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Valérie Pécresse : "il faut trois grands pôles universitaires à Paris" - Entretien avec La Tribune, 29 septembre 2009

mardi 29 septembre 2009, par Chabadabada

Valérie Pécresse explique à La Tribune pourquoi la rentrée universitaire s’annonce sereine. La ministre de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche réaffirme aussi ses ambitions pour les universités parisiennes.

La Tribune - Vous avez promis une rentrée sereine mais certains syndicats estiment que les tensions restent fortes. Cela vous inquiète ?

- J’ai dit que les conditions me semblaient réunies pour une rentrée sereine. La réforme est en marche. Je serai très attentive à ce que cela se fasse le plus sereinement possible. Tous les sujets ne sont pas épuisés, c’est évident. La réforme de la formation des maîtres est sur les rails ; elle suscite un certain nombre de craintes et de questionnements. Je connais très bien la complexité de cette réforme qui est le préalable à la revalorisation des carrières des enseignants du premier et du second degré.

Mais j’aimerais que l’on n’oublie pas les bonnes nouvelles. Tout d’abord, en trois ans, nous avons ouvert 30.000 chambres dans le parc Crous, dont 12 000 cette année. Nous atteignons pour la première fois les objectifs du plan Anciaux et nous allons continuer en 2010. Nous avons aussi introduit la colocation dans le parc HLM avec la loi Boutin, nous travaillons sur les logements modulaires comme il en existe aux Pays-Bas ou en Estonie et, après Arras et Sourdun, avons six projet de réhabilitation de casernes. Quant aux bourses, elles ont été augmentées de 1,5 % dans un contexte d’inflation négative et le nombre de bénéficiaires a progressé de 10 %. C’est un effort sans précédent. Et cela avant même que le Président de la République ne dévoile son plan jeunesse aujourd’hui.

- La réforme du statut des enseignants-chercheurs vient d’entrer en vigueur. Il n’y a plus de contestation à redouter ?

- Le plan de revalorisation des carrières des enseignants-chercheurs et des chercheurs qui accompagne cette réforme prévoit le doublement de toutes les promotions de grades, de nouvelles primes d’excellence scientifique, l’augmentation considérable des primes de responsabilité pédagogique (jusqu’à 15.000 euros), le doublement des primes pour les chercheurs qui enseignent et une augmentation de 20 % de l’enveloppe de primes pour les personnels. Et toutes les universités devenues autonomes ont obtenu une enveloppe de primes majorée de 10 % pour tous leurs personnels. A cela s’ajoute le contrat doctoral qui permet enfin de reconnaître le doctorat comme une expérience professionnelle. En prenant en compte les années doctorales et post-doctorales des jeunes maîtres de conférences recrutés en 2008-2009, nous faisons progresser leurs salaires entre 12 % et 25%. Désormais, un jeune maître de conférences démarre à un salaire de 2.340 euros brut minimum. A une époque, on recrutait les docteurs à 1.500 euros. Enfin, je rappelle qu’il n’y aura pas de suppressions de postes dans l’enseignement supérieur et la recherche. Mieux, en 2008-2009, nous avons même recruté 85 enseignants-chercheurs supplémentaires du fait d’une meilleure gestion des emplois.

- Vous avez instauré l’égalité entre TP et TD dans le décompte des services des enseignants-chercheurs mais certains syndicats craignent que son application n’entraîne des inégalités.

- C’était une revendication historique de tous les syndicats et cela constitue une avancée spectaculaire pour les filières scientifiques car jusqu’à présent, on ne reconnaissait pas les travaux pratiques à leur juste valeur. Certains demandent à ce que cette mesure s’applique aussi aux vacataires. D’une manière générale, qu’il s’agisse des accélérations du début de carrière ou des nouvelles bonifications de rémunérations, je m’engage à faire examiner les situations individuelles afin de permettre à chaque membre de la communauté universitaire de bénéficier des effets positifs du plan de revalorisation.

- Votre budget est en augmentation et vous avez largement bénéficié du plan de relance. Mais les étudiants français restent moins bien lotis que dans la plupart des grands pays industrialisés...

- Il y avait un réel retard de l’investissement de l’Etat dans l’université. En 2007, la dépense annuelle par étudiant était de 7.200 euros, contre 10.000 euros par lycéen. C’est un déséquilibre inacceptable pour un pays développé. En 2009, nous atteignons 9.132 euros par étudiant. L’objectif est d’arriver à au moins 10.500 euros d’ici 2012. Depuis 2007, les moyens dédiés à l’enseignement supérieur et à la recherche augmentent de 1,8 milliard d’euros par an. Et en 2009, grâce au plan de relance, s’y ajoutent 730 millions d’euros. Nous sommes aujourd’hui dans une logique de rattrapage : c’est donc le contraire de ce que craignent les adversaires de l’autonomie, puisque celle-ci s’accompagne d’un engagement financier massif de l’Etat pour ses étudiants. Pour preuve, nous venons de transmettre à toutes les universités leur budget consolidé avec les dotations d’Etat. En moyenne, l’année dernière, leur budget de fonctionnement et d’investissement a augmenté de 20 %, hors plan Campus.

