Accueil > Revue de presse > Enseignants chercheurs : les dangers de la réforme, par Florence Boulc’h et (...)

Enseignants chercheurs : les dangers de la réforme, par Florence Boulc’h et Gaetan Hagel, enseignants chercheurs, Rue 89 (11 janvier 2009)

mardi 13 janvier 2009, par Mathieu

Pour lire l’article sur le site de Rue 89.

Le rythme s’accélère dans les attaques menées par le gouvernement contre le système d’enseignement supérieur et de recherche. Deux importantes réformes, indissociables de l’actuelle démolition du CNRS, seront mises en place dès septembre 2009 sans qu’il y ait eu concertation : la réforme du statut des enseignants chercheurs (1/2) et la réforme de la formation des enseignants (à venir).

Dans la continuité de la loi de liberté et de responsabilité des universités (LRU), le projet de décret modifiant le statut des enseignants chercheurs contribue à la disparition de l’université française en transformant les universitaires en employés de l’université.

L’un des principaux points de ce projet concerne la reconnaissance de la modulation de service, alors que jusqu’à présent, le statut des enseignants chercheurs (maîtres de conférences et professeurs des universités) repose sur un partage égal entre une charge d’enseignement et une charge de recherche.

Cette modulation doit s’entendre en double sens : les autorités compétentes peuvent, de manière discrétionnaire, imposer un volume de service d’enseignement en hausse ou en baisse.

Certes, la modulation de service était déjà inscrite dans les textes antérieurs et permettait de diminuer le service par des décharges officielles.

L’association inextricable entre enseignement et recherche

Dans le contexte de ce décret, sa systématisation attribue aux autorités de l’université le pouvoir de fixer les obligations de service. Les universitaires ne jouiront plus alors du principe d’égalité antérieurement dû au titre de la fonction publique ; la modulation des services imposée par les autorités locales signe ainsi la décentralisation de la gestion des universitaires.

En outre, ce décret instaure l’enseignement comme mission par défaut ; en effet, une évaluation négative du travail de recherche d’un enseignant chercheur conduira automatiquement à une augmentation de son service d’enseignement.

Il est alors important de noter qu’aucune garantie n’est offerte dans le projet de décret aux principaux intéressés pour se défendre contre une mesure unilatérale d’augmentation de ce service.

En parallèle, nous pouvons craindre que l’augmentation du service d’enseignement ne devienne la règle si, dans le contexte de rigueur budgétaire, les universitaires partant à la retraite ne sont pas tous remplacés et si l’affectation de la masse salariale conduit à sa contraction.

Manque de moyens, manque de temps ?

Or, le principal problème dont souffrent les universitaires en France est leur manque de temps pour enrichir leur enseignement et effectuer leur recherche. Le décret néglige totalement la spécificité du métier d’universitaire défini par l’association inextricable entre l’enseignement et la recherche.

Le projet de décret dégrade aussi fortement le statut des enseignants chercheurs en vidant de son contenu leur qualité de fonctionnaires supérieurs de l’Etat. En effet, le décret stipule que les ressources humaines concernant les enseignants chercheurs sont approuvées chaque année par le conseil d’administration de l’établissement et indique donc la volonté de gérer les universitaires comme s’ils étaient une ressource humaine de l’entreprise université.

Ainsi, les présidents d’université disposeront de leur personnel comme ils l’entendront, tant pour les recrutements, pour les promotions que pour l’attribution des primes. Cette réforme introduit donc un principe hiérarchique en vertu duquel certains universitaires auraient autorité sur la carrière de leurs pairs.

Le principe de collégialité dénigré

Ce décret mettrait ainsi fin aux libertés universitaires dues à la particularité de leur statut. Cette liberté consistait notamment dans la liberté dont ils bénéficient dans leur propre enseignement et dans la liberté de recherche à travers le choix des thèmes de recherches sans pression du marché économique ou des forces politiques.

Le projet gouvernemental dénigre le principe de collégialité qui est la véritable garantie de la liberté de l’enseignant chercheur puisque ce dernier n’est pas soumis à l’autorité d’une tierce personne, mais se soumet volontairement à l’autorité de ses pairs.

En renforçant de manière inconsidérée les pouvoirs du conseil d’administration, ce projet de décret poursuit une politique consistant à bouleverser le système universitaire français en faisant le pari que son salut viendra des présidents de ses universités.

Enfin, ce décret est très dangereux pour l’image négative de l’enseignement supérieur qu’il véhicule, à savoir qu’il conduira les étudiants à recevoir des enseignements donnés par obligation et non par vocation.