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Université : le mouvement d’opposition aux réformes Pécresse est-il devenu « très minoritaire » ?, par Jade Lindgaard, Mediapart, 22 avril 2009

mercredi 22 avril 2009, par Mathieu

Le passage du décret sur le statut des enseignants-chercheurs en conseil des ministres mercredi matin sonne-t-il le glas du mouvement dans les universités ? Il doit être publié au Journal officiel dans les deux jours, accompagné d’une circulaire d’explication, annonce l’entourage de la ministre : « C’est une étape supplémentaire de la réforme. Le président était très content ce matin ».

Le premier projet de décret modifiant le décret de 1984 qui organise en grande partie le travail des universitaires, dévoilé à l’automne dernier, avait mis le feu aux poudres dans l’enseignement supérieur. Il donnait la possibilité aux présidents d’université de réduire le nombre d’heures de cours de leurs enseignants les mieux évalués, pour qu’ils se consacrent à leurs recherches, et d’alourdir la charge des autres. Après plusieurs étapes de réécriture, le texte que le gouvernement s’apprête à promulguer conditionne la modulation de services à l’accord de l’enseignant-chercheur, et maintient le cadre national de son évaluation.

Des concessions jugées encore insuffisantes par les juristes du collectif de défense de l’université d’Assas, très engagé dans le mouvement, mais aussi le Snesup (syndicat majoritaire), Sauvons l’université, Sauvons la recherche et la Coordination nationale des universités qui continuent de demander le retrait du texte. Plusieurs recours de juristes devraient être déposés au conseil d’Etat dans les deux prochains mois. Sans grand espoir : en 1998, déjà saisi au sujet de la modulation des services il l’avait déclaré légale.

La promulgation du décret marque une première défaite pour le mouvement qui secoue les facs depuis près de trois moi. « Ils ont décidé de nous foutre à genoux, de nous casser complètement », soupire une universitaire très engagée dans le conflit. « C’est un passage en force, mais c’est un choix risqué », prévient Stéphane Tassel, nouveau secrétaire général du Snesup. « Moi, ça m’a redonné un coup de fouet ! » confie un juriste, opposant du premier jour au décret.

"Ceux qui ne s’opposent pas à la Lru sont en train de sortir du mouvement"

Pour le gouvernement, le mouvement est en reflux : « Il y a beaucoup moins de sites perturbés qu’il y a trois semaines, analyse l’entourage de Valérie Pécresse. A Saint-Etienne, les cours ont repris alors que ça a été longtemps bloqué, certains cours ont lieu à Paris4 qui était fermé depuis des semaines. Vingt-cinq universités ont commencé les cours de rattrapage. Ceux qui ne s’opposent pas à la LRU sont en train de sortir du mouvement. »

Combien d’universités sont encore en grève en cette fin avril ? Le compte est très difficile à tenir : deux zones sont encore en vacances, la mobilisation est très localisée, parfois au niveau d’un département. Pour Stéphane Tassel, secrétaire-général du Snesup, « à des niveaux différents, toutes les universités sont dans la mobilisation ».

Mercredi matin, François Fillon explique (sur France Inter) : « Il y a encore un mouvement très minoritaire dans l’université. Il était très important il y a quelques mois. Il ne l’est plus aujourd’hui (...) Il faut que ce mouvement s’arrête car il est très minoritaire ». Selon le premier ministre, il n’y aurait plus qu’entre 20 et 25 établissements « affectés par ce mouvement » sur « une centaine » d’universités. Une fois corrigé le nombre de facs –83 en tout et pour tout– les chiffres de Matignon sont plus ou moins confirmés par l’entourage de la ministre de l’enseignement supérieur : « C’est à peu près ça, c’est plutôt entre 15 et 20 » universités touchées par le mouvement. Soit près d’un quart des établissements. « C’est énorme ! », se réjouit Jean-Louis Fournel, président de Sauvons l’université. Il y a un mois, le ministère recensait une douzaine d’universités en grève. « C’est donc en forte augmentation », ironise Fournel. « Ça a monté mais maintenant c’est en baisse, ça évolue » riposte l’entourage de Valérie Pécresse, « c’est de toute façon beaucoup moins qu’en 2007 », contre la loi sur l’autonomie des universités.

« On ne peut pas s’arrêter »

A en croire Sarah Hatchuel, l’une des porte-parole de la coordination nationale des universités réunissant des délégués des établissements entièrement ou partiellement en grève, l’intervention de François Fillon a été immédiatement suivie d’une pluie de mails intitulés « on continue » sur leur liste de diffusion. 51 universités étaient représentées lors de leur dernière assemblée générale le 6 avril, soit plus du double que les chiffres avancés par le premier ministre mercredi matin.

Combien seront-elles le 29 avril, date de la nouvelle réunion de la coordination ? « Autour de 70 », espère Sarah Hatchuel, soit autant que lors de leur première assemblée, le 2 février, qui avait déclaré la grève générale à l’université. Selon la coordination, la mobilisation pourrait repartir de plus belle à l’issue des vacances de Pâques : des enseignants signent des pétitions demandant à leur président de ne pas faire remonter leur nom au ministère pour constituer les jurys de bac –obligatoirement composés d’un universitaire– à Paris4, Grenoble, Aix-en-Provence, Grenoble, Rouen, Caen, Le Havre. Certaines voix du département de sociologie de l’université de Perpignan proposent de noter 20 systématiquement toutes les copies d’examen. « On commence même à parler de ne pas reprendre les cours à la rentrée de septembre », ajoute la porte-parole.

Sauvons la recherche va organiser une nouvelle édition de son « Academic pride ». Pour sa présidente, Isabelle This, « il n’y a aucun soutien à Valérie Pécresse dans la communauté universitaire. Les manifestations ont réuni 100.000 personnes, toutes les grandes personnalités scientifiques ont dénoncé la modulation de service et la masterisation de la formation des enseignants ». La pétition de soutien aux réformes de Valérie Pécresse a recueilli... 323 signatures, selon le décompte tenu par Alain Herreman, membre du collectif Maths Rennes 1. Un autre, juriste en pointe dans le mouvement, explique : « Je vais continuer à me battre. Passer ce décret en pleines vacances, c’est une provocation. Ça va tendre le conflit, le radicaliser encore plus ». Mardi après midi devant le conseil d’Etat, la ronde des obstinés qui tournent depuis des semaines pour exiger le retrait du décret a réuni plusieurs centaines de personnes.

Depuis le départ, l’ampleur de la grève et de la mobilisation dans les universités est difficile à suivre. En dépit de leur engagement dans le mouvement, les syndicats traditionnels et les collectifs plus récents Sauvons la recherche et Sauvons l’université n’en n’ont été ni les meneurs ni les initiateurs. Ce sont des collectifs locaux, UFR par UFR, discipline par discipline, qui sont entrés les uns après les autres dans la contestation, tissant progressivement un réseau militant inédit. Sans porte-parole identifié, sans leader personnalisé.

Ronde des obstinés, « grève active », rétention des notes : les formes d’action choisies échappent au répertoire classique d’actions et aux habituels instruments de mesure. Mais elles offrent aussi des possibilités de poursuite d’actions compatibles avec un retour progressif « à la normale » et à la tenue des examens de fin d’année. Pour Sarah Hatchuel, porte-parole de la Coordination : « On ne peut pas s’arrêter. Si on s’arrête, c’est la fin de notre métier ».

Avec cette animation, vous pouvez retrouver nos principaux articles consacrés à la mobilisation des universités contre la réforme de Valérie Pécresse.