Accueil > Revue de presse > "Université. Cette réforme n’aura pas lieu", Tribune, L’Humanité, par les (...)

"Université. Cette réforme n’aura pas lieu", Tribune, L’Humanité, par les porte-parole de la 7ème CNU

jeudi 9 avril 2009

Pour lire cette tribune sur le site de l’Humanité

TRIBUNE LIBRE
Université. Cette réforme n’aura pas lieu
PAR DAVID BERRUÉ, ÉTUDIANT, GERMAINE DEPIERRE, CHERCHEURE, PASCAL LEVY, BIATOSS, CHRISTOPHE MILESCHI ENSEIGNANT-CHERCHEUR, PATRICIA TUTOY, ENSEIGNANTE, LÉA VALETTE, DOCTORANTE, PORTE-PAROLE DE LA COORDINATION NATIONALE DES UNIVERSITÉS.

Voilà huit semaines que l’université et la recherche françaises se sont arrêtées. Peu ou pas d’enseignements, des manifestations par dizaines, des établissements occupés ou bloqués, des responsables qui démissionnent, des rondes d’obstinés qui marchent sur les parvis, des cours hors les murs… Huit semaines d’inventions, de revendications et de mobilisation au cours desquelles Xavier Darcos et Valérie Pécresse ont choisi de ne rien entendre. Leur combat est perdu d’avance : on ne peut imposer une réforme sans l’assentiment de ceux chargés de la mettre en oeuvre. Cette réforme, parce qu’elle est inutile et dangereuse, parce qu’elle fait l’unanimité contre elle, ne pourra pas s’appliquer. Elle n’aura pas lieu.

Les universitaires en grève ? Ritournelle de printemps, que le public voit d’un oeil parfois lointain. Mais le mouvement en cours est inédit : parti des enseignants-chercheurs, il s’est étendu aux étudiants, aux autres personnels, et il ne fléchit pas. Il voit même se développer des signes de contagion dans le secondaire, le primaire, auprès des parents d’élèves, le tout alimenté par les autres secteurs en ébullition (hôpitaux, justice, transports, etc.). Le mois d’avril est déjà là et avec lui une perspective difficile à éluder : la France se prépare un printemps chaud. Et dans nombre de facs, le second semestre est compromis, au grand dam des étudiants et de leurs professeurs.

Xavier Darcos et Valérie Pécresse sont responsables du plus long mouvement de protestation qu’ait connu l’université depuis 1968. Arc-boutés sur les termes d’une réforme bâclée, ils n’ont rien écouté, rien compris, ni les avertissements nombreux avant la grève, ni la voix de toute une profession unanime, ni même les alertes issues de leur propre camp. Ils se livrent à de minuscules batailles, dénaturant des textes déjà passablement confus, résistant sur des broutilles et s’accrochant à des formulations incantatoires. Cette intransigeance, que l’on devine idéologique, empêche les universitaires de travailler et compromet les études de centaines de milliers d’étudiants. Et plus le temps passe, plus la communauté universitaire, mesurant les sacrifices faits depuis deux mois, se montre intraitable sur ce qu’elle demande depuis le début, sur tous les tons : le retrait pur et simple de réformes qui consacrent le dévoiement de l’enseignement supérieur et de la recherche.

Qui peut penser qu’il s’agit d’un simple mouvement d’humeur ? IUT, IUFM, universités, mais aussi laboratoires, revues ou sociétés savantes… des personnels aux usagers, la mobilisation est générale, quasiment unanime. Les menaces, les intimidations et la répression, policière ou financière, ne suffisent pas à la contenir ; comment pourrait-elle se satisfaire d’une « réécriture » ou d’un « accompagnement » des réformes contestées ?

Il est temps d’en finir avec tout cela : décret sur le statut des enseignants-chercheurs, mastérisation, contrat doctoral unique, démantèlement des organismes de recherche, suppressions de postes… Il est temps que ce gouvernement entende que personne n’attend plus de lui qu’il recule, mais bien qu’il renonce. Et que les deux ministres ne touchent plus à rien ; qu’ils retournent à leurs campagnes électorales futures et nous laissent à nos chères études (trop chères, parfois).

Pour que les choses rentrent dans l’ordre, de la maternelle à l’université, il suffirait que le gouvernement retire ses projets et désavoue leurs auteurs, assume les affaires courantes, revalorise ce qui doit l’être et donne les moyens pour que l’année se termine dans les meilleures conditions. Alors les cours pourront reprendre et les examens se tenir. Alors nous pourrons poser la question d’une alternative à la loi libertés et responsabilités des universités (LRU), dont chaque tentative d’application soulève un tollé.

Qu’il faille réformer le système public d’éducation, l’enseignement supérieur et la recherche, personne ne le nie. Mais tout le monde sait aussi que rien ne pourra se faire sans les acteurs concernés. C’est à la communauté universitaire, dont c’est la vocation et le rôle social, qu’il revient de discuter et de décider de ce que peuvent et doivent être l’autonomie et la responsabilité des universités. Au politique revient la charge d’en donner les moyens et la garantie. Des pistes pour d’autres réformes existent, des idées sont débattues depuis longtemps…

Cette réforme n’aura pas lieu, il faut en inventer une autre, plus ambitieuse, intelligente et partagée, pour assurer le futur de la recherche et de l’enseignement, qui sont l’enjeu majeur et le lieu où se joue l’avenir de nos sociétés en crise.