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Commentaire de SLU sur le projet de décret et la lettre de la DGRH concernant les comités de sélection

Vendredi 18 janvier

vendredi 18 janvier 2008, par Laurence

[|Comités de sélection :
Commentaire de la lettre de la DGRH aux présidents d’université et du projet de décret (voir documents joints).|]

A/ Une confirmation sans appel du dispositif

Le texte daté du 9 janvier 2008 que le Ministère de l’Enseignement supérieur et de la recherche (Direction Générale des Ressources Humaines, Service des Personnels Enseignants de l’Enseignement supérieur et de la Recherche) a adressé aux Présidents d’Université et aux Recteurs d’académie confirme les dispositions les plus contestables de la loi.

• Certaines formulations qui mentionnent plusieurs fois le rôle du Conseil d’administration dans la désignation des membres des comités de sélection ne doivent pas faire illusion : le président est seul habilité à proposer ces membres (qu’ils soient intérieurs ou extérieurs à l’établissement), et le CA ne peut qu’entériner ou refuser ce choix sans avoir le droit de faire des propositions alternatives.

• Concernant le choix du candidat recruté, le pouvoir de veto « avec avis motivé » du président de l’université est maintenu sans aucun garde-fou (voir ci-après : « 3 détails significatifs »).

• Dans les comités de sélection, la « majorité » seulement des membres doivent être spécialistes de la discipline concernée par le recrutement. Par ailleurs, « la moitié au moins » doivent être extérieurs à l’établissement (ils peuvent donc l’être tous).

• Il est possible de créer des comités de sélection communs à plusieurs établissements «  notamment dans le cas des PRES ». « notamment », c’est-à-dire « pas seulement », avec la porte ouverte à des décisions arbitraires. Dans tous les cas, la concentration du recrutement de plusieurs universités entre les mains d’un nombre extrêmement réduit de personnes multiplie les dangers du dispositif.

• Reprenant la loi LRU, le texte prétend que le nouveau dispositif vise entre autres à « favoriser la mobilité des enseignants-chercheurs » et qu’à cette fin :
« les établissements sont tenus, dans le cadre des contrats pluriannuels qui les lient à l’État, de présenter les objectifs qu’ils se fixent en matière de recrutement d’enseignants-chercheurs issus d’autres établissements »
« Présenter des objectifs » sans qu’aucun seuil soit fixé par l’État, ni que l’établissement soit tenu d’atteindre ces objectifs : il est difficile de concevoir une mesure plus rigoureusement vide. La prétention affichée de lutte contre l’un des aspects du localisme est donc une tromperie.

• La compétence en matière de titularisation, détachement et mutation des enseignants-chercheurs déjà en fonction dans l’établissement relevait jusqu’à présent, avec pouvoir de proposition, des Commissions de spécialistes. Elle est transférée au Conseil scientifique siégeant en formation restreinte aux enseignants-chercheurs, qui ne donne cependant qu’un avis consultatif. (Le texte ne précise le rôle du CA qu’en cas de contestation d’un avis défavorable du Conseil scientifique par la personne concernée, mais c’est probablement lui qui statue dans tous les cas après l’avis consultatif du CS).

Du fait de la suppression des Commissions de spécialistes, les décisions en la matière échappent donc à ceux qui, en particulier dans le cas de la titularisation, étaient les plus à même de statuer, au profit d’un rôle en trompe-l’œil du Conseil scientifique, privé de tout pouvoir réel.

• Le recrutement ou le renouvellement des ATER (qui relevait jusqu’à présent des Commissions de spécialistes), n’est pas évoqué dans le texte. Sur ce point, la loi LRU (art. 8) prévoit que Conseil scientifique donne un avis consultatif, sans préciser si d’autres instances doivent être consultées (peut-être le Comité de sélection, dans le cadre de ses attributions sur le recrutement des contractuels ?), ni qui prend la décision (le CA, ou le Président de l’Université ?).

Ce dispositif qui retire aux enseignants-chercheurs compétents et concernés la responsabilité du recrutement pour le confier à des instances soumises au Président n’a d’équivalent dans aucun système universitaire étranger.


B/ Des ajouts qui aggravent les effets de la loi

Le texte ajoute des précisions sur la composition et le fonctionnement des comités de sélection :

• Composition

* nombre recommandé de membres : entre 6 et 12. Conséquence de cet effectif étonnamment restreint : puisque le comité peut ne comporter qu’une moitié de spécialistes de la discipline, il pourra n’en compter que 3 sur 6.

