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Le grand emprunt pour les universités, miroir aux alouettes - par Daniel Steinmetz, L’Humanité, 2 septembre 2010

lundi 6 septembre 2010, par Laurence

Daniel Steinmetz est Secrétaire Général du Syndicat National des Travailleurs de la Recherche Scientifique (SNTRS-CGT).

Les alouettes, volatiles qui ne brillent pas par l’esprit, sont éblouies par les reflets du miroir et, une fois piégées, finissent en pâté. Actuellement, si une petite partie de la communauté scientifique semble aussi éblouie par le grand emprunt que les alouettes par le miroir, nombreux sont ceux qui préparent leurs réponses aux appels d’offres sans illusions, mais contraints par les besoins de financement de leur laboratoire ou de leur université.

Les 100  milliards du projet Juppé-Rocard se sont transformés en 35  milliards dont 21,9 relèvent de l’enseignement supérieur et de la recherche. Cette somme peut sembler considérable, car du même ordre de grandeur que les 23  milliards du budget annuel de la recherche et de l’enseignement supérieur. Mais les laboratoires et les universités ne profiteront pour l’essentiel que des intérêts du placement de cette somme. L’État emprunte auprès des marchés à un taux voisin de 2,5 % ; il distribue une petite partie des 21,9 milliards en crédits consommables et confie 17,7  milliards à l’Agence nationale de la recherche, qui les placera auprès de la Caisse des dépôts et consignations au taux de 3,5 %. Seuls les intérêts de ces placements seront distribués. La seule opération bénéficiant d’un milliard totalement consommable est celle du plateau de Saclay.

Le montage financier rompt avec le financement sur impôt et se veut conforme aux critères de Maastricht. L’Élysée a déjà déclaré que les intérêts payés par l’État seront compensés par la réduction des dépenses courantes. Quant au placement en capital, il n’augmentera pas la dette de l’État. Seule la crise financière a empêché le tandem Juppé-Rocard et le gouvernement de financer des fondations universitaires «  à l’américaine  » et de laisser les universités boursicoter. Les lourdes pertes boursières des universités anglo-américaines expliquent le choix de règles de prudence pour les placements à la Caisse des dépôts.

L’ensemble des projets du grand emprunt conduisent à la mise en place de cinq à dix grands sites universitaires. Ceux-ci seront dotés de 7,7  milliards en capital, courant 2011, dans l’opération Initiative d’excellence qui finalisera l’ensemble des appels d’offres. Cette logique de concentration sur quelques sites va appauvrir toutes les régions réputées non prioritaires. Il est temps de poser au niveau politique la question essentielle de l’aménagement équilibré du territoire. On avance de plus en plus clairement vers un système universitaire à deux vitesses. Il n’y aura pas plus de cinq instituts hospitalo-universitaires, pas plus d’une dizaine de sociétés d’accélération du transfert de technologies et pas plus de quatre à six instituts de recherche technologique.

L’appel d’offres Labex (laboratoires d’excellence) est l’exemple type de pilotage sur les critères que le gouvernement impose. Un milliard d’euros sera distribué en deux tranches, mais seuls cent millions seront consommables, le reste sera placé et rapportera environ trente millions par an qui seront distribués aux lauréats pendant dix ans. Alors, deux questions se posent : combien de lauréats et pourquoi ces procédures ? Les lauréats seront peu nombreux, car le ministère est critique vis-à-vis de l’Agence d’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur, qui a distribué trop de labels A+ aux laboratoires. La réponse au «  pourquoi  » est à trouver dans la logique même du système. Aucun financement n’échappe à la règle de mise en concurrence, ni à la volonté de liquider petit à petit les organismes de recherche et leurs prérogatives. Le CNRS et les autres EPST finançaient jusqu’à présent les laboratoires, ainsi que les équipements mi-lourds. Maintenant, Labex financera une partie des laboratoires, tandis que le projet Equipex financera les équipements mi-lourds. C’est la suite de l’agonie des EPST qui est programmée. Tous les projets devront mettre en évidence leur capacité à faire du retour sur investissement : prouver les liens avec le tissu économique local est quasiment obligatoire avec, si possible, une coopération avec les pôles de compétitivité. Les appels à projets vont également permettre le recrutement de personnels à statut temporaire, accentuant encore plus la politique de précarisation de l’emploi mise en œuvre depuis de nombreuses années. Les cinquante mille précaires de l’enseignement supérieur et de la recherche recensés par l’intersyndicale vont trouver bien saumâtre ce grand emprunt.

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