Accueil > Revue de presse > Le malaise du novice chez les instits - Garance Le Caisne, le JDD, 17 (...)

Le malaise du novice chez les instits - Garance Le Caisne, le JDD, 17 novembre 2010

vendredi 19 novembre 2010

Depuis les vacances de la Toussaint, des milliers d’instituteurs, tout juste lauréats du concours, sont lâchés en solo devant les élèves. Sans réelle formation…

Sale temps pour les professeurs des écoles stagiaires. Depuis le retour des vacances de la Toussaint, après quelques semaines d’observation, la majorité d’entre eux font classe, seuls, devant les élèves. Ils viennent juste de réussir le concours et les voilà déjà qui enseignent. Un peu comme leurs collègues stagiaires des collèges et des lycées, propulsés dans les établissements dès la rentrée. Comme eux, ils inaugurent la nouvelle formation des enseignants, la fameuse "mastérisation". Jusqu’à présent, les lauréats du concours bénéficiaient d’une année de formation avant de prendre une classe : 70% de cours à l’IUFM en alternance avec 30% de stages pratiques. C’est fini. Aujourd’hui, les 7.159 nouveaux instits ont 12 semaines de formation et sont seuls en classe 24 semaines.

"Je suis tiraillé, avoue cet instituteur stagiaire du Sud-Ouest qui préfère rester anonyme. Je suis motivé, content d’être devant mes élèves. C’est ce que j’attendais, mais je me sens déstabilisé, démuni." Il y a quelques jours, le jeune homme mène une séance de mathématiques. Des étoiles, et un nuage qui en cache certaines. Les élèves doivent trouver combien. Au tableau, sur les ardoises, ils suivent. Quand ils passent sur le fichier de mathématiques, ils n’y arrivent plus. "Est-ce que j’ai mal préparé ma séance ? Cela m’aiderait de retourner en formation régulièrement pour analyser et comprendre ce qui n’a pas marché…" Difficile. Le nouvel instit va garder sa classe à temps plein jusqu’au printemps. D’ici là, seulement une poignée de jours de formation est prévue. Le maître formateur qui le suit ? "Il est très bien, mais je ne vais pas l’appeler tous les soirs. Pas facile de commencer dans ces conditions…"

Ça chauffe chez les parents d’élèves

En Loire-Atlantique, d’ailleurs, ça chauffe dans une dizaine d’écoles. L’inspection d’académie du département a décidé de donner aux stagiaires des classes où officiaient des remplaçants de longue durée. Comme à l’école de La Sablonnaie à Nort-sur-Erdre. Dans l’un des CP, Pauline Papin remplaçait la maîtresse partie en congé maternité puis parental. Congé prévu jusqu’en mars. Lundi 18 octobre, quatre jours avant la Toussaint, coup de fil d’un stagiaire qui annonce sa venue pour prendre la classe de Pauline Papin après les vacances. Stupeur. "C’est aberrant d’être prévenu comme ça !" lance Delphine Belœil, de l’association des parents d’élèves qui assure n’avoir rien de personnel contre le stagiaire. Sa situation est pourtant plus que délicate. "Cela se passait super bien avec Pauline, continue la mère de famille. Aujourd’hui, nos enfants ont ce nouveau maître, pas formé. Ils en auront un autre les semaines où il repartira en formation. Puis, leur maîtresse titulaire va revenir. Les élèves sont petits, il y en a cinq en difficulté. Le CP est important. C’est n’importe quoi…"

La circulaire du 1er avril 2010 sur la formation des enseignants stagiaires stipule d’ailleurs que, pour ces stages, "l’attribution des classes les plus délicates, de type cours préparatoire (CP) ou cours moyen deuxième année (CM2)… sera évitée". Alors, les parents d’élèves de La Sablonnaie multiplient les actions : occupation du bureau du directeur, barrage filtrant, rendez-vous à l’inspection d’académie de Nantes avec banderole déroulée dans le hall d’entrée. L’inspection d’académie justifie son choix de mettre les stagiaires sur des longs remplacements. "Rester dans la même école leur apporte plus de bénéfices car ils peuvent voir toutes les facettes du métier, s’intégrer à une équipe", explique Gilles Tudal, inspecteur de l’Education nationale, chargé de la circonscription de Nort-sur-Erdre.

"Je n’arrive pas à comprendre qu’on ne comprenne pas que la meilleure façon de se former est d’enseigner, ajoute Josette Théophile, directrice générale des ressources humaines au ministère de l’Education nationale. Comme si un bac +5 ne pouvait pas exercer ce métier !" Une philosophie qui fait bondir Marie-Odile Caleca, maîtresse de CP à Clermont-Ferrand (Puy-de-Dôme) : "C’est une vision des lycées d’excellence d’autrefois appliquée à tous les niveaux. Il faut savoir comment fonctionnent les apprentissages pour enseigner. Plus les enfants sont petits, moins on est dans la transmission de savoirs en cours structurés." Le B.A.-ba n’est pas un savoir théorique, c’est une découverte. Les nouveaux instits auront-ils tous le temps de le comprendre ?

Lire la suite sur le site du JDD