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De la destruction du statut des enseignants-chercheurs. Une interprétation défavorable du décret statutaire d’avril 2009 par Jean-Didier Zanos, Université de Rouen

mardi 29 juin 2010, par M. Homais

Résumé : D’après le nouveau statut, un service complet d’enseignant-chercheur (E-C) est constitué d’un volume horaire annuel préalablement défini (1600 « heures effectives ») qui englobe toutes les activités (enseignement, tâches d’intérêt général, recherche). Il en résulte, selon une interprétation défavorable du décret statutaire, qu’avec 192 h éq-TD d’enseignement et une activité de recherche, un service n’est pas nécessairement complet. C’est le cas lorsque le président d’université décide que l’activité de recherche correspond à un volume inférieur à un demi-service.
Quand le service global est incomplet, le président est réglementairement fondé à demander à l’E-C de le compléter en effectuant des tâches d’intérêt général, car pour ces tâches aucune disposition statutaire n’exige l’accord de l’intéressé ; toutefois, si l’E-C donne son accord, ces tâches peuvent être remplacées par un surcroit non rémunéré d’heures d’enseignement.
Il convient donc, dans toute la mesure du possible, d’inviter de façon extrêmement pressante les élus des Conseils d’administration à prendre, sans attendre, des décisions de non modulation des services.

Selon une interprétation répandue et en définitive optimiste du nouveau statut des enseignants-chercheurs (E-C), aucune modulation du service d’aucune sorte, à la différence du projet initial, ne serait possible sans l’accord de l’intéressé. Seules des pressions diverses (du président, des collègues) pourraient y conduire. Une autre interprétation du décret statutaire, beaucoup plus défavorable pour l’ensemble des E-C, est malheureusement possible comme le suggérait Claude Guéant, Secrétaire général de l’Elysée, en déclarant peu avant sa publication : "Au final, le texte sera peu différent de celui qui a été mis [initialement] sur la table".

Préciser les contours d’une interprétation défavorable, comprendre les mécanismes réglementaires sur lesquels entend jouer le décret statutaire, peut s’avérer utile pour être mieux à même de le combattre et d’en prévenir les effets, notamment parce que les Conseils d’administration (CA) seront amenés à intervenir de manière déterminante dans sa mise en œuvre ou sa neutralisation.

D’après le décret statutaire (n° 2009-460 du 23 avril 2009), le service des enseignants-chercheurs s’élève désormais à 1600 heures annuelles, que le ministère qualifie « d’heures de travail effectif » dans un arrêté du 30/7/09 et que nous appellerons plus simplement « heures effectives ». Ce volume horaire englobe toutes les activités : enseignement, tâches d’intérêt général, recherche. Pour être tout à fait précis : un service complet comprend 1607 heures effectives correspondant « au temps de travail arrêté dans la fonction publique ». On se calera toutefois, par simple commodité de calcul, sur 1600 heures.

Comment passe-t-on d’un service complet de 1600 heures effectives à sa répartition entre les trois activités que constituent l’enseignement, les tâches d’intérêt général et la recherche ?

Pour l’enseignement, dans tous les cas : 192 h éq-TD = un demi-service complet = 800 H effectives. En la matière, la proportion est de règle. Par exemple : 200 H effectives = 48 h éq-TD (car un quart de 800 H effectives = un quart de 192 h éq-TD).

Pour les tâches dites d’intérêt général (TIG), dans tous les cas : 1 heure de TIG = 1 H effective. Dans ce cadre, les volumes horaires correspondant à chaque type de tâche seront fixés localement par les CA (encadrement de stages, projets tutorés, orientation active etc...)

En revanche, l’activité de recherche pourra être comptabilisée avec des volumes horaires différents selon les enseignants-chercheurs (E-C). Par décision du président, elle pourra compter dans certains cas pour 800 heures effectives, soit la moitié d’un service complet ; mais tout aussi bien, la recherche d’un E-C pourra être comptabilisée, par exemple, pour 1000 heures effectives, voire plus, ou bien au contraire, pour 600 heures effectives, voire moins. Ce qui donne, en suivant ces trois exemples, la typologie suivante.

1er cas : L’activité de recherche d’un E-C est comptée forfaitairement pour 800 heures effectives (par décision du président d’université qui arrête les services individuels, notamment après avis du directeur de composante et du directeur de l’unité de recherche).

