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Contorsions, compromis, recul ? La réforme universitaire en pleine confusion - Jade Lindgaard, "Médiapart", 14 mars 2009

samedi 14 mars 2009, par Laurence

C’est la question à 1000 euros qui agite le monde universitaire : les annonces ministérielles faites dans la soirée du 13 mars sur la réforme en cours de la formation des enseignants et des maîtres enregistrent-elles un recul du gouvernement ? « Ils ont évolué dans le sens des demandes des organisations syndicales », se réjouit Michel Gay, secrétaire général d’Autonomesup (3e syndicat dans le supérieur). Mais ces « gestes » sont « insuffisants », regrette Patrick Fridenson du Sgen-Cfdt (2e syndicat). Ce ne sont « pas des concessions mais des contorsions, c’est consternant » tonne Jean Fabbri, secrétaire général du Snesup (majoritaire).

Concrètement, qu’ont annoncé Xavier Darcos et Valérie Pécresse dans leur communiqué conjoint de jeudi soir ? La confirmation de la réforme mais son étalage dans le temps : « Le processus sera lancé dès la session 2010 des concours (...) cette réforme verra son aboutissement à l’occasion de la session des concours 2011. »

En clair : la création de masters universitaires pour former les enseignants du primaire et du secondaire est confirmée pour la rentrée prochaine, mais se fera la première année de manière transitoire. « C’est un décollage progressif », précise l’entourage de Valérie Pécresse. Et non un report clair et net d’un an comme pour la réforme des lycées. Le contenu de la formation devrait donc commencer à changer dès septembre prochain.

A l’issue d’une assemblée plénière, la conférence des présidents d’université (CPU) avait pourtant demandé la semaine dernière le report d’un an de la réforme. « Ils sont en dessous des demandes de la CPU qui était le minimum minimorum », regrette Jean-Louis Fournel de Sauvons l’université (SLU). « C’est une négociation, chacun fait un pas vers l’autre », riposte le ministère.

"J’ai l’impression de passer pour un ennemi du peuple"

Les universités devaient, avant l’annonce de jeudi soir, rendre les maquettes des nouveaux masters d’ici le 31 mars. Le délai pourrait être rallongé pour prendre en compte les dernières annonces. Selon le ministère, une dizaine de maquettes (sur 85 universités) ont été rendues par les établissements. Une commission de concertation et de suivi est en cours d’installation et devrait être opérationnelle d’ici quelques semaines. D’ici là, les arrêtés précisant le contenu des concours devront être publiés.

Par ailleurs, concernant l’autre principal sujet de contestation dans les universités, le décret modifiant le statut des universitaires réécrit la semaine dernière, les critiques ne s’apaisent pas. Le nouveau texte doit être soumis au comité technique partitaire (CTPU) – réunissant les organisations représentatives des personnels de l’université – le 23 mars. Lors de la même réunion doit être étudié aussi le décret réorganisant le conseil national des universités (CNU), instance d’évaluation des enseignants-chercheurs. Et pour l’instant, aucun syndicat n’annonce vouloir l’accepter en l’état. Pour le Sgen-CFDT, l’un des partenaires de la négociation, Patrick Fridenson précise que « la manière dont on votera dépendra du reste, on n’est pas dans une logique de saucissonnage ».

Pour Guillaume Drago, membre du collectif pour la défense de l’université, essentiellement composé de juristes, le problème posé par la première mouture du décret reste quasiment entier car sa version réécrite « organise un système de modulation de services qui risque d’être imposé aux enseignants-chercheurs ». Claude Guéant a rajouté à la confusion ambiante en déclarant dans Libération que « au final, le texte sera peu différent de celui qui a été mis sur la table ». Colère d’AutonomeSup, autre syndicat partenaire des négociations avec le ministère : c’est « un grossier mensonge et un sabotage des négociations actuellement en cours ».

En fait pour la masterisation comme pour le décret, les modifications concédées par le gouvernement aux textes controversés sont réelles, sans répondre à toutes les critiques. Mais surtout, le climat de défiance entre ministères et universitaires, présidents d’université et personnel, syndicats participant aux discussions avec les ministères et organisations exigeant l’ouverture de négociations générales, fait que ces concessions risquent de ne pas avoir grand effet sur la contestation.

Que va-t-il se passer à partir de maintenant ? L’incertitude est partagée par tous, syndicats et ministères. Le problème c’est que « jamais le monde universitaire n’a été aussi divisé, analyse Patrick Fridenson, du Sgen-Cfdt, la droite universitaire classique s’est radicalisée. Dans les assemblées générales, il arrive que les plus radicaux soient des gens de droite. La décision de vouloir faire toutes les réformes en même temps, les suppressions de poste vécues comme une gifle par les universitaires, ont créé de nouvelles fractures entre universitaires. C’est une situation nouvelle qui rend très difficile de prévoir comment la situation va évoluer à partir de là ».

Et l’historien de constater, amer : « Cela fait des années que je suis dans le syndicalisme enseignant. C’est la première fois que j’ai l’impression de passer pour un ennemi du peuple. »

Le gouvernement a certes amendé son projet de masterisation pour répondre à certaines critiques des opposants à la réforme : des stages de trois semaines sont prévus en première et deuxième année, ils seront rémunérés dans le second cas. 12.000 bourses seront attribuées aux étudiants sur critères académiques. Et dans les concours, la part consacrée à la discipline étudiée est conservée alors qu’elle était en partie remplacée par des épreuves de connaissance générale sur le système éducatif dans une première version. Cette perspective avait suscité de vives protestations.

Mais « 80% de ces annonces avaient déjà été faites il y a un mois », dans une lettre rendue publique du ministère de l’enseignement supérieur à la CPU, constate Jean-Louis Fournel de SLU : « Ils essaient de faire ce qu’ils ont fait sur le décret modifiant le statut des enseignants-chercheurs : des modifications cosmétiques qui ne changent pas la nature du projet. »