* aucun dispositif ne vient corriger la loi en ce qui concerne le rang des membres du comité. Contrairement aux actuelles Commissions de spécialistes qui doivent comporter 50% de professeurs et 50% de maîtres de conférences, la seule règle est ici celle du rang au moins équivalent à celui du poste à pourvoir. Le recrutement d’un(e) maître de conférences pourra donc être effectué par un comité composé à 100% de professeurs [1].

* aucun dispositif de suppléance.

* le président du comité de sélection est désigné par le CA siégeant en formation restreinte (ce mode de désignation n’est pas un facteur contribuant à son indépendance). Le « bureau » des commissions de spécialistes (président, deux vice-présidents, un assesseur) disparaît, ce qui concentre dans les mains du seul président certaines décisions importantes (voir ci-après la question des rapporteurs).

* pas de comités pérennes ni siégeant pour plusieurs emplois, sauf lorsque «  la nature de ces emplois autorise une composition identique [du comité] ». Cette formulation floue à souhait laisse toute latitude à l’arbitraire du CA, à qui il revient de statuer sur ce point. On soulignera aussi qu’aucun principe de non-cumul ou de rotation n’est prévu : rien n’empêche M. ou Mme X de siéger dans tous les comités et toute sa vie durant.

* sont exclus (comme dans les actuelles commissions de spécialistes) les apparentés et alliés. Aucun progrès n’est accompli dans l’élimination des autres facteurs de partialité, bien plus effectifs (directeur de thèse faisant partie du jury, etc.) et dont les risques sont accrus dans le nouveau système en raison du mode de désignation arbitraire des membres du comité de sélection.

• Fonctionnement

* « le président [du comité] peut décider de désigner un ou plusieurs rapporteurs » (à comparer avec l’obligation de deux rapporteurs au moins dans les actuelles Commissions de spécialistes, avec répartition effectuée par le bureau). La désignation de rapporteurs est donc non seulement facultative, mais en outre laissée à la discrétion du seul président du comité.

* Le vote du comité a lieu à la majorité (voir ci-après la précision supplémentaire contenue dans le projet de décret). Ce vote du comité ne porte pas sur un classement des candidatures et il n’est que consultatif (contrairement à celui des présentes commissions de spécialistes, qui votent sur un classement et formulent une proposition). « À l’issue du vote, le président établit un rapport sur chaque candidature faisant état du résultat du vote correspondant », rapport ensuite soumis au vote du comité (est-ce là un dispositif suffisant pour contrer le pouvoir du président — qui a été désigné par le CA ?) et transmis au CA.

* C’est le CA (siégeant en formation restreinte aux enseignants-chercheurs de rang au moins égal à celui du poste à pourvoir) qui « a valeur de jury ». Contrairement à la situation actuelle où il n’a d’autre pouvoir que d’entériner la proposition de la Commission de spécialistes ou de la rejeter pour non-conformité du candidat au profil publié, c’est désormais CA qui statue en procédant à un classement ou en proposant un seul nom. La décision revient donc à une instance qui n’a pas examiné les dossiers, peut ne compter aucun spécialiste de la discipline concernée, et ne comprend, par définition, aucun membre extérieur à l’université (décision éventuellement contredite par droit de veto du président de l’université).

• Rôle du conseil scientifique

Dans le cas des candidats se présentant à un poste dans le cadre de la mutation ou du détachement (ne pas confondre avec le cas évoqué ci-avant des personnels, qui, déjà en fonction dans l’établissement, souhaitent le quitter), le Conseil scientifique doit rendre un avis (consultatif), ensuite transmis au comité de sélection. Cet avis du Conseil scientifique, parce qu’il est strictement consultatif, limité aux cas de détachement et de mutation et émis par une instance où la présence de spécialistes de la discipline concernée n’est pas garantie, ne contrebalance en aucune manière le pouvoir accordé au comité de sélection, au CA et au président de l’université.

C/ Trois détails significatifs

• Contrairement à ce que Valérie Pécresse avait indiqué oralement lors de sa réunion du 1er décembre avec les membres du CNU, le droit de veto du président de l’université concernant le recrutement après avis du comité de sélection et décision du CA, n’est ici nullement restreint à la conformité du candidat au profil publié.

• Contrairement là encore aux propos tenus par Valérie Pécresse devant le CNU, aucun dispositif ne vient contraindre les Universités à ne recruter sur les postes de contractuels que des personnes ayant reçu la qualification du CNU.

• Le paragraphe afférent à la question du quorum ajoute à l’unique disposition prévue par la loi (le comité siège valablement si la moitié au moins des présents sont extérieurs à l’établissement) un élément nouveau : le comité de sélection doit réunir la moitié au moins de ses membres à l’ouverture de la séance. Cette nouvelle disposition n’empêche nullement de procéder à un recrutement avec un comité composé en tout et pour tout de trois membres extérieurs à l’établissement.

D/ Le projet de décret sur les comités de sélection

La lettre de la DGRH reprend les dispositions d’un projet de décret sur les comités de sélection, en indiquant que, en ce qui concerne les universités (mais non pour les autres établissements d’enseignement supérieur), la loi est applicable en l’état, avant la publication du décret (prévue pour février 2008). Ce projet de décret est cependant plus précis et plus complet sur certains points et s’appliquera aux universités à sa publication.

• Pour la composition des comités de sélection, le nombre de 6 à 12 membres est impératif. À titre de comparaison, les Commissions de spécialistes actuelles comptent en formation plénière (professeurs et maîtres de conférences réunis) entre 10 et 20 membres titulaires.
Entre autres conséquences, l’effet bénéfique que l’on pouvait éventuellement escompter de l’augmentation de la proportion de membres extérieurs à l’établissement (50% contre 30 à 40% dans les Commissions de spécialistes actuelles) est annulé à la fois par le mode de nomination de ces membres extérieurs et par la stabilité ou (le plus souvent) la diminution de leur nombre absolu : entre 3 (pour un comité à 6) et 6 (pour un comité à 12), à comparer avec les Commissions de spécialistes (entre 3 et 4 pour les commissions à 10, entre 6 et 8 pour les commissions à 20).

• Le texte prévoit la possibilité d’un nouveau dispositif concernant les modalités des réunions du comité de sélection :
«  Les membres du comité de sélection peuvent participer aux réunions par tous les moyens de télécommunication permettant leur identification et garantissant leur participation. Les membres qui participent par ces moyens aux séances du comité sont réputés présents pour le calcul du quorum et de la majorité mentionnés à l’alinéa précédent. »
Les réunions du comité de sélection peuvent donc être purement virtuelles (téléphone, Internet ou visioconférence ?). Aucune réglementation du dispositif n’étant prévue, les pires dérives sont envisageables. Il en va de même pour les auditions des candidats :«  Les candidats peuvent être auditionnés dans les mêmes formes. »

• En cas de partage égal des voix, le président du comité de sélection dispose d’une voix prépondérante.

Nous observons en conclusion :

* que la lettre de la DGRH a été envoyée aux présidents d’université et aux recteurs sans même attendre l’avis des syndicats et du CNESER auxquels le projet de décret avait été soumis pour consultation. Voilà qui confirme ce que le gouvernement entend par concertation.

* que l’on ignore si le principe d’un calendrier national est maintenu.

* que, concernant le recrutement des enseignants chercheurs, la loi LRU (comme les textes qui la précisent) est une imposture pure et simple. Au lieu de lutter contre le localisme comme elle le prétend, elle le renforce par la concentration du pouvoir entre les mains de quelques-uns.

* qu’elle ne remédie en outre en rien aux délais très brefs — à la limite du sérieux scientifique — dans lesquels sont organisées les auditions actuelles. Les dossiers contenant les travaux des candidats pourront donc continuer d’arriver la veille des auditions, et celles-ci de se tenir dans une fourchette généreuse de 10 à 20 minutes, alors même que la loi prétend produire des universités qui rivalisent avec leurs prestigieuses homologues du « modèle anglo-saxon ».


[1En réponse à une question soulevée récemment par un représentant des enseignants-chercheurs auprès d’un membre éminent du cabinet de la Ministre à propos de l’absence de parité Maîtres de conférences/Professeurs dans les comités de sélection, il a été signifié que le Ministère n’avait aucune intention d’intervenir sur ce point car ce serait là porter atteinte aux libertés du président (CQFD).