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Faute de profs titulaires, les rectorats draguent l’étudiant - Louise Fessard, Médiapart, 25 février 2009

jeudi 26 février 2009

A la rentrée 2008, 2.000 des 11.200 suppressions de postes dans l’Education nationale concernaient des professeurs remplaçants dans les collèges et lycées. Supprimer un poste de remplaçant est plus discret que de supprimer un poste de titulaire puisque ce n’est qu’au cours de l’année scolaire, au gré des congés maladies des enseignants, que ce manque apparaît de façon plus ou moins criante selon les académies.

Dans celle de Lille, particulièrement touchée, des professeurs de physique se retrouvent ainsi à enseigner les mathématiques tandis que des professeurs de lettres modernes gèrent des centres de documentation (CDI), faute de documentalistes. Pour combler les trous, les rectorats font de plus en plus appel à des contrats précaires. Ainsi à Tours et à Nanterre, ce sont des étudiants bac+3 qui sont sollicités pour des contrats... de contractuels (contrat d’au maximum une année scolaire), voire de vacataires (payés à l’heure dans la limite de 200 heures annuelles).

Le pari de Xavier Darcos était de faire mieux avec moins, en rationalisant la gestion des remplaçants du secondaire, dits titulaires de zone de remplacement (TZR). Au nombre de 50.000, ces enseignants titulaires donnent des cours dans plusieurs établissements, selon les congés maladie, maternité et les stages de formation de leurs collègues.

Thierry Cadart, secrétaire général du Sgen-CFDT, estime que le nombre de professeurs remplaçants dans le second degré a « diminué d’un tiers en deux ans ». « La volonté du ministère est de les occuper de façon plus constante, explique-t-il. Vu les énormes efforts effectués ces dernières années, sur des disciplines importantes en volume, les TZR ont aujourd’hui des taux d’utilisation avoisinant les 80% : on peut difficilement aller plus loin. » A Lille, le responsable du Snes, Michaël Colin, explique ainsi qu’en dessous de deux semaines d’absence, désormais « on ne remplace plus » et que, « même pour des absences prévisibles comme un congé maternité », les élèves restent « trois à quatre semaines sans professeur ».

Le ministre de l’éducation nationale, Xavier Darcos, a néanmoins prévu 3.000 nouvelles suppressions de postes d’enseignants remplaçants dans les collèges et lycées pour la rentrée 2009 et la création d’une agence nationale de remplacement, chargée de coordonner les réseaux locaux de remplacement. « Lorsque nous manquons ponctuellement de tel ou tel professeur », avait annoncé Xavier Darcos sur France 2 en juin 2008, l’agence, « directement pilotée par le ministère », « pourra solliciter des jeunes professeurs en fin de préparation, des stagiaires ou des étudiants en fin de master ». « Les suppressions de postes sont faites de telle manière qu’à cette rentrée [2008] – et je demande qu’on me démontre le contraire – nous avons un meilleur encadrement pédagogique qu’à la rentrée dernière », avait-il affirmé sur la radio RMC en septembre 2008.

Appels au secours

Sauf que... le 30 janvier 2009, les directeurs de trois UFR de l’université François-Rabelais de Tours, ainsi que les directrices des IUT de Tours et de Blois, ont reçu une lettre pressante du rectorat. Le recteur mentionne des « besoins importants dans les disciplines suivantes » : documentation, allemand, anglais, histoire-géographie, lettres-histoire, lettres classiques, mathématiques, maths-sciences, économie et technologie. Et prie les universitaires de demander à leurs étudiants ayant au moins une licence s’ils ne voudraient pas enseigner dans des collèges et lycées de l’académie. A Versailles, les cinq universités de l’académie ont reçu le 22 janvier 2009 un courriel du même type. Le rectorat de Versailles fait état d’« un besoin URGENT de recruter des enseignants "non titulaires" » dans neuf disciplines : « Vos étudiants peuvent tout à fait pourvoir ces postes », conclut le courriel.

