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Le statut des fonctionnaires et les principes du bien commun, par Razzy Hammadi, secrétaire national du Parti socialiste et Bertrand Monthubert, secrétaire national du Parti socialiste, Le Monde, 7 juin 2010

mardi 8 juin 2010

La radiation d’un gendarme – monsieur Matelly, chercheur associé au CNRS – pour avoir exprimé publiquement un avis sur le rapprochement entre la police et la gendarmerie a suscité de nombreuses protestations. Cette décision très grave du président de la République – décision que le Conseil d’Etat vient de suspendre partiellement – illustre la conception que M. Sarkozy a des fonctionnaires : des agents aux ordres en toutes circonstances, sans autonomie, sans espace de liberté critique. Face à des femmes et des hommes dont l’engagement est le plus souvent entier, adhérant à un idéal de service auprès de tous dans le respect de l’égalité républicaine, et dont les conditions d’exercice sont détériorées jour après jour, Nicolas Sarkozy a tenté la méthode autoritaire pour faire taire ceux qui oseraient exprimer publiquement ce désarroi. Car un constat s’impose à tous : réforme après réforme, de lois en décrets, le gouvernement poursuit son combat contre la fonction publique, ses principes et ses missions.

Alors qu’on en réduit trop souvent la portée à l’effet de tribune électoraliste ou bien encore, dans le pire des cas, à des mesures en apparence isolées, nous sommes bel et bien face à une offensive en règle qui vise au démantèlement des services publics. Pourtant c’est de nation et de république qu’il s’agit, car la fonction publique n’est pas seulement affaire de statut mais aussi de garantie, de principes et de valeurs.

Au-delà des services publics eux-mêmes, c’est bien le statut de fonctionnaire, le sens et la légitimité républicaine qui sont régulièrement mis en cause : projet de décret permettant le licenciement de fonctionnaires ; amendement visant à assermenter les agents de Pôle emploi afin qu’il puissent dresser eux-mêmes des procès verbaux dans les cas de fraudes et devenir ainsi des auxiliaires des forces de l’ordre ; suppression pure et simple de cent mille emplois depuis 2007 ; reprise en main sous l’autorité des préfets et dans le cadre de la révision générale des politiques publiques (RGPP) de nombreuses directions départementales et régionales… Anicet Le Pors déclarait le 17 décembre dernier lors du lancement des états généraux du service public dans la salle de la Mutualité, que le projet de Nicolas Sarkozy c’est de "banaliser la France", sans nul doute que la "banalisation" de la fonction publique en est le principal allié.

D’aucuns seront peut-être tentés de se laisser convaincre en se disant qu’après tout, dans une société où la mobilité professionnelle s’est fortement accrue, la garantie de l’emploi des fonctionnaires n’est qu’un reliquat désuet d’une autre époque distillant injustice et rente de situation dans une société précarisée.

Il est alors utile de se rappeler les trois principes qui fondent le statut des fonctionnaires et que ne régissent aucun autre contrat de travail d’ordre privé : le principe d’égalité dans le recrutement, dont découle le recrutement sous forme de concours, le principe d’indépendance et le principe de responsabilité.

Le principe d’indépendance est particulièrement important. Il doit garantir la neutralité des fonctionnaires et l’absence de pressions du pouvoir politique. Or ce principe dérange la droite. Au nom d’une prétendue efficacité, elle tente d’accroître le contrôle politique des agents publics. Et, cela, de deux manières principalement : en contournant le statut de fonctionnaire par l’augmentation des recrutements de personnels contractuels, et en transformant le statut pour imposer une prise plus directe du pouvoir politique sur les fonctionnaires par le biais de leur carrière ou de réorganisations décidées à la hussarde en concertation avec les cabinets de conseil privés qui orchestrent la RGPP. Et pour les récalcitrants, ce sont les intimidations ou la radiation.

TRANSFORMATION DES BASES DE NOTRE RÉPUBLIQUE

Contourner le statut de fonctionnaire est finalement relativement aisé. En décidant de supprimer un emploi de fonctionnaire sur deux parmi les départs en retraite, le gouvernement a fragilisé les services publics, qui n’ont plus les moyens de remplir correctement leurs missions. La crise qui traverse le monde de l’éducation et le personnel hospitalier est de ce point de vue éloquent.

Mais ces suppressions s’accompagnent souvent d’une augmentation du nombre de personnels contractuels, car les suppressions sèches ne seraient pas tenables. Cette politique ne se limite donc pas à des baisses d’effectifs, c’est aussi une transformation des statuts qui est à l’œuvre. Un des aspects les plus contestés de la loi "libertés et responsabilités des universités" (LRU) était d’ailleurs la possibilité, nouvelle, de recruter des enseignants-chercheurs sur statut de contractuel. Et de déroger ainsi au principe d’égalité devant le recrutement.

Les transformations du statut, elles, sont multiformes. Alors que le principe d’indépendance repose en grande partie sur le fait que les fonctionnaires ont une carrière où l’avancement acquis ne peut être remis en cause par leur hiérarchie (sauf faute grave), le gouvernement fait reposer de plus en plus les revenus des fonctionnaires sur des primes. Là encore, la politique de Valérie Pécresse est très claire : lorsqu’elle promet des améliorations de carrière, elle propose en réalité des primes, comme la prime d’excellence scientifique (PES). Cette politique des primes est dangereuse : adossée sur des mécanismes d’évaluation où domine la mise en place d’indicateurs chiffrés très contestés, elle peut conduire à une inégalité de traitement des citoyens, et à un investissement des agents sur des tâches qui ne sont pas toujours les plus pertinentes. C’est ainsi que les policiers protestent de plus en plus ouvertement contre cette politique du chiffre qui les conduit à délaisser souvent ce qui donne sens à leur métier – l’investigation – le suivi des enquêtes et la prévention pour privilégier les actes "scorisables". Le gendarme Matelly est d’ailleurs le coauteur d’un livre intitulé Police, des chiffres et des doutes (Michalon, 2004) dans lequel il dénonce ce type de politique.

Le dernier exemple en date de modification de statut est évidemment celui permettant de mener à des licenciements de fonctionnaires. Ici, l’objectif est double : tenter de tailler dans les effectifs mais aussi, et peut-être surtout, d’instaurer un climat de crainte qui augmentera la dépendance des fonctionnaires. Ce que nous voyons avec le gendarme Matelly, qui est aujourd’hui l’exception, peut devenir demain la règle. En bafouant les fondements de leur carrière, le gouvernement s’attaque délibérément aux principes fondateurs permettant la neutralité de la fonction publique, pour mettre les fonctionnaires à sa botte, au détriment de l’intérêt des citoyens. Ce n’est pas à une régression sectorielle que nous sommes confrontés, c’est à la transformation des bases de notre République.


Voir en ligne : Le Monde