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"Je ferai grève car pour la première fois en 25 ans d’enseignement, j’angoisse" - Le Monde, 6 septembre 2010

lundi 6 septembre 2010, par Laurence

Un jour avant la mobilisation interprofessionnelle du 7 septembre sur la défense des retraites, le SNES-FSU, principal syndicat de l’enseignement secondaire, a appelé les professeurs à faire grève, lundi, sur des revendications spécifiques à l’éducation nationale – contre les suppressions de postes, la réforme des lycées et l’intégration cette année d’enseignants stagiaires sans formation préalable. La plupart des enseignants partagent les inquiétudes du SNES-FSU, mais se divisent quant à l’opportunité de cette journée de grève, trois jours seulement après la rentrée. Sélection de témoignages reçus au Monde.fr.

Pour lire ce papier sur le site du Monde

* Dépitée, révoltée et surtout triste, par EBM

Cela fait trois ans que j’enseigne. Mais bien plus que j’en rêvais. Il y a quatre ans, quand je préparais le concours, les remplacements non assurés par manque de remplaçants existaient déjà. Je connaissais également la désolation de mes futurs collègues devant le manque de moyens humains et matériels, pour mettre en application les objectifs couchés sur papier des programmes. J’étais donc avertie. J’ai pourtant la sensation d’être entraînée, malgré moi et toute mon envie de servir mes élèves, dans la funeste dégringolade de l’éducation nationale.

Dans le lycée où je travaille cette année, deux classes de seconde n’ont toujours pas d’enseignant dans ma discipline : aucun vacataire disponible et pas de poste ou demi-poste pourvu par le rectorat. Dans ce lycée, personne n’a prévu non plus comment mettre en place les nouveaux enseignements de seconde. C’est le b..., la colère et la tristesse de découvrir qu’il manque des salles et du matériel et que l’on ne pourra proposer aux élèves ce qui est préconisé dans les programmes. Comment les faire rêver dans ces conditions ? Donc oui, je serai gréviste, je serai devant mon rectorat. Pour l’honneur.

* Ma première année, une heure de cours me demandait six heures de préparation, par A.

Jeune enseignante de lettres classiques en lycée, je ferai grève le 6 septembre pour protester contre la diminution du nombre de postes : deux anciennes élèves, croisées ce matin, se plaignaient de se trouver dans des classes à 35 élèves. Plainte d’élève, pas d’enseignant. Je ferai grève aussi pour protester contre la réforme du concours. Je me souviens qu’il y a trois ans, lors de mon année de stage, une heure de cours de français, en seconde, me demandait six heures de préparation. On ne s’improvise pas professeur, il faut du temps pour préparer ses cours et il faut du temps pour apprendre de ses erreurs (c’est très formateur, les erreurs, mais seulement si on peut y réfléchir a posteriori). J’espère que les parents comprendront ces inquiétudes, car leurs enfants sont en première ligne.


* Nous nous préparerons à une grosse vague de démissions, par Caroline L.

C’est ma quinzième rentrée en tant que professeur de SVT. Cela fait sept ans que je suis dans le même lycée. Avec les suppressions de classes, les suppressions de postes, je dois cette année réaliser un complément de service de 6 heures dans un autre établissement. J’ai des secondes à 34 élèves, une terminale à 35 dans des classes ne pouvant accueillir que 32 élèves... Nous avons accueilli cette année une jeune "stagiaire" de français terrorisée par le fait que, devant assurer 18 heures de cours, elle doive préparer des élèves au baccalauréat sans aucune expérience professionnelle. Personnellement, j’ai beaucoup appris durant mon année de stage et mes 6 heures d’enseignement d’alors me suffisaient amplement. Il faut, pendant cette année, échanger avec les collègues, aller voir d’autres classes, avoir du temps pour préparer les cours. Nous nous préparons, d’ici quelques semaines, à une grosse vague de démissions de ces petits jeunes jetés en pâture.

* L’accompagnement personnalisé et l’exploration : des outils de com’, par Olivier L.

Je suis professeur de mathématiques en lycée dans les Ardennes. Je serai en grève lundi car la réforme proposée ne sert qu’à supprimer des postes au mépris du travail que nous faisons avec les élèves. Lors de la réunion de pré-rentrée, nous avons compris avec mes collègues que l’accompagnement personnalisé n’aurait rien de personnalisé et rien d’un accompagnement, que les modules d’exploration ne serviraient qu’à occuper l’élève et pas à lui faire acquérir de nouvelles connaissances. Mais le pire, c’est que pour mettre ces "outils de com’", on a retiré des heures de français, d’histoire-géographie et de sciences. On prend les Français pour des idiots. J’espère qu’un maximum de collègues réalisera que la situation peut changer plus facilement si on se mobilise tout de suite et que les parents prennent enfin conscience que c’est pour l’avenir de nos enfants que nous nous mobilisons.

* J’ai entre 33 et 36 élèves par classe, par Grégoire N.

