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Une nouvelle épreuve évaluera l’« éthique » des futurs enseignants - Louise Fessard, Mediapart, 12 mai 2010

mercredi 12 mai 2010, par Elie

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Les futurs enseignants devront-ils prouver leur bonne moralité et leur allégeance à l’Etat ? En janvier 2010, une nouvelle épreuve orale portant sur la compétence « Agir en fonctionnaire de l’Etat et de façon éthique et responsable » avait été discrètement ajoutée aux concours enseignants. Une pétition, qui dénonce un « contrôle de moralité des futurs enseignants », a depuis recueilli plus de 4000 signatures de chercheurs et d’enseignants.

« C’est une vraie brèche dans le principe du concours républicain avec la possibilité de tester la convenance idéologique du candidat, estime un des professeurs, membre d’un jury de concours enseignants, à l’origine de la pétition. Il y a déjà un engagement implicite, quand on se présente aux concours, qu’on veut servir l’Etat : il n’ y a pas besoin de l’évaluer. » Il s’agit, pour le candidat admissible en fin de master 2, de faire un exposé de dix minutes à partir d’un document puis de s’entretenir dix minutes avec le jury. L’épreuve, qui sera éliminatoire en cas de zéro, deviendra effective en 2011 lors de l’entrée en application complète de la masterisation.

La publication, le 9 mai, d’exemples de sujets « Agir en fonctionnaire de l’Etat » sur le site du ministère de l’éducation (pour les professeurs des écoles et ceux du secondaire) n’a pas rassuré les pétitionnaires. Dans la plupart des cas, il s’agit pourtant de réagir face à des situations scolaires concrètes, assez anodines, même si parfois délicates : peut-on demander une contribution de 80 euros aux familles pour financer une sortie scolaire sans briser le principe de gratuité scolaire ? Que répondre à des parents prévenant de l’absence de leur enfant en dehors des congés scolaires pour cause de vacances au ski en famille ? Que faire face à des signes de maltraitance sur un jeune ? Et confronté à une bagarre dans un couloir de collège ?

Mais d’autres sujets pourraient porter à polémique. L’un d’eux aborde par exemple la question de la liberté pédagogique : que penser d’enseignants de mathématiques qui, au mépris de la décision de leur hiérarchie, décident d’organiser le soutien scolaire selon leurs souhaits ? Ce sujet « montre le risque évident de transformer l’épreuve en pure et simple épreuve de contrôle idéologique : un bon enseignant est un enseignant obéissant à sa hiérarchie », estime l’un des créateurs de la pétition.

Autre cas, l’un des sujets qui pourraient être soumis aux futurs professeurs des écoles porte sur l’intérêt de l’aide personnalisée, un dispositif mis en place par Xavier Darcos, l’ancien ministre de l’éducation, et que certains enseignants dits « désobéisseurs » ont ouvertement refusé d’appliquer (s’attirant d’ailleurs les foudres du ministère). Ces « refuzniks » auraient-ils dès lors été recalés s’ils avaient passé le concours nouvelle mouture ?

Plus d’exigences, moins de formation

De façon plus générale, la diversité des situations abordées exigera des candidats « une expérience du terrain non triviale ou alors une connaissance livresque impressionnante sur les détails de la vie d’un établissement », juge un universitaire parisien, missionné sur la réforme de la formation des maîtres. Des attentes très élevées au moment même où le gouvernement, avec la très controversée masterisation, réduit la formation pédagogique et professionnelle des futurs enseignants à la portion congrue. La plupart des syndicats (Fsu, Sgen-CFDT, Fep-CFDT, Se-Unsa, Sud-éducation, Fcpe et l’UNL) ont d’ailleurs protesté en boycottant la dernière réunion du Conseil supérieur de l’éducation (CSE) le 6 mai.

Ils désapprouvent notamment un projet d’arrêté du ministère de l’éducation et du ministère de l’enseignement supérieur qui supprime le cahier des charges national de formation des enseignants (défini par l’arrêté du 19 décembre 2006) pour le remplacer par une « simple mention des dix compétences requises pour exercer le métier d’enseignant » selon les parents d’élèves de la Fcpe. Dix compétences « très ambitieuses » d’après Thierry Cadart, secrétaire général du Sgen-CFDT, jusqu’alors considérées comme un idéal « pour avoir des enseignants parfaits ». « Or elles deviennent un critère de validation d’un enseignant dans le même temps qu’on supprime en grande partie leur formation professionnelle, reproche-t-il. C’est scandaleux : l’institution se donne une exigence sans s’en donner les moyens. » Le Sgen-CFDT a décidé de boycotter à nouveau le CSE reconvoqué le 12 mai considérant qu’il n’y avait « plus d’espace de dialogue avec le gouvernement ». Une mesure purement symbolique puisque l’avis de ce conseil n’est que consultatif.

Parmi les syndicats enseignants, seul le Se-Unsa, qui juge « primordial qu’un futur enseignant ait une idée de ce qu’est un fonctionnaire », et Sud Education, qui dénonce « la porte ouverte à un tri idéologique des enseignants », ont pris position sur cette nouvelle épreuve.

Lire aussi le billet de Claude Lelièvre, Quelle éthique des fonctionnaires qui relate la « tentative d’intimidation d’une fonctionnaire contestant la nouvelle organisation des concours de recrutement ». Et nos documents sous l’onglet "Prolonger".