- Mais toutes ne sont pas logées à la même enseigne. Certaines n’ont-elles pas vu leur budget baisser ?

- Non. Tous les budgets ont progressé d’au moins 10 %. Certaines universités ont bénéficié de 100 % de hausse, car cela dépend aussi de la vétusté des locaux, des projets immobiliers... Toutes les informations sur ces budgets au profit des universités sont désormais disponibles sur le site du ministère, de même que les informations sur les revalorisations de carrières. L’effort de l’Etat va très vite devenir visible dans chaque université. Si les gouvernements ont peu investi par le passé - à droite comme à gauche- c’est faute de réforme. Les moyens nouveaux sont la contrepartie de l’autonomie qui se met en place aujourd’hui.

- N’y a-t-il pas un risque de favoriser les universités très réputées au détriment des petites moins prestigieuses ?

- Non. Au contraire, l’autonomie donne une prime aux universités en initiative. Et permet de distinguer celles qui bougent et qui changent. La semaine dernière, j’ai souhaité inaugurer une unité Inserm mixte à Paris XIII, lieu d’excellence en hématologie. Pourquoi ? Parce que cette unité a failli ne pas voir le jour, l’Inserm préférant regrouper ses unités d’excellence dans une grande université parisienne. Ce n’était pas ma vision ; pour moi, l’autonomie doit libérer les énergies et le seul critère pour labelliser une unité de recherche doit être l’excellence scientifique. Quand un laboratoire est évalué A+, qu’il soit à Paris XIII ou à Paris V, l’Inserm doit l’accompagner. C’est une question de stratégie scientifique pour le pays. Autre exemple souvent cité, celui de La Rochelle. Ses équipes se sont battues pour obtenir l’autonomie. Depuis, La Rochelle est considérée comme pionnière et a élaboré un projet pédagogique innovant. Auparavant, les moyens étaient seulement alloués en fonction du nombre de mètres carrés et du nombre d’étudiants inscrits. La grande difficulté aujourd’hui est de combattre les idées reçues. Or, l’université change de visage, entre dans le XXIe siècle à grandes enjambées, se rapproche des grandes écoles. Nous sommes partis de 85 universités et 225 écoles ; à la fin de l’année, nous aurons restructuré le paysage en 15 grands pôles de recherche d’enseignement supérieur (PRES) grâce au ciment financier de l’opération Campus.

- 18 universités ont accédé à l’autonomie au début de l’année. Mais certains présidents d’université se plaignent d’être trop contrôlés et demandent une refonte du système d’allocation des moyens...

- Demandez-vous plutôt pourquoi 33 universités supplémentaires ont demandé et obtenu l’autonomie pour 2010 ! C’est que le bouche à oreille a été bon... Cela dit, certains établissements ont eu besoin d’être accompagnés par l’administration au démarrage. Développer le contrôle de gestion, la gestion des ressources humaines, maîtriser sa masse salariale, cela ne s’apprend pas du jour au lendemain. Je ne vais pas laisser des établissements publics gérer plusieurs centaines de millions d’euros de budget transférées sans contrôle solide. Pour l’instant, aucun « bug » n’est à déplorer. La plupart des universités découvrent même de nouvelles marges de manœuvre après que je leur ai rappelé qu’elles peuvent disposer librement de tous les moyens du plan licence dès lors qu’elles remplissent leurs objectifs, et qu’une enveloppe de primes de 10 % supplémentaire allait leur être allouée. Quant au système d’allocation des moyens, nous allons le corriger à la marge. Le modèle est bon car il prend en compte la réalité de l’activité de l’université (le nombre d’étudiants présents aux examens, etc.) et ses performances. Il ne s’agit pas de changer les critères mais il est vrai que nous avions sous pondéré les licences. Nous allons les rectifier sur ce point, ce qui sera bénéfique aux IUT et aux universités intégrant de nombreux premiers cycles. De la même façon, nous avions sous-évalué la charge des coûts fixes pour les petites universités pluridisciplinaire de moins de 11.000 étudiants. Ces ajustements à la marge permettront de supprimer les inégalités de traitement.

- La réforme de la formation et du recrutement des enseignants menace-t-elle l’avenir des IUFM (instituts universitaires de formation des maîtres) ?

- Je rappelle que leur intégration au sein des universités s’est plutôt bien déroulée. Maintenant, au-delà même de la question des IUFM, il faut réfléchir à ce que seront les lieux de la formation des maîtres de demain. Luc Châtel, qui est issu du monde des ressources humaines, et moi-même sommes sur la même longueur d’ondes. Aujourd’hui, l’enjeu c’est la formation des maîtres tout au long de la vie, le retour à l’université des professeurs. On ne peut pas commencer une carrière de professeur des écoles ou du second degré en se disant que, pendant quarante ans, on va enseigner de la même façon. Cela donne aux universités avec leurs composantes IUFM une occasion formidable de devenir des lieux de formation tout au long de la vie. Les établissements vont devoir travailler différemment, évoluer en centre de ressources interuniversitaires et nouer de nouveaux partenariats avec les UFR disciplinaires... C’est un vrai défi.

