactement les critères d’attribution des primes de résultat des cadres dirigeants de l’IEP ? Richard Descoings les avait listés dans une réponse écrite adressée à Mediapart en décembre dernier.

Ces critères sont : les contenus d’enseignement s’élèvent-ils en qualité ? Les diplômés s’insèrent-ils très bien sur les marchés du travail ? La FNSP crée-t-elle du pouvoir d’achat ? La progression de la masse salariale est-elle maîtrisée ? Les équipes de recherche sont-elles attractives et fécondes ? Stupéfiante énumération, qui transforme de très basiques et essentiels objectifs de management et de direction d’école en objets de substantielles gratifications.

Autre élément sur les rémunérations à Sciences-Po, Richard Descoings révèle dans sa lettre que l’écart entre les salaires les plus bas et les plus élevés est globalement important dans l’institution qu’il dirige. Dans la plupart des directions de l’école, il dépasse le rapport de 1 à 3 : de 1 à 9,3 pour la direction des études et de la scolarité, de 1 à 7,5 à la direction scientifique, de 1 à 7 à la direction de la stratégie et du développement (tenue par Nadia Marik, l’épouse de Richard Descoings). Pour le directeur de l’école, ces chiffres sont au contraire un bon signe : « Dans combien de grandes entreprises, dans combien d’administrations publiques, trouve-t-on un éventail de salaires aussi resserré qu’à la FNSP ? »

Pour le reste, Richard Descoings se dit « ému » et « choqué » par les réactions qui ont suivi la publication du montant des superbonus des dirigeants de Sciences-Po. A la veille de Noël, son adresse email avait été piratée et une fausse lettre de démission signée de son nom avait été envoyée à tous les étudiants et enseignants. « Je ne trouve pas normal, et pas bien, que des fuites sur les salaires soient organisées. »

Il devrait avoir l’occasion de s’expliquer davantage jeudi 12 janvier, date d’un comité d’entreprise très attendu par les représentants du personnel.

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