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"Les présidents d’université "travaillent sur un nouveau projet de décret"", Le Monde, 19 février 2009

jeudi 19 février 2009, par Elie

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Lionel Collet, président de la Conférence des présidents d’université, a expliqué dans un chat au Monde.fr, mardi, que "la CPU n’a pas l’intention de laisser pourrir le mouvement".

Guido : Sans langue de bois, pourriez-vous nous dire franchement votre ressenti concernant le discours du président de la République, Nicolas Sarkozy, à l’occasion du lancement de la réflexion pour une stratégie nationale de recherche et d’innovation ?

Lionel Collet : Profondément choqué. La CPU a communiqué et a rappelé ce qu’on est en droit d’attendre comme discours de la part des hautes autorités de la République.

Alex : Peut-on encore parler de la "CPU" ? Ne faudrait-il pas parler de "plusieurs CPU" ? Vous sentez-vous capable de recréer une certaine unité autour de vous ?

Lionel Collet : D’abord, il n’y a qu’une seule CPU, l’assemblée des présidents d’université. Mais, au nom de l’indépendance universitaire, il n’est pas surprenant que certains s’expriment. Et la CPU, quand elle s’exprime, représente l’ensemble des présidents. L’initiative prise par le président de Paris-VI, Jean-Charles Pomerol [qui a créé la coordination des universités de recherche intensive françaises, la Curif, qui regroupe 18 universités] consiste à regrouper des universités "intensives en recherche". Il ne s’agit pas de créer d’autres CPU, mais une coordination interne à la CPU. Quant à la position d’autres présidents sur un ensemble de points, elle n’est pas en opposition aux positions exprimées par la CPU, bien que la formulation soit différente. Si je regarde le cas du président de l’université Paris-V, Axel Kahn, son communiqué de presse avait neuf points, huit étaient des points communs avec la CPU. Et le dernier portait sur un sujet sur lequel la CPU ne s’était pas prononcée. Il faut rappeler aussi que la CPU plénière se réunit une fois par mois, et nous avons une position de cette dernière une fois par mois. Dans les autres cas, ce sont des positions soit du bureau de la CPU, soit de son conseil d’administration.

bernard : Selon vous, quelle serait la réforme idéale du statut des enseignants-chercheurs ?

Lionel Collet : Premier point : on ne peut pas rester à un décret vieux de vingt-cinq ans. Deuxième point : il est essentiel de reconnaître l’ensemble des activités des enseignants-chercheurs, et dans le domaine de l’enseignement, les activités non présentielles. Ensuite, la question de la modulation des services : il est important que le futur statut permette aux universités d’être en conformité avec leurs pratiques. Par exemple sur les décharges d’enseignement accordées à de jeunes maîtres de conférence. Voilà deux exemples précis qu’il faudra prendre en compte dans le prochain décret modifié, mais il y en a d’autres.

"LES ÉVALUATIONS DES ENSEIGNANT-CHERCHEURS DOIVENT ÊTRE NATIONALES"

RACHID : Pourquoi refusez-vous de reconnaître qu’il existe des enseignants-chercheurs qui ne font pas du tout de recherche ?

Lionel Collet : La réalité, c’est que les enseignants-chercheurs font dans la très grande majorité enseignement et recherche, parfois hors d’un laboratoire reconnu, mais avec néanmoins une production scientifique. Dans certains cas, un enseignant-chercheur peut être conduit à ne plus avoir d’activité de recherche en raison d’une activité d’encadrement liée à la pédagogie.

RACHID : Quelle est la meilleure façon, selon vous, d’évaluer les enseignants-chercheurs ?

Lionel Collet : Il y a ce que tout le monde pense savoir évaluer, l’activité scientifique. Les évaluations doivent être des évaluations nationales. Et il y a des activités d’enseignement qui doivent être évaluées par les spécialistes du domaine, les pairs. Mais il est important que la proximité puisse être prise en compte (ceux qui organisent l’enseignement, les étudiants...). Enfin, il y a toutes les autres activités, notamment administratives, qui peuvent être évaluées.

tomtom54 : Pensez-vous que les évaluations nationales doivent également s’imposer aux présidents d’université ?

Lionel Collet : Oui. Comme toute la communauté universitaire, les présidents sont des universitaires assujettis à l’évaluation, ne serait-ce que de leurs activités de recherche. Et au moment où l’évaluation cherche à se généraliser, il serait logique que tous ceux qui ont des responsabilités administratives dans l’université soient évalués.

gerard_hugues : Comment comptez-vous réagir à la manœuvre de diversion imaginée par la ministre qui impose un délai de nature à faire "pourrir" le mouvement ?

