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"Marcel Gauchet : « Le gouvernement est en train de trucider la recherche »", par Régis Soubrouillard, Marianne2, 13 février 2009

samedi 14 février 2009, par Elie

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Dans le cadre de l’opération « Changeons le programme », le philosophe Marcel Gauchet a tenu des propos virulents contre la réforme universitaire, pourfendant « la gravité de ces pseudo réformes irresponsables imaginées par l’actuel gouvernement et ses sbires du monde universitaire ».

Durant une longue conférence de près de deux heures à l’Ecole des hautes Etudes en Sciences Sociales (EHESS), Marcel gauchet a prononcé un réquisitoire argumenté contre le programme de réforme gouvernemental des universités.

L’auteur du Désenchantement du monde s’estimant en « état de légitime défense pour une certaine idée du savoir et de la réflexion » a énuméré les motifs de l’anesthésie de la pensée de notre monde. Anesthésie dont le néolibéralisme est la théorisation de l’inutilité d’un certain savoir, phénomène paradoxal de désintellectualisation par l’avènement d’une société du savoir : « Le néolibéralisme accompagne un mouvement profond de nos sociétés qui les détournent de l’ambition de se penser au nom d’une connaissance qui se substituerait avantageusement à cette exigence ». Marcel Gauchet décrit ainsi une indigence intellectuelle, une forme de placidité végétative qui se révélera peu efficace face à la situation difficile traversée par nos sociétés.

Une réforme profondément « toxique »

Revenant sur la réforme des universités, Gauchet ne retient pas ses coups, la qualifiant de profondément « toxique ». S’attardant sur la question de l’évaluation des travaux des chercheurs, il estime que la « crise financière témoigne d’une crise du jugement. Du point de vue des instruments de calculs et d’évaluations des différents acteurs financiers, tout allait bien, sauf qu’il existait d’énormes failles dans le paysage pas du tout impossibles à discerner puisque quelques bons observateurs en avaient fait le diagnostic. Sauf que ces instruments de calculs interdisaient de prendre en compte ces réalités, d’où le souverain mépris des économistes officiels pour ces avertissements ».

Du vandalisme politique

Sans nier les dysfonctionnements du système universitaire français (massification de l’accès aux universités), le rédacteur en chef de la revue Le Débat dénonce le réformisme de l’actuel président de la République, l’absence de diagnostic préalable, et le fétiche brandi de « l’autonomie ».

Dans cette méconnaissance des sujets traités par nos politiques, il discerne une forme de cynisme, de méconnaissance et même de vandalisme : « le gouvernement entreprend de démanteler le CNRS mais sans aucune analyse de ce qui ne marche pas, et sans la moindre réflexion stratégique sur les conditions d’une recherche féconde et efficace. Nous avons affaire à une alliance du lobby industrialo-universitaire de la recherche appliquée et de l’administration centrale pour installer un système de pilotage de la recherche. Or la recherche, cela s’aide mais cela ne se pilote pas, ce qui est exigé c’est la souplesse, la réactivité. Nous avons affaire à une administration qui ne rêve que de trucider la recherche. L’important c’est le mot réforme, ce qu’elle recouvre, n’a aucune importance. Cette fois-ci on l’appelle autonomie ».

Le chassement de Shanghaï : traumatisme pour nos élites de bons élèves

Le philosophe s’amuse alors d’un événement burlesque, « un séisme pour nos élites de bons élèves qu’a provoqué la publication du classement de Shanghai en 2003. Traumatisme que de découvrir que les établissements, dont ils étaient fiers d’avoir été, occupaient des places pitoyables. Nous subissons le choc de cette découverte. Les politiques universitaires sont entièrement guidés par l’obsession de laver l’affront et de remonter dans le classement de Shanghai sans la moindre réflexion publique sur la signification de ce classement, sur ses biais et les problèmes posés par ce classement ».

Le système le plus performant du monde…

Marcel Gauchet n’hésite d’ailleurs pas à affirmer que le système universitaire français est le plus performant du monde « parce qu’il produit le plus avec le moins de moyens, ce qui ne veut pas dire que la performance finale est optimale mais nous soutenons très honorablement la comparaison avec nos collègues américains alors qu’en termes de moyens nous devrions être quelque part au niveau du Burkina Fasso. Il demeure donc une vraie compétitivité de ce système quels que soient ses défauts ».

Avant de conclure en pointant l’un des défauts majeurs du système américain, souvent présenté en exemple par ces élites surdiplômées. « Il est incapable de se reproduire par lui même mais ne survit que par le débauchage d’élites étrangères ».