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Les classes préparatoires, intolérable exception ou modèle possible de l’enseignement supérieur ?, par Frédéric Munier, Le Monde, 11 février 2010

vendredi 12 février 2010

Il ne se passe pas une semaine depuis la rentrée universitaire sans que les médias se fassent l’écho de la crise de notre système d’enseignement supérieur. En cause, les classes préparatoires et les grandes écoles, temples supposés de l’élitisme et de tous les conservatismes. Le débat soulevé est trop important pour être traité comme il l’a été jusqu’à présent. Il est urgent de dépassionner ces questions en les abordant de front et le plus pragmatiquement possible.

Examinons d’abord les critiques faites le plus couramment aux "prépas". Leur coût, d’abord. Un élève des classes préparatoires "coûte" environ 13 880 euros par an, contre 8 970 pour son homologue de l’Université, soit 50 % de plus. Encore faut-il savoir à quoi correspondent ces chiffres. Ils sont calculés sur la base d’une division entre le budget alloué et le nombre d’élèves déclaré. Or, autant les déperditions sont marginales en "prépa", autant elles sont fortes à l’Université, surtout dans le premier cycle, où les taux d’échec avoisinent les 40 %. Si l’on recalculait ces sommes sur la base du nombre réel d’étudiants, présents au mois de janvier par exemple, il faudrait notablement relever le coût unitaire de l’enseignement universitaire. Quant au reste, il s’explique par des raisons mécaniques, notamment par le grand nombre d’heures de cours dispensées en "prépa" devant chaque étudiant (environ trente heures par semaine) ainsi que par le système des colles, ces interrogations orales dont le rythme est très fréquent. Ce puissant outil pédagogique – que ses critiques caricaturent en bachotage tant ils ont oublié combien la formation supérieure avait besoin de solides piliers – a un prix, mais il permet d’obtenir d’étonnants résultats : acquisition régulière des connaissances, apprentissage de l’autonomie intellectuelle, meilleure maîtrise de la parole, etc. Au fond, le système coûte par ce qu’il est vertueux : densité des enseignements, évaluation fréquente et intellectuellement exigeante. Faudrait-il supprimer ce qui marche ou plutôt s’en inspirer ?

L’autre reproche le plus courant relatif aux classes préparatoires et, a fortiori, aux grandes écoles est leur élitisme social. La preuve en serait que les enfants des classes populaires y sont moins représentés que dans les années 1950. Paradoxe si l’on pense qu’à l’époque les lycées n’admettaient que 5 à 10 % d’une classe d’âge, contre 60 % aujourd’hui. A moins que, précisément, la massification et la baisse du niveau d’exigences qui l’a accompagnée n’aient produit cette situation. Car, plus les exigences baissent, plus les enfants des classes populaires en pâtissent ; leur milieu familial ne peut en effet pas compenser la perte des savoirs et des savoir-faire enseignés à l’école par le passé, notamment dans le domaine de la culture et de la maîtrise de la langue. Bref, il ne faut pas se tromper de réforme : ce n’est pas en s’attaquant aux classes préparatoires que l’on fera disparaître les logiques d’exclusion, tout au contraire. Les classes préparatoires, par leur fort contenu pluridisciplinaire, contribuent aujourd’hui de plus en plus à combler les lacunes culturelles et linguistiques que les différentes réformes du secondaire ont contribué à produire. Alors, faut-il faire disparaître ce qui contribue, pour une minorité certes, à remédier à une crise ou s’en inspirer pour la majorité ?

Abordons maintenant la question d’un éventuel rapprochement des classes préparatoires et des universités, comme certains le souhaiteraient. Affranchie du dualisme qui l’affaiblit, l’Université cesserait d’être une "voiture-balai" comme le déplorent bien des universitaires. Néanmoins, si un tel processus de convergence devait s’amorcer, il faudrait veiller à ce qu’il ne s’apparente pas à une simple annexion, voire pis, à une dilution des "prépas" dans les universités. Au contraire, il serait impératif de veiller à conserver ce qui fait le secret des classes préparatoires : l’intensité du travail éducatif. Les étudiants fournissent en vue des concours un effort remarquable qui exige d’eux en moyenne plus de cinquante heures de travail par semaine. Il est frappant que notre société admette qu’un sportif de haut niveau ait dû réaliser des efforts intenses et permanents, tandis que la formation d’étudiants de haut niveau pourrait se passer d’un travail approfondi, d’exigences envers soi-même, de lectures, de réflexion personnelle… Quant aux professeurs de classes préparatoires, corrélativement, ils sont astreints au même régime de travail ; il s’agit là d’un métier en soi, qui n’a rien de commun avec celui des enseignants-chercheurs qui, contre une faible charge éducative, se consacrent à la formation du savoir. Aussi ceux qui méditent à un rattachement devraient-ils avoir à l’esprit que la spécificité du travail en "prépa" implique également un statut spécifique pour ses enseignants.

A nos yeux, on l’aura compris, c’est bien le modèle des "prépas" qui pourrait sauver aujourd’hui le premier cycle universitaire et non l’inverse. Après tout, une formation solide, interdisciplinaire, dispensée par des généralistes de haut niveau et des universitaires chevronnés pourrait être l’outil d’une réforme durable et probante, une réforme qui donnerait naissance à des "collèges universitaires" délivrant la licence. Au terme de ces trois ans, les étudiants de demain pourraient alors s’orienter qui vers les grandes écoles, qui vers un master professionnel, qui vers la recherche. Ne serait-ce pas là l’articulation idéale entre enseignement, recherche et formation professionnelle ? Bref, une union heureuse plutôt qu’un mariage forcé. Mais encore faudra-t-il que le gouvernement ait le courage d’en tirer les conséquences budgétaires qui s’imposent. Si l’on veut des étudiants de qualité, il faut y mettre le prix. Rappelons que, malheureusement, la France a tranché depuis longtemps dans ce débat puisqu’elle réserve 1,3 % de son PIB à l’enseignement supérieur, contre 2,9 % pour les Etats-Unis…

Frédéric Munier est agrégé d’histoire, professeur en classes préparatoires ECS au lycée Saint-Louis, à Paris.


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