Avec 192 h éq-TD d’enseignement, qui correspondent comme on l’a vu à 800 heures effectives, et avec 800 H forfaitaires de recherche, le service est complet. Il atteint 1600 heures effectives.

2ème cas : L’activité de recherche d’un E-C est comptée forfaitairement pour 1000 heures effectives (par décision du président qui fixe le service après avoir pris en considération l’ensemble des activités de l’E-C et leur évaluation par le Conseil national des universités, dans le cadre général défini toutefois par le CA pour la répartition des services entre les trois activités : enseignement, tâches d’intérêt général, recherche).

Avec 1000 heures forfaitaires de recherche et avec 192 h éq-TD d’enseignement comptant dans tous les cas pour 800 heures effectives, le service global atteint 1800 heures effectives. Il dépasse de 200 heures effectives les 1600 H d’un service complet. Or, comme on l’a déjà vu, 200 H effectives = 48 h éq-TD. Cet E-C devra donc se voir verser 48 h éq-TD en heures complémentaires.

Autre possibilité : déduire ces 48 h éq-TD des 192 h éq-TD de référence, ce qui donne par différence : 144 h éq-TD d’enseignement. Ainsi, avec 1000 heures forfaitaires de recherche et avec 144 h éq-TD d’enseignement, le service est complet.

3ème cas : L’activité de recherche d’un E-C est comptabilisée forfaitairement pour 600 heures effectives (par décision du président s’appuyant sur les « principes généraux de répartition des services » entre les trois activités votés par le CA, par exemple parce qu’il estime que l’activité de recherche de l’E-C n’est pas « reconnue comme telle » après consultation de l’évaluation par le Conseil national des universités, ou, plus simplement, en invoquant « l’intérêt du service » dont il est seul juge, notamment en cas de suppression ou de manque de postes).

Avec 600 heures forfaitaires de recherche et avec 192 h éq-TD d’enseignement qui comptent pour leur part pour 800 H effectives, le service global atteint seulement 1400 heures effectives (600+800=1400). Le service est incomplet : il manque 200 H effectives pour atteindre les 1600 H d’un service complet. Or on voit mal comment sur le plan réglementaire (en pratique c’est une autre affaire) un E-C pourrait rester durablement et délibérément avec un service incomplet.

Le président est donc juridiquement fondé à demander à l’E-C de compléter son service. Il peut lui demander d’effectuer les 200 heures effectives manquantes sous la forme de 200 heures de tâches d’intérêt général (TIG), car 1 H de TIG = 1 H effective. Ces 200 H de TIG représentent, par exemple, trois demi-journées de travail effectif par semaine pendant 4 mois (10 heures hebdomadaires pendant 20 semaines).

Du moins sur le plan réglementaire, l’E-C n’est pas en mesure de refuser ces 200 heures de tâches d’intérêt général demandées du fait d’un service incomplet. En effet, les TIG sont désormais susceptibles d’être une des parties constitutives d’un service, ce qui permet dans certains cas (service incomplet, mais aussi substitution à une partie des heures d’enseignement) de les intégrer dans les obligations de service, suivant les règles générales édictées par le CA pour la répartition des services entre les trois activités : enseignement, tâches d’intérêt général, recherche. De plus, pour les tâches d’intérêt général, aucune disposition statutaire n’exige expressément l’accord de l’intéressé.

Ainsi, avec 192 h éq-TD d’enseignement (correspondant à 800 H effectives), avec 200 heures de TIG et avec 600 heures forfaitaires de recherche, le service devient complet (1600 H effectives). Aucune heure complémentaire (HC) ne doit être versée.

Toutefois, s’il le juge opportun, le président peut proposer à l’E-C de remplacer ces 200 H de TIG par un enseignement supplémentaire non-rémunéré de 48 h éq-TD (car 200 H effectives = 48 h éq-TD), ce qui donne par addition : 192 + 48 = 240 h éq-TD d’enseignement. Si l’E-C accepte, il devra donner son accord par écrit. Avec 240 h éq-TD (après accord écrit) et 600 H forfaitaires de recherche, le service est également complet. Aucune HC ne sera versée.