Lionel Collet : La CPU n’a pas l’intention de laisser pourrir le mouvement, ni de nier la nécessité de réformer le décret de 1984. Et de toute évidence, nous ne sommes pas les seuls à souhaiter que des solutions rapides soient trouvées et que rapidement un projet de décret nouveau, concerté, puisse être soumis.

tarek_3 : Etes-vous favorable ou non au retrait du projet de décret de Mme Pécresse ?

Lionel Collet : A partir du moment où le décret n’est pas examiné par le Conseil d’Etat, à partir du moment où "l’ouvrage est remis sur le métier", nous considérons qu’actuellement nous repartons sur un nouveau projet. Donc, de facto, le projet sur lequel nous travaillons est un nouveau projet.

"C’EST POUR LES ÉTUDIANTS QUE NOUS AGISSONS"

Steve Muanza : Trouvez-vous logique que l’on veuille faire, à court terme, de l’université le principal pilote de la recherche en France alors même qu’on entame un vaste chantier de restructuration de l’université et que l’on transforme de grands organismes de recherche en simples agences de moyens ?

Lionel Collet : L’université est un opérateur de la recherche. Et, à ce titre, il est opérateur dans des laboratoires communs avec les organismes de recherche. L’université a la capacité d’assurer du pilotage scientifique, et aussi de la gestion. Tout cela reste concordant avec la présence de grands organismes de recherche ayant une vision et une stratégie nationales. Et exerçant également des fonctions d’opérateurs. Pour répondre à la question à court terme, il est vrai que les réformes se sont multipliées sur les universités depuis 2006 avec la loi de programme pour la recherche et qu’il paraît nécessaire de mettre en place progressivement une nouvelle organisation de la recherche en France.

HERNANDEZ : La France est-elle définitivement condamnée à ne jamais atteindre le niveau de performance des universités américaines ?

Lionel Collet : D’abord, je crois que personne n’est définitivement condamné. Ensuite, je ferai deux remarques. D’abord, sur le niveau de performance des universités américaines : les organismes de recherche français et les universités recrutent également des chercheurs ou enseignants-chercheurs de nationalité américaine, qui ont donc la conviction de pouvoir conduire des recherches de qualité en France. Ensuite, nous devons nous mettre d’accord sur ce qu’est la performance dans une université, qui ne peut être objectivée uniquement par des classements tels que le classement de Shanghaï, qui ne porte que sur la recherche. Nous avons besoin d’une comparaison sur l’ensemble des missions de l’université, et non uniquement sur le volet recherche tel que défini par le classement de Shanghaï, qui met l’accent sur les prix Nobel et sur les médailles Fields.

Carco : A ce jour, plusieurs conseils d’administration d’université ont refusé de transmettre les maquettes des futurs Master de "métiers de l’enseignement" au ministère. Dans le bras de fer vous opposant à ce dernier, que faites-vous des étudiants pour qui il n’y aura pas de "formations" ?

Lionel Collet : D’abord, c’est pour les étudiants que nous agissons. La formation des enseignants est un sujet trop important pour qu’il soit traité dans la précipitation. Pour les étudiants actuels, nous espérons qu’une solution sera rapidement trouvée afin qu’ils puissent être dans les meilleures conditions pour se présenter aux concours de recrutement des enseignants en 2010, sachant que les modalités de ces concours restent actuellement un grand sujet de discussion.

Francis : Je suis enseignant depuis six ans et j’affirme (comme beaucoup de mes collègues) que les IUFM sont une authentique catastrophe. La formation que l’on y reçoit est pour ainsi dire inexistante. Pourquoi vous opposez-vous à la masterisation de la formation et à une suppression des IUFM ?

Lionel Collet : Premier point : on ne s’oppose en rien à la mastérisation, et la CPU a toujours soutenu le principe du bac + 5 pour les futurs enseignants. En revanche, nous n’acceptons pas comme a priori la suppression des IUFM, et encore moins de dénigrer ce qu’ils ont apporté depuis leur création. Il nous paraît opportun de réfléchir aux missions des structures de formation des enseignants et à la place centrale des IUFM dans ce dispositif.

"LES FINANCEMENTS PRIVÉS NE DOIVENT PAS FACILITER LE DÉSENGAGEMENT DE L’ÉTAT"

Damien_C. : Concernant la mastérisation, quelle est la position de la CPU sur la suppression annoncée de l’année de stage rémunéré ?

Lionel Collet : La CPU l’a largement commentée, dans un compte-rendu d’une assemblée plénière où elle a dit qu’elle regrettait cette suppression de l’année de stage rémunéré. Nous avons une conception de la formation qui est une formation en alternance. La formation des maîtres est une formation professionnelle, comme l’université en conduit dans ses IUT, dans les écoles d’ingénieurs internes, et également en médecine et dans les autres formations de santé. Et l’alternance est présente dans ces formations, sous des formes diverses. Donc il nous paraît essentiel que les futurs enseignants aient une formation alternant avec la pratique, et cela explique notre position sur la suppression de l’année de stage rémunéré.

D’autant plus que se pose la question de l’accès aux formations de ce niveau à des étudiants de milieu modeste et qui pouvaient être plus facilement tentés par ces professions du fait de l’année de stage rémunéré. Cela étant, les chiffres qui nous sont fournis laisseraient sous-entendre qu’il y a peu d’étudiants issus des milieux moins favorisés qui avaient accès à ces formations, mais, d’une part, je n’ai pas eu accès à ces chiffres, d’autre part, ce n’est pas une raison suffisante pour ne pas en faciliter l’accès à ces étudiants. Ce serait même une raison inacceptable.

pitch : Nicolas Sarkozy annonce partout un milliard d’euros supplémentaires pour l’université. Les avez-vous bien reçus ?

Lionel Collet : Je n’ai pas de langue de bois. Ce que je constate en tant que président d’université, c’est que les dotations de fonctionnement des universités se sont accrues en 2009 par rapport à 2008, et en 2008 par rapport à 2007. Est-ce que cela correspond réellement à un milliard d’euros au total, il faut pour cela prendre en compte les opérations spécifiques (opérations campus par exemple) et les revalorisations annoncées lors de l’entrée dans les carrières d’enseignants-chercheurs. La question est effectivement que le milliard n’arrive pas intégralement directement dans le budget de l’université, car nous ne voyons que l’augmentation de la dotation des crédits de fonctionnement et des crédits spécifiques, telle la sécurité par exemple.

Pascal_PETIT : Le nouveau mode de calcul des moyens (calcul Sympa) organise la mise en concurrence des universités entre elles et défavorise les petits établissements. Quels sont les points à remettre en cause pour obtenir une affectation de moyens respectueuse du service public ?

Lionel Collet : D’abord, ce nouveau mode de calcul est en cours d’analyse par un groupe de travail de la CPU qui rendra ses conclusions dans les trois mois. Notre souci est d’assurer l’équité de l’accès à la formation et à la recherche sur le territoire français. Les points à remettre en cause seront analysés avec le groupe de travail, mais actuellement se posent les questions des indicateurs de performances retenus, et du poids respectif donné aux étudiants en licence et en mastère dans le modèle. La CPU formulera des propositions après analyse dans quelques mois.

Sayuri : Que pensez-vous des financements privés pour les universités ?

Lionel Collet : Pour les universités françaises, oui à des financements privés complémentaires, non à des financements privés substitutifs des financements d’Etat. Les financements privés ne doivent en rien faciliter le désengagement de l’Etat.

enseignante_Lyon1 : Quel est votre point de vue sur le démantèlement de la fonction publique d’Etat par la loi LRU ?

Lionel Collet : Je reviens à une remarque sur le désengagement de l’Etat : la loi LRU n’est pas une loi d’autonomie, c’est une loi de déconcentration de la gestion des ressources humaines et du budget. La CPU s’est toujours prononcée en faveur d’un fort soutien à la fonction publique d’Etat pour les personnels des universités et non pas en faire, comme certains le disent, des "personnels" de l’université, salariés de l’université. Il s’agit de fonctionnaires d’Etat, et la CPU ne pourra que s’opposer à toute tentative de démantèlement de la fonction publique d’Etat.

Camille_1 : Quelles sont les différentes options pour sortir de la crise ?

Lionel Collet : Je crois que l’élément crucial a été la suppression d’emplois dans les universités, suppressions connues fin 2008, et que les moyens humains paraissent un des éléments centraux pour sortir de la crise. En d’autres termes, nous avons besoin que soit annoncé le fléchage de moyens humains vers les universités. Deuxième point : la méthode. Il est important que se mettent autour de la table des négociations avec toutes les parties prenantes, à savoir les organisations représentatives, notamment syndicales. Et ensuite, il nous faut, sur la mastérisation, des réponses à des questions sur le devenir des IUFM par les ministères, et surtout sur le contenu de la réforme de la formation des enseignants.

Chat modéré par Philippe Jacqué