« Rien de nouveau sous le soleil », selon le service communication du rectorat de Tours-Orléans. « Ça fait trente ans que nous recrutons des étudiants qui se destinent à être profs pour des besoins ponctuels de remplacement. » La plupart des rectorats ont d’ailleurs ouvert des rubriques pour recruter des enseignants contractuels ou vacataires comme sur le site du rectorat de Versailles. A Créteil, en février 2008, en désespoir de cause, le rectorat avait même fait appel aux enseignants retraités (lire En panne d’enseignants, le rectorat de Créteil sonne le rappel des retraités). « Suite à notre lettre, nous avions eu sept personnes retraitées, précise Laurent Petrynka, directeur de cabinet du recteur. Cette année, nous n’avons pas eu besoin de renvoyer de courrier, nous avons quatre enseignants retraités en allemand et en lettres classiques. Nous assumons la lettre et la démarche qui reste extrêmement à la marge, pour s’ajuster face à des impondérables comme une hausse soudaine des arrêts maladie chez des professeurs de lettre par exemple. »

Le directeur de cabinet du recteur de Versailles, Jean-Xavier Moreau, ne voit pas non plus de lien entre les suppressions de postes de ces dernières années et le recours aux contractuels. Il incrimine « la reprise du marché de l’emploi » ! « Ça peut paraître curieux vu la conjoncture actuelle mais nous avions besoin de renouveler notre vivier de contractuels habituels car beaucoup avaient trouvé un emploi dans le privé, explique-t-il. C’est pourquoi nous avons envoyé ce courriel aux universités mais je ne pense pas que le nombre de contractuels augmente. »

L’insistance et le caractère massif des demandes des rectorats – le rectorat d’Orléans-Tours a relancé l’université François-Rabelais à trois reprises – leur donnent tout de même un petit air d’appel au secours. « Le recours aux personnels précaires existe depuis longtemps, précise Emmanuelle Kraemer du Snes Orléans-Tours. Mais pas de façon aussi systématique et affichée : là, on utilise les ressources de l’université comme un vivier de recours aux précaires et non comme un tremplin vers le statut de fonctionnaire. »

Comme ses prédécesseurs à la tête du département de philosophie à l’université François-Rabelais, Laurent Gerbier est « ponctuellement » contacté pour dépanner : « Le rectorat me demande si je n’aurais pas un étudiant brillant qui prépare le concours et capable d’effectuer un remplacement dans tel lycée. » Mais les demandes n’ont « jamais été faites avec cette ampleur et sur cet ensemble de disciplines là ! ». « Que les rectorats en arrivent à ce type de courrier, ça montre bien que les suppressions de poste sont budgétaires et qu’elles désorganisent les services », estime-t-il.

Passer par-dessus les concours et les IUFM

Quatre-vingt-dix-sept enseignants-chercheurs et formateurs de l’université de Tours ont donc adressé une lettre ouverte au recteur pour protester. Ils s’inquiètent du recrutement d’« étudiants sans les diplômes ni l’expérience requis et surtout sans l’espoir d’une quelconque titularisation ». « Mes étudiants ne sont pas prêts à partir dans des établissements pour préparer des lycéens au baccalauréat, critique Laurent Gerbier. D’ailleurs, il est paradoxal que Xavier Darcos – qui dit vouloir revaloriser le métier d’enseignant – veuille faire passer les concours d’enseignants à bac+5, et que, dans le même temps, l’éducation nationale recrute des étudiants à bac+3 pour les mettre devant les élèves. »

Au rectorat de Versailles, Jean-Xavier Moreau se défend de mettre n’importe qui face aux collégiens et lycéens. « Ce sont des étudiants qui veulent devenir enseignants, affirme-t-il. Nous leur demandons un CV et une lettre de motivation, et ils passent un entretien d’embauche avec un inspecteur pédagogique. »

