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Déjà une université à deux vitesses… - Mireille Poirier, mcf en droit privé à Bordeaux IV, "L’Humanité", 22 septembre 2009

mercredi 23 septembre 2009, par M. Homais

Il y a un an, l’université Paris-II innovait en créant un « collège de droit ». Depuis, d’autres universités semblent vouloir emprunter ce chemin : Paris-I, Montpellier, Toulouse, Bordeaux-IV… Rappelons de quoi il peut s’agir en prenant appui sur l’exemple de Paris-II.

Des étudiants triés sur le volet [1] se voient proposer une formation s’ajoutant au cursus de base. Ainsi, à Paris-II, l’an dernier, seuls les bacheliers ayant obtenu une mention très bien au baccalauréat [2] ont pu s’inscrire au tout nouveau collège de droit. Moyennant 200 euros [3], ils ont suivi, dans l’année, 130 heures d’enseignement complémentaire dans plusieurs disciplines : philosophie et sociologie du droit, droit comparé, etc. Cela, à raison d’une heure trente à trois heures par semaine, par matière, et par groupe de trente étudiants [4]. En cas de réussite, ces étudiants ont obtenu le diplôme correspondant à la première année de droit, auquel s’est ajouté le nouveau diplôme préparé dans le cadre du collège de droit. Le système n’est pas figé : ceux qui n’atteignent pas le niveau requis par le collège de droit en sortent pour l’année suivante et réintègrent le cursus « standard » ; les meilleurs du cursus standard peuvent être admis au collège en deuxième année, etc. Cette innovation a été présentée comme une solution permettant aux universités d’entrer dans la « bataille de l’excellence » - entendez de « concurrencer les grandes écoles ». Et aujourd’hui, il serait question, pour les autres universités, de s’aligner sur le modèle initié à Paris-II, de manière à rester « compétitives » sur le marché de la formation universitaire. Bataille, concurrence, compétitivité… le langage est dans l’air du temps. Précisément, la création de ce type de filière « bis » pose des problèmes de fond, dont il convient de prendre la mesure. En premier lieu, il faut pointer la double concurrence qu’implique ce système.

Concurrence entre étudiants, tout d’abord, ceux qui auront eu la chance de profiter des enseignements délivrés dans le cadre du collège de droit se plaçant en « pole position ». Mieux formés, ils seront mieux armés pour prétendre poursuivre leurs études, ou pour prétendre occuper un emploi. Surtout, en se fondant dans un tel système, les universitaires acceptent, à grande échelle, de former deux catégories d’étudiants : les « moins bons », largement majoritaires, dont la formation ne serait que « standard », et les meilleurs, en nombre très limité, qui se verraient offrir l’accès à des enseignements refusés aux « moins bons ». L’étudiant moyen ou bon, comme le meilleur, n’a-t-il pas besoin d’être formé aux fondements et à la philosophie du droit, à la sociologie et à l’histoire du droit, etc. ? L’ensemble des étudiants ne méritent-ils pas de bénéficier d’une « ouverture d’esprit », d’une « une culture générale juridique et extra-juridique » ?

Concurrence entre étudiants, mais aussi concurrence entre universités. En effet, les étudiants sont invités à partir à la chasse aux universités qui pratiquent les deux niveaux de formation - en espérant, bien entendu, être parmi les quelque 5 % de chanceux qui bénéficieront du meilleur niveau. La création du collège de droit par l’université Paris-II est le prélude à cette mise en concurrence : chaque autre université française n’est-elle pas invitée à suivre l’exemple ? À cet égard, le ministère de l’Enseignement supérieur porte une lourde responsabilité pour avoir habilité le nouveau diplôme d’université délivré par Paris-II, à la nocivité sans nulle autre pareille.

Il faut souligner, en second lieu, que ce système de formation universitaire « à deux vitesses » s’inscrit pleinement dans une logique de privatisation. En effet, la formation délivrée par le collège de droit de Paris-II emprunte la forme d’un diplôme d’université (DU), dont la création est rendue possible depuis fort longtemps. Ce qui change, c’est que le DU en question ne correspond pas à une quelconque spécialisation, comme il est de coutume, mais à un complément de la formation standard offerte à la masse des étudiants - complément destiné, et c’est nouveau, à renforcer la culture juridique générale d’une petite élite dès la première année d’études universitaires.

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[1Seulement 4,4 % des étudiants inscrits en première année de droit à Paris-II, Panthéon-Assas, à la rentrée 2008.

[2Environ 5 % des bacheliers chaque année.

[3Soit un montant supérieur aux frais d’inscription en première année de droit, à Bordeaux-IV (170 euros environ).

[4Conditions de travail idéales, qui n’ont rien à voir avec celles habituellement réservées en première année de droit : amphithéâtres de plusieurs centaines d’étudiants.