Dans cette perspective, on peut même se demander si nombre d’E-C « modulés » de façon défavorable ne préféreront pas un surcroit gratuit d’enseignement, plutôt que d’être gratuitement transformés en « enseignant-chercheur-à-tout-faire », pour reprendre une expression déjà utilisée par d’autres collègues, forme de dénaturation profonde, et accrue, du métier.

La circulaire Pécresse

La circulaire ministérielle (n° 2009-1014 du 30 avril 2009) relative à l’application du nouveau statut des E-C n’est guère de nature à contrecarrer le mécanisme réglementaire décrit précédemment.

En premier lieu, selon la circulaire, le service ne doit pas s’écarter en moyenne sur une certaine période du service de référence composé d’un enseignement de 192 h éq-TD « et d’une activité de recherche reconnue comme telle par le Conseil national des universités ». Les E-C qui n’auraient pas une recherche « reconnue comme telle » ne sont donc pas concernés par cette circulaire.
En second lieu, le service ne doit pas s’écarter en moyenne du service de référence « sur une certaine période ». Mais quelle période ? Quelle est sa durée ? A dessein, on ne trouve aucune précision à ce sujet. Rien n’empêche donc de considérer que la période en question correspond à une carrière complète (environ 40 ans).

Pour le dire autrement, cette circulaire n’est guère opposable sur le plan juridique. Elle n’a pas de portée réelle et laisse toute latitude aux présidents et aux CA. En conséquence, même avec une évaluation très positive de sa recherche, un E-C ne sera pas à l’abri d’une modulation défavorable de son service, par exemple si le CA de son université décide d’accorder la priorité à la mission d’enseignement plutôt qu’à la mission de recherche, ou encore en cas de diminution de postes.

En résumé, la destruction du statut des E-C semble avérée, si ce n’est en pratique (pour l’instant), du moins sur le plan réglementaire et dans la mesure, toutefois, où l’on se calerait sur une interprétation défavorable du décret statutaire. En tout état de cause, l’indépendance et l’autonomie des E-C en matière de recherche ne trouvent plus de fondement sur le plan réglementaire.
Bien entendu, il conviendra de contester ce type d’interprétation défavorable dès que les présidents ou les CA commenceront à la mettre en avant. Mais il semblerait nécessaire, dès à présent, de solliciter les élus de façon pressante afin que les CA prennent par avance des décisions de non modulation des services, comme le permettent les textes, tout en persistant évidemment à demander l’abrogation du décret.

Quelques éléments d’analyse supplémentaires

1) L’ouverture des obligations de service aux tâches d’intérêt général, sous couvert de les « reconnaitre », est certes l’un des éléments majeurs de la destruction juridique du statut des E-C, car du coup le service est susceptible d’être réparti sur trois activités : enseignement, TIG et recherche, ce qui est l’une des sources de la flexibilité. Mais à elle seule, cette possibilité d’extension des obligations de service aux TIG ne suffirait pas. La destruction du statut repose surtout sur la conception d’un service complet, avec un volume horaire préalablement défini (1600 H effectives), qui vient se répartir sur ces trois activités suivant les principes généraux établis par le CA et qui organise la possibilité d’un service incomplet même avec 192 h éq-TD d’enseignement.

Les 1600 heures, en tant que telles, ne jouent pas le rôle central que l’on pourrait leur prêter. En adoptant l’heure équivalent-TD pour unité de compte (et non les heures effectives), le mécanisme fonctionne encore pour une très large part : si la moitié d’un service complet vaut 192 h éq-TD comme le stipule le nouveau décret statutaire, un service complet s’élève donc au double, soit 384 h éq-TD, volume global à répartir ensuite entre enseignement, tâches d’intérêt général et recherche, ces deux dernières activités étant elles-mêmes convertibles, ou encore comptabilisables, en heures équivalent-TD.