A Besançon, Arnaud Macé, maître de conférences en philosophie, ne voyait à l’origine pas de mal à cet échange de service. « On se disait que ça mettait le pied à l’étrier aux étudiants qui se destinent à l’enseignement et que ça leur permettait d’arrondir les fins de mois », explique-t-il. Mais beaucoup d’étudiants, confrontés à des problèmes plus immédiats au sein de leurs établissements, décrochent de la préparation au concours et se résignent ensuite à enchaîner les contrats précaires. « L’idée de pouvoir recruter des enseignants en passant par-dessus les concours et les IUFM devient un peu trop systématique, s’inquiète Arnaud Macé. Les étudiants qui font des remplacements dans des lycées au lieu de préparer leur concours scient la branche sur laquelle ils sont assis, puisque le nombre de postes proposés aux concours diminue à mesure que l’on recrute des précaires. »

La remplaçante vient d’une agence de voyages

A Lille, le rectorat trouve également des expédients pour s’accommoder d’une pénurie de professeurs remplaçants « chronique dans l’académie depuis deux-trois ans » selon Michaël Colin du Snes local. Malgré une condamnation par le tribunal administratif en janvier 2008, il continue d’affecter des TZR en dehors de leur discipline. Des enseignants de sciences économiques, de lettres ou d’allemand « tiennent » des Centres de documentation et d’information ; des enseignants de sciences et technologies industrielles sont affectés en technologie dans des collèges ; des remplaçants de physique appliquées doivent assurer des cours de mathématiques sous peine de retrait de salaire... Le syndicat enseignant a écrit au rectorat pour dénoncer une pratique « inacceptable ». Il estime que « cette situation pénalise les élèves et met en difficulté des personnels qui ne sont ni qualifiés, ni formés, ni même volontaires, pour enseigner une autre discipline que celle de leur recrutement. »

Cas extrême, à Lens, Karine Van Wynendaele, enseignante au collège Michelet, a eu la surprise de sa vie en voyant arriver début février 2009 la remplaçante de sa collègue d’histoire-géographie, gravement malade. « C’est une personne qui a travaillé en agence de voyage et qui a fait des études supérieures en égyptologie, raconte-t-elle. Elle a demandé une vacation et comme le rectorat cherche des remplaçants partout... »

En charge de six classes allant de la sixième à la troisième, la remplaçante « ne savait pas corriger les copies, et donc elle les déposait au secrétariat et la mère de notre collègue malade passait les chercher afin qu’elle les corrige. Depuis nous l’avons aidée à construire un barème mais ça reste difficile avec certaines classes. » Et Karine Van Wynedaele, également secrétaire du Snes dans le Nord-Pas-de-Calais, de conclure : « Ce qui prouve bien que c’est un métier qui s’apprend et qu’on ne peut pas arriver comme ça, sans formation, devant un groupe de 26 élèves. »

Le primaire et la maternelle, jusqu’alors épargnés par les contrats précaires, sont désormais touchés. Le principal syndicat du primaire, le Snuipp, s’alarmait le 17 février du recrutement de vacataires par le rectorat de Poitiers « pour pallier le manque d’enseignants dans les écoles maternelles et primaires ». « Il leur manque dix titulaires remplaçants depuis le début de l’année », explique Gilles Moindrot, secrétaire général du Snuipp. Depuis les années 1970, en cas de pénurie, les rectorats piochent dans les listes complémentaires au concours de recrutement des professeurs des écoles (les candidats qui ont préparé le concours mais qui l’ont manqué). Mais le rectorat de Poitiers a préféré recruter des vacataires « sans doute pour faire des économies », selon Gilles Moindrot. Un recours à des contrats précaires et des personnes peu qualifiées qui est en contradiction manifeste avec la volonté affichée par Xavier Darcos de revaloriser la fonction d’enseignant et d’élever le niveau de recrutement.