- La question des stages en responsabilité devant une classe d’étudiants qui n’ont pas encore passé le concours inquiète aussi beaucoup la communauté enseignante.

- Aujourd’hui, les vacataires de l’Education nationale titulaires d’une simple licence peuvent remplacer un professeur à temps complet et cela ne choque personne ! Je fais aussi remarquer que les étudiants en 4ème année de médecine sont internes, font des gardes ; que les élèves d’école de commerce effectuent des missions de cadres dès leur 2ème année d’étude... Attention au discours idéologique. Nous créons un diplôme à bac+5 avec des stages en responsabilité offerts à des jeunes qui seront encadrés par l’université. S’il n’y avait qu’un seul élément positif de la réforme, ce serait celui-là : plus un seul étudiant ne passera le concours de professeur des écoles ou le Capes sans connaître la réalité d’une classe. Ma responsabilité en tant que formateur est d’offrir de la pré professionnalisation dans la formation des maîtres. Que les jeunes qui passent les concours le fassent en connaissance de cause.


- Vous venez d’annoncer 700 millions d’euros de dotations pour les campus parisiens, dont les contours ne sont toujours pas connus. Ou en est la mission que vous avez confié à ce sujet à Bernard Larrouturou ?

- En Ile-de-France, sur la période 2007-2013, l’Etat va dépenser 4 milliards d’euros en immobilier (logement étudiant, projets Saclay et Condorcet, Jussieu, Tolbiac, Clignancourt, rénovation de la Sorbonne, d’Assas, de la bibliothèque Sainte-Geneviève...), dont 700 millions dans le cadre de l’opération campus de Paris. Celle-ci a vocation à développer des structures interuniversitaires communes et à doter en capital les futures universités confédérales parisiennes et que l’on nomme des PRES (Pôles de Recherche et d’Enseignement supérieur). Que voulons-nous faire à Paris ? Un schéma directeur immobilier qui ait du sens en matière pédagogique et scientifique et qui soit le catalyseur de rapprochements ou d’alliances entre universités et grandes écoles parce que le paysage à Paris est trop morcelé et trop clairsemé entre les disciplines. L’idéal serait d’avoir trois grands pôles universitaires. L’Ile-de-France compte environ 550.000 étudiants, dont 300.000 à Paris. Le critère retenu est de 3.000 à 6.000 doctorants par pôle. Au-dessus de 6.000 doctorants, nous ne sommes plus dans les critères internationaux.


- La recomposition du paysage universitaire parisien entraînera-t-elle des cessions immobilières ?

- Bernard Larrouturou travaille avec les universités sur un certain nombre de projets immobiliers prioritaires, que nous voulons réaliser en concertation notamment avec la Région et la Ville. L’objectif est de passer de près de 120 sites immobiliers à une quarantaine et que chaque université se dote d’un schéma directeur immobilier avant d’obtenir la dévolution de son patrimoine qui est la deuxième étape de l’autonomie. Mais je tiens à ce qu’aucun bâtiment de prestige à vocation universitaire situé dans Paris ne perde cette vocation. Au contraire, j’aimerais récupérer certains bâtiments, notamment ceux des écoles qui partent sur Saclay ou Aubervilliers. Cette redistribution va nous permettre de donner de la cohérence.

- Qu’espérez-vous obtenir du grand emprunt ?

- Pour moi, le grand emprunt doit être l’occasion pour la France de faire un bond en avant scientifique et technologique. Nous avons lancé il y a 6 mois un grand exercice de prospective avec les chercheurs publics et privés et les associations : la Stratégie nationale de rechercher et d’innovation (SNRI). La SNRI a défini trois grands champs prioritaires (santé et l’alimentation ; énergie et environnement ; informations et nanotechnologies) pour lesquels des programmes de recherche ont été identifiés tels le séquençage du génome à haut débit, l’interface entre l’informatique et la biologie, le photovoltaïque... Pour moi, il y a plusieurs champs à couvrir : la recherche fondamentale, la recherche partenariale, les grandes infrastructures de recherche et la valorisation de la recherche pour stimuler les PME innovantes. Dans cet optique j’organise le 6 octobre un séminaire destiné à prolonger la SNRI et la traduire en projets concrets. Je proposerai à la mission Juppé-Rocard que l’on réalise des appels à projet. Je travaille avec Chantal Jouanno en matière environnementale, Bruno Lemaire en matière d’alimentation, Roselyne Bachelot et Christine Lagarde en matière de santé. Nous souhaitons faire émerger des projets d’excellence mondiale. C’est dans ce cadre que le chef de l’Etat souhaite voir créés « cinq instituts hospitalo-universitaires de rang mondial ».

Pour lire la suite et notamment les commentairesPropos recueillis par Clarisse Jay et Pierre Kupferman