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Stupeur de profs de physique, invités par leur rectorat à... changer de métier , Le Monde, 27 avril 2012

mardi 1er mai 2012

A lire sur le site du Monde

Dans l’éducation nationale, la "mobilité professionnelle" est encouragée... parfois un peu à marche forcée. Dans une lettre datée du 10 avril, la directrice des ressources humaines (DRH) du rectorat d’Orléans-Tours "engage vivement" les professeurs remplaçants de physique-chimie à "réfléchir à une reconversion (...) en vue d’un changement définitif de discipline, voire un autre métier".

Stupeur et colère des destinataires. "J’étais choquée. Une lettre pareille, on ne s’y attend pas du tout !", témoigne Nelly (le prénom a été modifié), jeune enseignante dans un collège d’Eure-et-Loir. Changer de métier ? "Non merci, j’aime ma profession et ma discipline."

"ÇA M’A COUPÉ LE SOUFFLE. C’EST UNE ÉNORME BÊTISE !"

La rectrice elle-même, Marie Reynier, se dit choquée. "Ça m’a coupé le souffle. C’est une énorme bêtise !" Sa DRH ne l’aurait pas consultée. D’ailleurs, cette reconversion est pour elle inenvisageable : "Je suis justement en train de concevoir des maisons pour l’enseignement des sciences qui nécessitent leur collaboration. On ne pourra pas promouvoir les sciences si on ne garde pas notre potentiel." L’impair a valu à la DRH un entretien corsé avec sa supérieure - qui lui aurait même demandé de "reconsidérer sa fonction". Elle a aussi dû s’excuser auprès des enseignants.

La DRH pensait bien faire. Car "les besoins dans la discipline des sciences physiques restent inférieurs aux ressources disponibles", dit-elle dans sa lettre. A l’origine du "surnombre", la réforme du lycée général, lancée en 2010. Du côté enseignants, les horaires de physique-chimie en classe de seconde sont passés de cinq à trois heures par semaine. En première scientifique, de six heures trente à trois heures. A cela s’ajoute la suppression de la physique appliquée dans la série sciences et technologies industrielles (STI) - qui a entraîné, dans l’académie, la formation et la reconversion de tous les enseignants de physique appliquée en professeurs de physique-chimie.

"On est trop nombreux en physique-chimie et on ne sait pas quoi nous faire faire. Donc on nous pousse à devenir profs de maths", résume Pascal (également anonyme). Dans son lycée professionnel du Loiret, cet enseignant s’est vu imposer, à la rentrée 2011, cinq heures de cours de maths. "C’est pas évident, explique-t-il. Je demande de l’aide à mes collègues. Je fais comme je peux."

"COMME SI LES COMPÉTENCES DISCIPLINAIRES N’AVAIENT AUCUNE IMPORTANCE !"

Nelly aussi a dû s’improviser professeur de maths en 2011, à raison de dix heures par semaine. "On se débrouille. Les maths ne s’enseignent pas comme la physique, estime-t-elle. Dans ma discipline, on part d’expériences pour faire passer des connaissances, alors qu’en maths, on reste dans la théorie." Sur les 104 enseignants remplaçants de sciences physiques de l’académie, 41 donnent aussi des cours de maths.

Une situation qui n’est pas propre à l’académie d’Orléans-Tours et que Daniel Robin, secrétaire général du syndicat SNES-FSU, perçoit comme "une forme de mépris : comme si les compétences disciplinaires n’avaient aucune importance !" Pourtant, rien d’illégal. Le décret de 1950 qui définit le temps de service des enseignants prévoit leur participation à un autre enseignement que le leur. Une exception qui en est de moins en moins une...

Pour Guy Barbier, du SE-UNSA, c’est la conséquence des suppressions de postes et d’une "gestion à flux tendus". "On se fiche de la qualité de l’enseignement, pourvu qu’il y ait un prof devant chaque élève !" Il n’est pas rare aujourd’hui, rapporte-t-il, de voir des profs de français donner des cours de latin. Récemment, on aurait même demandé à l’une de ses collègues : "Vous avez déjà songé à créer votre entreprise ?"

Aurélie Collas