La référence aux 1600 heures sert principalement à évaluer les tâches d’intérêt général en heures effectives, ce qui était une demande pressante de la Conférence des Présidents d’Université.
De nombreux enseignants et enseignants-chercheurs considéraient jusqu’à présent, assez légitimement du reste, que s’ils effectuaient une heure de TIG, ils devaient être (ou auraient dû être) payés ou déchargés avec une heure équivalent-TD. Le nouveau statut introduit un coefficient ou un facteur proche de 4 car à très peu de choses près : 4 H effectives de TIG = 1 h éq-TD (division par 192, que l’on arrondit à 200, des 800 H effectives d’un demi-service). Ou ce qui revient au même : 1 H effective = 0,25 h éq-TD (de manière très précise, selon l’arrêté du 31 juillet 2009 portant sur le référentiel national des équivalences horaires : « une heure de travaux dirigés en présence d’étudiants correspond à 4,2 heures de travail effectif et une heure de travail effectif équivaut à 0,24 heure de travaux dirigés »). Il en résulte en particulier que les tâches d’intérêt général, si elles sont effectuées en heures complémentaires (supplémentaires serait ici le terme exact), seront rémunérées environ 10 euros de l’heure, montant assez proche du SMIC horaire.

2) Au sujet du service, un point important reste à préciser : un E-C à qui le président a attribué 800 H effectives (un demi-service complet) pour son activité de recherche, peut-il se voir imposer des TIG en substitution d’une partie de ses 192 h éq-TD ?

Réglementairement, rien ne semble s’y opposer, du moins si le CA de l’établissement en a décidé ainsi dans les règles générales (ou « principes généraux ») de répartition des services entre les trois activités (enseignement, TIG, recherche) qu’il a vocation à édicter et qui constituent l’outil essentiel de la modulation. Pour moduler les services, la mise en place préalable par le CA d’un référentiel local des équivalences horaires est également une condition nécessaire : il vient préciser les modalités pratiques d’intégration des TIG dans les obligations de service. D’où l’importance qu’il y a à faire prendre, dès à présent, des décisions de non-modulation par les CA.

3) Quelles conséquences pour les professeurs agrégés et certifiés (PrAg-PrCe) en poste dans les établissements d’enseignement supérieur ?

Le nouveau statut des E-C représente une menace imminente pour les PrAg-PrCe, d’autant que les deux ministères (Education nationale ; Enseignement supérieur et recherche) ont déclaré en mars 2010 leur intention commune de remettre en cause l’actuel statut des PrAg-PrCe.

Les deux ministères pourraient être tentés de définir le service avec 1600 heures effectives, éventuellement en « sortant » les PrAg-PrCe de leurs corps d’origine pour en faire des personnels d’université gérés localement, ou bien, s’il y a trop de difficultés politiques et juridiques (égalité de traitement au sein d’un même corps), de laisser en place les 384 h éq-TD temporairement, mais avec une répartition entre tâches d’intérêt général et enseignement à discrétion du président (en prenant prétexte, comme pour les E-C, de « reconnaître » les TIG). Dans cette perspective, au demeurant totalement inacceptable, un service composé par exemple de 80 H de tâches d’intérêt général (8 heures hebdomadaires pendant 10 semaines) et de 364 h éq-TD d’enseignement deviendrait imposable (car 80 H effectives = 20 h éq-TD). Autre exemple : 200 H de TIG (soit 10 H hebdomadaires pendant 20 semaines) et 334 h éq-TD d’enseignement. Tout ceci entrainerait une très profonde dénaturation du métier.

On aurait tort, en effet, de croire que l’enjeu, aux yeux du ministère et des présidents d’université, si on laisse de côté la question cruciale de la liberté de recherche, consiste uniquement à alourdir gratuitement le service d’enseignement des E-C. Il s’agit au moins autant d’alourdir, gratuitement ou à bon compte, le nombre d’heures des TIG qui vont se développer de façon exponentielle avec la future « licence progressive » de Valérie Pécresse et, plus encore, avec l’introduction massive de stages en entreprises dans le cycle Licence (encadrement, suivi, visite et soutenance des mémoires de stage), qui, devenant progressivement obligatoires à ce niveau, ont vocation à se transformer en industrie lourde avec pas moins de 100 000 nouveaux stages nécessaires selon l’évaluation du MEDEF. A quoi s’ajouteront les myriades de stages liés à la mastérisation des concours de l’enseignement (si celle-ci n’est pas remise en cause) qui mobiliseront en effet un suivi et des jurys « mixtes » (université/secondaire). Sans compter, à beaucoup plus long terme, la perspective d’enseignants et enseignants-chercheurs transformés tendanciellement en « plantes vertes », à demeure trente-cinq heures par semaine dans leur établissement, corvéables à merci pour toutes sortes de tâches autres que l’enseignement ou la recherche.