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Ecole : l’échec du modèle français d’égalité des chances, par Maryline Baumard, Le Monde, 12 février 2010

jeudi 11 février 2010

En matière d’éducation les apparences sont parfois trompeuses. Les récentes discussions sur l’ouverture sociale des grandes écoles - via un quota imposé de 30 % de boursiers - ne contribuent pas forcément à faire avancer l’égalité des chances. En détournant le regard, elles feraient même oublier que le système éducatif français est un des plus inéquitable de l’OCDE ; qu’au fil d’une scolarité, les inégalités entre les classes sociales se creusent et que sur ces dix dernières années les enfants les plus défavorisés n’y acquièrent plus le socle minimum.

Dans Les Places et les chances (un livre à paraître le 11 février, au Seuil), le sociologue François Dubet interroge le modèle français qui consiste à panser ici ou là les plaies de l’inégalité, plutôt que de penser une société plus égalitaire. A ses yeux, il existe en effet deux grandes conceptions de la justice sociale. La première passe par l’égalité des places, la seconde par l’égalité des chances. L’égalité des places vise à réduire les inégalités de revenus, de conditions de vie entre les cadres et les ouvriers. L’égalité des chances maintient, elle, intacte le cadre social mais tente de donner des chances de mobilité aux plus méritants des classes défavorisés.

Au fil du temps, l’école devient de plus en plus inégalitaire. Les acquis en lecture des élèves de CM2 analysés sur vingt ans montrent que le score des enfants d’ouvriers a été divisé par deux entre 1997 et 2007. Alors que celui des fils de cadres a légèrement progressé.

Au fil de son argumentaire, le sociologue observe que les initiatives qui permettent d’offrir un ascenseur social à une toute petite frange des "mal-nés" - tels les conventions Sciences Po, les cordées de la réussite dans les grandes écoles - autorisent en fait à laisser sur le bord de la route le gros des troupes. Ce que ne démentent pas les dernières statistiques. Sur dix fils de cadre entrés au collège en 1995, huit étaient encore étudiants dix ans après et un seul avait arrêté ses études sans avoir obtenu le bac. Sur dix enfants d’ouvriers en revanche, trois sont dans le supérieur quand la moitié a quitté le système sans le bac.

Or ces difficultés-là irradient dans toutes les disciplines, y compris les mathématiques, où un libellé mal compris devient un problème raté. Une aide individuelle a bien été instaurée - idée chère à Nicolas Sarkozy - et les programmes du primaire recentrés sur les fondamentaux, mais dans le même temps l’école primaire est passée à quatre jours par semaine. Ce qui affecte les enfants aux savoirs les plus fragiles.

Au cours d’une scolarité, les inégalités se creusent. Mises en place en 1982, dépoussiérées plusieurs fois depuis, rebaptisées ambition-réussite en 2006, les zones d’éducation prioritaires - pensées pour "donner plus à ceux qui ont moins" - sont en faillite. Dans les 254 collèges ambition-réussite (soit les plus difficiles), remplis aux trois quarts par des enfants d’ouvriers ou d’inactifs, un quart n’y maîtrise pas les compétences de base en français à l’arrivée et un sur deux à la sortie, selon les données de la dernière livraison de l’état de l’école.

"Les inégalités s’accroissent au fil des études parce qu’elles sont cumulatives", regrette la chercheuse Marie Duru-Bella. L’ouverture de la carte scolaire, qui permet à quelques-uns de choisir leur établissement, déstabilise un peu plus les collèges à l’équilibre déjà très instable. Selon une étude de la direction de l’enseignement scolaire faite à la rentrée 2008, 73 % de ces 254 collèges avaient perdu des élèves.

Les inégalités sociales sont plus fortes que chez nos voisins "En France, un lycéen de milieu défavorisé a deux fois moins de chances d’entrer dans l’enseignement supérieur que s’il avait grandi en Espagne ou un Irlande", précise Eric Charbonnier, le responsable, pour la France, de l’étude de l’OCDE baptisée Pisa. "Ici un lycéen a déjà 4,3 fois plus de risques d’être en échec à 15 ans s’il est issu d’un milieu social défavorisé que s’il fait partie des classes supérieures. La moyenne des pays de l’OCDE est de trois fois", rappelle le chercheur.

L’égalité des chances aurait-elle failli ? De ces bilans ne se prévalent ni la droite ni la gauche. Depuis quelque temps, les cartes se brouillent, d’ailleurs. Et à deux ans de l’échéance présidentielle, le débat ne se pose plus dans les termes habituels. Comme le rappelle François Dubet, "la droite porte aux nues l’égalité des chances, la gauche est comme tétanisée : (...) elle n’a rien à lui proposer". Un constat qui autorise le chercheur à interpeller directement la gauche, estimant que "l’égalité des places pourrait constituer l’un des éléments de sa reconstruction idéologique".


Voir en ligne : http://www.lemonde.fr/societe/artic...