Le 6 septembre, je ne ferai pas cours à mes classes de seconde et de première STG parce que j’aime mon métier d’enseignant et qu’on est en train de le massacrer.
Après la multiplication des suppressions de postes (dix postes supprimés en 2 ans dans mon lycée de cent profs), des salaires de plus en plus étriqués, des classes de plus en plus chargées (cette année j’ai entre 33 et 36 élèves par classe), où je ne peux quasiment plus rien faire pour les élèves en grande difficulté... Y’en a marre ! Mes parents, ouvriers agricoles, ne savaient ni lire, ni écrire le français. Je dois beaucoup à l’éducation nationale et j’ai voulu, en choisissant ce métier, rendre un peu ce que j’avais reçu. On ne m’en donne plus les moyens.

* Je fais grève pour hurler à la mort de l’école !, par Caroline L.

Lundi, j’ai mes terminales. Mais je fais grève quand même. Je ne supporte plus le silence autour des réformes qui détruisent notre société. Comment un gouvernement peut-il, sans état d’âme, mettre à plein temps des stagiaires sans formation ? Les faire remplacer par des étudiants en master non reconnus comme étant aptes à enseigner ? Faire croire aux parents que les élèves de seconde vont être suivis personnellement alors qu’ils seront au mieux dix-huit pour l’accompagnement personnalisé ? Hier, notre proviseur nous a annoncé que des élèves n’avaient eu aucun de leur trois vœux d’enseignement d’exploration parce qu’il n’y avait pas de place et qu’il était impossible de faire les emplois de temps...

Au collège, on propose une nouvelle épreuve au brevet : histoire des arts. Avec un enseignement assuré par des professeurs d’arts plastiques ? Ben non, voyons : ce sont tous les professeurs qui s’y collent. Quel mépris pour l’enseignement des arts ! Autre perle : le B2i [brevet informatique et Internet, qui sanctionne, dans le primaire et le secondaire, les compétences numériques]. Il faut préparer tous les élèves de collège à utiliser l’outil informatique avec une salle informatique de quinze postes pour un collège de cinq cents élèves !

* Il faut du temps partagé et non un zapping organisé, par Pascale B.

J’enseigne dans un lycée de Seine Saint-Denis classé sensible. Cette année, le rectorat m’a attribué un jeune stagiaire que j’ai refusé de prendre en charge officiellement. Bien sûr, avec mes collègues, nous l’aiderons autant que nous le pouvons. Il faut toutefois savoir que la prise en charge d’une classe demande presque deux mois : il faudrait donc qu’au moment où les classes "tournent" et où nous pouvons enfin assurer une vraie progression, nous abandonnions ces classes à un étudiant peu expérimenté ! Mes élèves auraient trois profs minimum dans l’année, trois profs qui s’useraient sans jamais voir les fruits de leur énergie. Le ministère montre une méconnaissance totale de ce qu’est un lycéen, mais aussi un enseignant ou un parent. Ce ministère omet que chacun des partenaires est un être humain, ce qui implique la mise en place d’une relation interactive entre enseignants, CPE, administration, élèves, parents. Pour cela, il faut du temps partagé et non un zapping organisé.

* Pour la première fois en 25 ans d’enseignement, j’angoisse, par Chantal F.

J’enseigne depuis plus de 25 ans. J’ai fait grève dans le passé et puis plus du tout, car à quoi bon ? Mais ce lundi 6 septembre, j’ai décidé de faire grève. Pourquoi ? Professeur passionnée, ouverte au changement pour faire évoluer les pratiques pédagogiques et adapter l’école aux évolutions de notre société, je réalise que les réformes qui se mettent en place aujourd’hui mettent en danger notre système éducatif. Je ne comprends pas la réforme des lycées. Je ne comprends pas la nouvelle formation des professeurs. J’ai "récupéré" – à la dernière minute – une stagiaire et pour la première fois dans ma vie professionnelle, j’angoisse. La charge de travail et la responsabilité du tuteur sont devenues énormes. J’ai peur que beaucoup de stagiaires ne se découragent très vite et je crains beaucoup de souffrances, avouées ou non. Enseigner aujourd’hui implique un investissement de tous les instants, une forme physique et psychologique infaillibles. Je ferai cette grève car à 55 ans,je me dois de réagir même si ce n’est qu’un acte symbolique. Je fais grève pour ma stagiaire, pour "m’excuser" de participer à cette réforme...

* Une carrière de soldat de bataillon disciplinaire, par P.-P.

Professeur certifié (avec bac+8), je partirai en retraite le 1er janvier 2011. Pourtant, je ferai grève. Un enseignant de lycée avant 1940 avait un déroulement de carrière (indices comparés) identique à celui d’un officier passé par Saint-Cyr. Ma génération a eu un déroulement de carrière comparable à celui d’un sous-officier. Mais pour les jeunes qui prennent la relève, ce sera la carrière d’un soldat en bataillon disciplinaire à Biribi !

J’ai assisté à une longue dégradation des conditions de travail, accompagnée d’un discours officiel de l’administration chaque jour plus inepte. Je formule ici tous mes vœux pour que la nouvelle génération soit beaucoup plus combative que la mienne pour tenter de rétablir la situation et fournisse à l’opinion publique un portrait un peu plus exacte du métier d’enseignant et de la formation difficile qui est exigée. Ma grève, je la ferai pour soutenir mes jeunes collègues alors que j’entame mes dernières semaines d’activité.