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"Un nouveau programme pour récupérer les meilleurs "cerveaux" français" - Romain Parlier avec Philippe Jacqué, Le Monde, 15 juin 2010

mardi 15 juin 2010

Comment convaincre les jeunes chercheurs les plus prometteurs de revenir en France ? Après leur thèse, nombreux sont les jeunes docteurs qui partent poursuivre en tant que "post-doc" leurs recherches à l’étranger. Si ces départs sont encouragés, afin que ces jeunes chercheurs puissent engranger de l’expérience, le système se retourne régulièrement contre la France.

En effet, un grand nombre d’entre eux restent à l’étranger... Pour plusieurs raisons. Les conditions de travail proposées à l’étranger sont souvent meilleures, les jeunes chercheurs peuvent mener leurs propres recherches et il n’y pas assez de postes offerts aux concours dans les universités et organismes de recherche chaque année pour tous les accueillir...

Comme les créations de postes de fonctionnaire supplémentaires ne sont plus à l’ordre du jour du gouvernement depuis 2008, le ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche a développé un nouveau dispositif pour récupérer les meilleurs cerveaux français : le programme "retour post-doctorants".

Grâce à une enveloppe de 11,5 millions d’euros gérée par l’Agence nationale de la recherche (ANR), ce dispositif a permis à 25 jeunes chercheurs français ou étrangers de développer leur propre projet de recherche, en constituant une petite équipe de doctorants et post-doctorants, pour une durée de trois ans. Pour financer son projet, une enveloppe individuelle pouvant atteindre 700 000 euros leur a été attribuée.

CRÉER "DE BONNES CONDITIONS DE RETOUR"

Près de 100 chercheurs ayant soutenu leur thèse depuis moins de cinq ans ont postulé en 2009. La sélection a été opérée par un jury international de l’ANR, principalement sur la base de l’excellence de leurs recherches. Objectif du programme : créer "de bonnes conditions de retour" pour les post-doctorants internationaux, selon la ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche, Valérie Pécresse. Elle recevait, lundi 14 juin, les premiers bénéficiaires du dispositif.

Sur les 25 lauréats, quatorze reviennent des Etats-Unis, à l’image de Fouad Lafdil. Après deux ans et demi passés au laboratoire du National Institute of Health (NIH) à Bethesda, dans l’Etat du Maryland, il a postulé au programme de l’ANR, en parallèle du concours de maitre de conférences. "J’avais un poste assuré aux Etats-Unis pour cinq ans, explique-t-il. Mais quand on commence à s’inquiéter pour son avenir, ’retour post-doc’, ça flashe." Reçu aux deux sélections, il travaille aujourd’hui sur les mécanismes inflammatoires responsables de la fibrose du foie au sein d’une unité de recherche de l’hôpital Henri-Mondor, à Créteil.

Certains reviennent de destinations plus exotiques. Jeremy Faye, 29 ans. Après un post-doctorat de deux ans en chimie au National Institute of advanced industrial science and technology (AIST) de Tsukuba, au Japon, il est revenu en France pour intégrer l’unité de catalyse et de chimie du solide du CNRS, à l’université de Lille-I. "L’avantage de ce programme, c’est qu’on développe de nouvelles compétences : organiser son propre projet de recherche, gérer sa propre équipe", précise-t-il.

UN PROGRAMME "CALIBRÉ POUR LES SCIENCES DURES"

A l’image de Fouad et de Jeremy, la quasi-totalité des jeunes chercheurs retenus pour le programme "retour post-doc" sont spécialisés dans les sciences exactes : biologie, chimie, santé. Seul représentant des sciences humaines et sociales, Alexandre Baralis effectuait des recherches en archéologie à l’Institut français d’études anatoliennes (IFEA) d’Istanbul, avant d’intégrer la Maison méditerranéenne des sciences de l’homme (MMSH), à Aix-en-Provence. Grâce au "retour post-doc", il a pu embaucher une doctorante, et poursuivre ses recherches sur la mer Noire.

Pour lui, "ce programme est calibré pour les sciences dures. La France ne réalise pas encore l’importance des sciences humaines et sociales, et l’impact que peuvent avoir nos recherches. Les Etats-Unis en ont pris conscience depuis les années 1980", regrette-t-il. M. Baralis reconnaît tout de même l’intérêt du dispositif : "Sans ce type de programme, les coopérations que j’entretiens avec mes partenaires en Turquie auraient pris fin."

Si les lauréats du programme "retour post-doc" ont conscience d’être favorisés parmi les jeunes chercheurs, certains demeurent critiques. "C’est un peu un effet d’annonce, car le nombre de bourses est anecdotique", juge Louis Lambrechts, revenu des Etats-Unis pour intégrer l’institut Pasteur, à Paris. Beaucoup s’inquiètent aussi de leur avenir à l’issue des trois ans du programme post-doctoral. "Il y a beaucoup d’inconnues dans la recherche : trois ans c’est très court pour faire ses preuves, tout peut capoter, explique M. Lambrechts. C’est difficile d’avoir une épée de Damoclès au dessus de la tête. On a besoin d’être serein pour faire de la recherche". Au bout de six mois, sur les 25 chercheurs, cinq ont déjà obtenu un poste fixe.

Ces réserves ne semblent pas pour autant décourager les prétendants au programme "retour post-doc". L’ANR a enregistré 150 candidatures pour l’année 2010. Le taux de sélection devrait rester stable. Les lauréats seront désignés mi-juillet, et disposeront dès lors, s’ils acceptent le financement de l’ANR, de six mois pour s’installer en France.


Voir en ligne : http://www.lemonde.fr/societe/artic...