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Le plagiat de thèse reste un tabou à l’université - Louise Fessard, Médiapart, 4 octobre 2010

mardi 5 octobre 2010, par Laurence

Pour lire cet article sur le site de Médiapart.

Face à la banalisation du plagiat grâce à Internet, plusieurs universités françaises s’équipent actuellement de logiciels anti-copie pour détecter les tricheurs parmi leurs étudiants. « Avec le copier/coller, un étudiant peut aujourd’hui faire un mémoire en une demi-journée, si bien que les enseignants-chercheurs passent presque autant de temps à vérifier l’originalité des mémoires qu’à les lire », regrette Alain Milon, professeur de philosophie à l’université Paris-X Nanterre. Mais que se passe-t-il quand le plagiaire est lui-même un universitaire en poste ?

« Ces dernières années ont vu un nombre croissant de fraudes d’étudiants et de saisies des commissions disciplinaires, explique Hélène Maurel-Indart, qui, la première en France, a abordé ce sujet dans son livre Plagiat, les coulisses de l’écriture. En revanche, le plagiat commis par les universitaires eux-mêmes reste un tabou. » D’autant que « ce n’est pas le même niveau de gravité, car les enseignants sont censés véhiculer un certain rapport au savoir », remarque Simone Bonnafous, vice-présidente de la Conférence des présidents d’université (CPU) et présidente de l’Université Paris-Créteil, qui veut croire à des « cas exceptionnels ».

Pas étudié, le phénomène est difficile à quantifier. Hélène Maurel-Indart, professeur de littérature à l’université de Tours, suppute « une croissance, liée comme pour les étudiants aux nouvelles technologies, d’autant plus que l’évaluation des universitaires, qui se fait désormais en fonction du nombre de publications, crée une pression à la publication ». Selon une étude menée par Six Degrés (qui commercialise le principal logiciel anti-plagiat) et l’université de Lyon en 2007 auprès de 1219 personnes (pour la plupart en école d’ingénieur), quatre étudiants sur cinq déclarent avoir recours au copier-coller et neuf enseignants sur dix ont déjà été confrontés à cette pratique. Des chiffres qui plantent le décor mais ne disent rien sur l’ampleur de la pratique chez les universitaires eux-mêmes.

« En France, les tricheurs sont couverts par le silence parce que les juristes ont décidé qu’il ne fallait pas citer les noms des plagiaires, dit Michelle Bergadaà, professeur de marketing et communication à l’université de Genève, qui a créé en 2004 un site consacré au plagiat universitaire. De plus, les universités françaises ne font rien, souvent par peur de jeter un discrédit sur le département concerné, mais aussi parce qu’elles ne savent pas quoi faire face à un enseignant en poste. » Aucune des personnes interrogées n’a d’ailleurs souvenir d’un enseignant-chercheur sanctionné pour pillage. « Au scandale du plagiat s’ajoute celui de l’étouffement », estime un enseignant de l’université de Picardie, récemment confronté à cette situation dans son UFR Arts.

Las de batailler en vain au sein du département Hypermédias de l’université Paris-VIII contre l’inertie voire « la complicité » protégeant les auteurs de plagiats, Jean-Noël Darde, maître de conférences en sciences de l’information et de la communication, a lui créé son blog en décembre 2009. « Nous sommes passés des mémoires plagiats aux thèses plagiats », soupire-t-il. