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Les doubles licences, l’excellence à l’université, LE MONDE DE L’EDUCATION, le 27.02.2013 ; Caroline Franc

jeudi 28 février 2013

Les doubles licences ont la cote. Plébiscitées par les bacheliers ne
souhaitant pas se spécialiser dès le premier cycle, elles fleurissent
un peu partout, de nombreux établissements emboîtant le pas des
pionnières telles que Paris-I-Panthéon-Sorbonne, Paris-Ouest-Nanterre-
La Défense ou encore Lyon-II. Répondant à une demande croissante des
étudiants, ces cursus incarnent aussi la volonté des universités de
revendiquer une offre de formations d’excellence.

"FORCE DE CRÉATION"

"Les universités ont une force de création que n’ont ni les classes
prépa ni les écoles ou Sciences Po. Elles peuvent croiser les
disciplines et expérimenter toutes sortes d’alliances
", explique
Christophe Bréchet, vice-président délégué à la formation initiale et
à l’innovation pédagogique à Paris-X. "Pour des étudiants qui aspirent
à des enseignements pluridisciplinaires tout en préférant
l’environnement universitaire à celui des CPGE [classes
préparatoires], la double licence peut être une bonne alternative
",
rebondit Philippe Boutry, président de Paris-I.

A première vue, le principe des doubles licences est assez simple. Il
s’agit d’offrir la possibilité d’étudier deux disciplines différentes
au sein de la même université ou en partenariat avec un autre
établissement et d’obtenir à l’issue des trois ans deux diplômes
distincts, en droit et en anglais par exemple, en maths et en
physique, en sciences et en sciences politiques, etc. Toutefois,
plusieurs modèles coexistent et les terminologies varient, semant
parfois le trouble.

DEUX DIPLÔMES À L’ARRIVÉE

Ainsi, une double licence - deux diplômes à l’arrivée - ne doit pas
être confondue avec un autre type de dispositif : la licence bi- ou
pluridisciplinaire. Dans ce cas, la formation intègre plusieurs
disciplines dans sa maquette mais ne conduit à la délivrance que d’un
seul "parchemin". Un exemple emblématique, la licence Humanités de
Paris-Ouest-Nanterre. S’adressant à de solides lycéens, capables de
suivre 26 à 30 heures de cours par semaine, ce cursus en lettres et
sciences humaines prévoit une spécialisation progressive de
l’étudiant, qui choisit, en troisième année, une option lui permettant
de se spécialiser en fonction de la poursuite d’études visée en master.

Attention, qui dit engouement dit aussi parfois dérives, certains
établissements affichant des cursus pluridisciplinaires qui n’en ont
que le nom, avec une seconde matière tout juste effleurée... en
troisième année. D’où ce conseil de Christophe Bréchet aux étudiants
tentés par la formule : "Ne pas s’en tenir à un "label bi-licence",
qui recouvre des réalités très disparates, mais voir concrètement en
quoi consiste le cursus, son volume horaire, l’encadrement proposé.
"
Prendre garde également aux formations dispensées sur plusieurs sites
qui peuvent faire perdre du temps en transports alors même que la
charge de travail est intense. Suivre deux licences à la fois n’est en
effet pas de tout repos, témoigne Chloé, en bi-cursus, arts et
lettres, à Paris-Diderot. "J’ai près de 25 heures de cours par
semaine, et parfois presque autant en travail à la maison. Le rythme
est dense !
" Pas de regret néanmoins, "tant l’ensemble est passionnant".

INVESTISSEMENT ET MATURITÉ

"Il est en effet demandé aux étudiants un investissement plus
important, ainsi qu’une certaine maturité. Bien que bénéficiant
d’aménagements horaires, ils doivent fournir plus d’efforts que les
autres et passer d’une matière à l’autre dans la même journée
",
confirme Fabrice Chemla, vice-président chargé de la formation à
l’université Pierre-et-Marie-Curie (UPMC). Pas évident de mener par
exemple de front les calculs vectoriels et l’histoire de la
philosophie moderne. S’il est difficile, explique-t-il, d’avoir une
idée précise du type de poursuite d’études de ces doubles diplômés en
raison de la jeunesse de beaucoup de ces cursus, "nul doute que leurs
facultés d’adaptation et leurs multicompétences sont un atout pour la
suite, que ce soit en master ou sur le marché du travail
".

DES RECRUES TRIÉES SUR LE VOLET

Une impression confirmée par Aurélie, passée par une formation "Droit
français-droit allemand
" à Nanterre et aujourd’hui juriste en droit
social et de la santé. " Je constate tous les jours qu’il est demandé
aux jeunes recrues de posséder des connaissances complémentaires :
commerce et droit, droit et économie...
" Si elle ne se sert pas
nécessairement de l’allemand dans le cadre de son travail, elle est
convaincue que ce cursus lui a "ouvert l’esprit".

Quelle que soit leur dénomination, ces licences un peu particulières
ont pour la plupart un point commun : leur sélectivité. Les
établissements n’hésitent pas à trier leurs recrues sur le volet,
invoquant des contraintes de place ou la nécessité d’avoir les reins
assez solides pour suivre ce type de parcours exigeant. "Pour notre
double licence Histoire et sciences politiques, nous recevons près de
4 500 demandes - même si toutes ne la placent pas en premier choix -
pour une petite centaine de places. Sachant que la charge de travail
est réellement plus élevée, nous n’avons pas d’autre alternative que
d’examiner les dossiers pour identifier les étudiants les plus motivés
et à même de suivre le rythme
", explique Philippe Boutry.

Parfois, les doubles licences ne figurent même pas sur le portail
Admission post-bac. Leur réputation n’étant plus à faire, c’est par le
bouche-à-oreille que l’information se transmet aux bacheliers.
"Certains responsables de ces cursus vont démarcher en direct auprès
des élèves des grands lycées parisiens
", glisse un vice-président
d’université. Incompatible avec le principe d’égalité d’accès à
l’université ? "Il y a un certain flou, c’est indéniable", reconnaît
Gilles Roussel, président de la commission formation et insertion
professionnelle à la Conférence des présidents d’université et de
l’université Paris-Est-Marne-la-Vallée. "Il faut que les
établissements ne limitent pas leur offre à ce type de licences, et ne
ferment pas la porte aux autres étudiants.
"

Pour Christophe Bréchet, "quelques cursus sélectifs ont leur place
dans l’offre de formation des universités, parce qu’ils sont plus
lourds. A condition que l’accès soit encadré, se fasse dans la
transparence et que les universités n’oublient pas leur mission
première : accueillir tous les bacheliers et favoriser leur réussite.
Il est légitime que les universités, dans le cadre de leur autonomie,
proposent des cursus répondant aux attentes de tous les lycéens, des
plus fragiles aux plus forts
". Mais selon lui, le système n’est
viable, sur le long terme, que si chaque université propose une
palette diversifiée de formations, sans déléguer aux autres
universités le soin de former les bacheliers les plus fragiles.
"L’enseignement supérieur est déjà à deux vitesses, entre les
universités aux tarifs réglementés et les écoles dont les frais
d’inscription s’envolent. On ne peut pas prendre le risque de créer
des universités à deux vitesses
", alerte-t-il.

UN FACTEUR DE STIMULATION

"Il n’y a pas d’un côté les bons étudiants en double cursus et les
autres en licence monodisciplinaire
, défend Philippe Boutry. Nous
voyons plutôt cela comme des parcours différents, sans que les uns
soient meilleurs que les autres.
" En pratique, les jeunes suivant des
bi-licences cohabitent avec leurs camarades des licences simples dans
de nombreux cours, ne bénéficiant pas ou peu d’enseignements
spécifiques mais essentiellement d’aménagements horaires et d’un
encadrement renforcé.

Fabrice Chemla voit d’ailleurs dans ce mélange un facteur de
stimulation pour les autres étudiants. "Ils ont la preuve qu’il est
possible d’en faire plus.
" A la rentrée 2013, toutes les licences de
l’UPMC seront construites sur un principe d’une majeure et d’une
mineure, afin de permettre des études bi-disciplinaires au plus grand
nombre. Paris-Ouest-Nanterre annonce également pour 2014 de nombreuses
"associations inédites", à l’instar d’autres établissements qui
planchent sur de nouvelles offres multi-thématiques. Qui a dit que
l’université ne savait pas se renouveler ?

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