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Position de l’APLAES sur la formation des maîtres (janvier 2012)

samedi 21 janvier 2012

Le Comité de l’Association des Professeurs de Langues Anciennes de l’Enseignement Supérieur (APLAES), réuni à Paris le 7 janvier 2012, a voté à l’unanimité le texte suivant :

L’APLAES a pris connaissance en deux mois de trois textes relatifs à la formation et au recrutement des professeurs de l’enseignement secondaire. Ces textes, qui touchent ipso facto à la question des enseignements et de la recherche à l’Université, ne peuvent laisser indifférents les membres de l’APLAES, enseignants-chercheurs attachés à la mission fondatrice de l’Université et formateurs d’étudiants qui se destinent à exercer les fonctions de professeur après des études universitaires qu’ils souhaitent fortes et nourrissantes. Le « rapport Jolion » a été remis le 11 octobre au ministre de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche et au ministre de l’Éducation nationale ; les « 22 propositions » de la conférence des directeurs d’IUFM sont du mois de novembre ; enfin, le 7 décembre, a été adoptée par la commission de l’Éducation une deuxième version du rapport que lui présentait son président le député J. Grosperrin, dont la première version avait été rejetée par cette Commission en juillet. Les idées que développent ces trois contributions sont, à quelques nuances près, identiques de l’une à l’autre.

1. POINTS POSITIFS

Voici les conclusions sur lesquelles nous sommes d’accord. Dans tous les cas, il est mis en évidence, dès l’abord, que la « mastérisation » récemment imposée malgré l’opposition générale de la communauté universitaire ne fonctionne pas ; pire, qu’elle a des résultats désastreux. Il est impossible que les étudiants mènent de front la préparation au concours (épreuves disciplinaires très exigeantes), la réussite au master, la formation à la recherche, le stage en établissement scolaire avec ou sans responsabilité, la certification en informatique, la certification en LV niveau 2 ; le casse-tête des étudiants « mastérisés » mais échouant au concours est bien décrit p. 18 du rapport Jolion (avec allusion aux bricolages mis en place par différentes universités devant ces cas difficiles) et l’ensemble est bien caractérisé p. 17 (« un cahier des charges qui paraît de plus en plus intenable dans le cadre d’un master »). On ne peut que souscrire à la conséquence qui est tirée de ce constat : il faut tout reprendre, et d’urgence, les dégâts dans les universités, au niveau des masters, étant déjà considérables.

Par ailleurs, l’allongement des études qui découle de la nécessité de posséder un master pour prétendre accéder à un emploi dans l’enseignement impose évidemment de mettre en place et de développer un ambitieux système d’accompagnement social en faveur des étudiants. Cela suppose des logements, des exonérations, des bourses, peut-être un système de prérecrutement inspiré de celui des anciens IPES, et tout l’appareil complémentaire qui puisse faire que l’on arrive au terme de ces années d’études sans avoir été contraint de recourir à de multiples expédients pour échapper à la misère estudiantine. Quant à la nécessité de publier chaque année un plan quinquennal de recrutement, ce qui permettrait aux futurs candidats d’envisager avec plus de clarté leurs projets d’avenir, tout le monde la proclame. Sur ces points, l’APLAES ne peut qu’être en accord avec les constatations posées par les trois contributions.

2. POINTS NÉGATIFS

Sur le fond même de ces textes, nous exprimons nos plus expresses réserves et, sur certains points, nos vives critiques. On retrouve dans la version 2 du rapport Grosperrin (http://www.assemblee-nationale.fr/accueil-pdf/mission_formation_enseignants.pdf) les mêmes affirmations et les mêmes propositions que dans la première version que la Commission avait rejetée au début de l’été. Il faut, selon le rapport, modifier le statut des enseignants (en augmentant de manière importante leur temps de présence dans l’établissement d’exercice), car actuellement « le statut apporte plus de souffrance que de réconfort » (p. 117) à ces malheureux qui ne peuvent, « à service inchangé », exercer « toutes les activités qui rendent possibles la transmission des connaissances à un public hétérogène d’élèves » (ibid.). Il faut aussi, toujours selon le rapport, dans un délai de quelques années (dix ou quinze ; temps nécessaire pour insinuer la chose dans les esprits et venir à bout de ceux, « nombreux », « qui sont encore attachés au modèle traditionnel du concours », p. 118), « remplacer le concours par le master », « de même que la bonne monnaie doit chasser la mauvaise » (sic, p. 118) : bien lointaines (déjà…) les proclamations de Xavier Darcos en avril 2009 (http://education.blog.lemonde.fr/2009/04/, 23 avril) : « En dehors du prestige et des vertus de l’égalité républicaine qui s’attache aux concours, je ne vois pas comment une organisation qui recrute chaque année près de 15 000 personnes pourrait procéder sans avoir recours à un système aussi juste, efficace et transparent que celui des concours tels que nous les connaissons ». On en est à recommander délibérément le recrutement local d’enseignants voués à la territorialisation, en invoquant les exemples du Québec et de plusieurs pays européens. Dans l’immédiat, avant la mort des concours, il y aurait des épreuves d’admissiblité du CAPES, « à caractère académique », « en fin de licence », et des épreuves d’admission, « à caractère professionnel, en fin de master » (soit deux ans plus tard !), pour « évaluer les compétences didactiques des candidats et leur capacité à appréhender les problématiques transversales du métier et de l’école » (proposition n° 3, p. 119), car il ne saurait être question, bien sûr, que d’un master « Enseignement » (ibid., proposition n° 4). C’est que (rapport Jolion, p. 16) « ce mode de recrutement [i. e. le recrutement par concours à épreuves disciplinaires] est de nos jours totalement inadapté » et « déconnecté de l’exercice de la profession » (ibid.). L’APLAES pense au contraire que le concours disciplinaire n’est sûrement pas « totalement inadapté » à condition que l’on tienne que le travail d’un professeur consiste fondamentalement à enseigner une discipline précisément définie.

On se fait aisément une idée de la conception de la recherche universitaire que colportent les auteurs quand on lit (p. 119 du rapport Grosperrin 2) la proposition (n° 9) de « centrer le mémoire de recherche sur les stages effectués par l’étudiant ». Il paraît difficile d’avouer de manière plus nette (car il y a ici une systématisation de l’une des suggestions déjà présentées, avec un peu plus de nuance, par le rapport Jolion, p. 15 : « Pour les formations qui conduisent au Capes, il est nécessaire que le volet exercice du métier d’enseignant soit pris en compte par les équipes de formation dans les choix des mémoires de recherche ») la piètre estime dans laquelle on tient l’ensemble de la recherche scientifique disciplinaire, fondement du travail universitaire, ici jugée comme une pièce parfaitement inutile dans la construction d’un nouveau système de formation des professeurs. Ainsi donc, foin de la recherche en Lettres, histoire, philosophie, civilisations et langues anciennes et contemporaines, mathématiques, physique, sciences « dures » diverses… L’APLAES pense, tout au contraire, que la recherche disciplinaire est, dans le cadre du master, la grande formatrice du futur professeur parce qu’elle lui apprend à prendre du recul par rapport à sa discipline, toujours en évolution, en même temps qu’elle lui permet d’en approfondir les fondements et de s’assurer une haute qualification scientifique. Encore ne s’agit-il plus du seul Master, puisque (rapport Grosperrin 2 et, plus nettement encore, « 22 propositions » IUFM) c’est dès la… 2e année de Licence que l’on mettrait en place une filière « métiers de l’enseignement ». Notre Association s’insurge contre la manière dissimulée dont ces idées sont avancées, particulièrement dans les « 22 propositions » IUFM, texte dans lequel est à plusieurs reprises proclamé le caractère indispensable de la recherche dans la formation des enseignants, car elle garantit son caractère universitaire ; mais immédiatement précisé, chaque fois, qu’il s’agit de la recherche « en éducation », seule citée à l’exclusion de toute autre. On ne saurait en même temps se recommander de l’appartenance à l’Université et renier les tâches caractéristiques et fondamentales de l’Université. L’expression du rapporteur Grosperrin (entretien du 8 décembre 2011 publié sur www.lexpress.fr/actualite/societe/education), pour qui « la formation actuelle des futurs professeurs — basée essentiellement sur les savoirs académiques — ne correspond pas aux attentes de ce métier », a du moins le mérite d’être plus nette.

L’une des particularités saisissantes des contributions qui nous occupent ici est dans la façon dont elles mettent en œuvre une logique refermée sur elle-même et radicalement exclusive de toutes les réflexions qui pourraient entraver son déroulement bien huilé. Ainsi le rapport Jolion affirme-t-il que, dans le concours, la « disciplinarisation des épreuves conduit à une disciplinarisation de la formation et accroît le décalage entre concours et exercice du métier », ce qui revient à dire que plus un professeur est qualifié dans sa discipline, moins il est capable d’être professeur ; or, selon l’APLAES, c’est au contraire l’importance excessive, voire exclusive, donnée à l’évaluation de compétences « pédagogiques » d’ailleurs impossibles à tester dans le cadre d’un concours, qui rendrait celui-ci complètement déconnecté de l’exercice réel du métier. Notre Association estime que tout élève, dans le collège le plus isolé du territoire national, a le droit d’être mis en face de professeurs de haut niveau scientifique, condition essentielle de sa réussite scolaire.

S’il peut exister à côté de la formation dans les disciplines académiques une formation à leur enseignement, c’està-dire principalement une formation à la didactique de la discipline comportant également un volet de pédagogie générale (réalités du métier, gestion d’une classe, TICE, etc.), cet utile ensemble non théorisé ne saurait prendre la place de la recherche universitaire avec laquelle il ne doit pas être confondu.

3. LA POSITION DE L’APLAES

Dans ces conditions, la position de l’APLAES est la suivante :

- l’APLAES réitère son opposition absolue à la suppression des concours nationaux ;

- elle pense que les épreuves du concours doivent rester fondamentalement et très majoritairement disciplinaires, une partie des épreuves orales étant dévolue à l’évaluation de la compétence du candidat à utiliser ses connaissances disciplinaires dans le cadre des activités d’enseignement qui seront les siennes en cas de succès ;

- elle maintient que la formation à la recherche disciplinaire et par la recherche disciplinaire, dans le cadre du Master 1 et 2, est le socle fondamental sur lequel doivent se construire les aptitudes d’un futur professeur à exercer son métier et à remettre en cause régulièrement ses pratiques pédagogiques ;

- elle dit qu’à vouloir faire passer la formation dite professionnelle, certes nécessaire selon une définition claire et des limites précises, avant la formation scientifique, voire même à suggérer subrepticement la nécessité de substituer à court terme la première à la seconde, on inverse l’ordre des priorités comme tente de le faire depuis plusieurs dizaines d’années un pédagogisme déconnecté de toute réalité ;

- elle estime que la seule progression valable consiste à laisser un étudiant effectuer sereinement, jusqu’au Master compris, le cursus disciplinaire qui l’amène à posséder sans équivoque les savoirs requis par la difficulté des concours qu’elle défend — des stages de découverte du milieu scolaire pouvant du reste être organisés pendant ce cursus, comme cela se fait depuis longtemps, à condition de ne pas le perturber ; et que la formation professionnelle « lourde » doit intervenir après le succès au concours, le lauréat ayant alors le statut de fonctionnaire stagiaire et un service d’enseignement allégé ;

- elle pense qu’il faut proposer aux étudiants d’une part un cursus de master, universitaire, structuré sur l’idée de la formation à la recherche ; et en parallèle, un cycle de cours librement accessible aux futurs candidats au concours, c’est-à-dire une préparation disciplinaire au CAPES, ouverte aussi bien à ceux qui, ayant achevé leur master, pensent maintenant au concours, qu’à ceux qui se sentent les capacités de mener, au cours de l’année de M2, à la fois ce M2 et la préparation au CAPES ;

- dans les circonstances précises dans lesquelles se déroulent ces débats, elle demande à tous les candidats à la Présidence de la République de se prononcer sans ambiguïté sur les questions suivantes :
-  Feront-ils, oui ou non, table rase de la « mastérisation » ?
-  Maintiendront-ils le recrutement par un concours national à l’issue d’un Master 2 disciplinaire ?
-  Rétabliront-ils une année de fonctionnaire stagiaire avec un service d’enseignement allégé après le succès au concours ?
-  Quels dispositifs d’accompagnement social et financier envisagent-ils pour l’ensemble des étudiants se destinant à l’enseignement ?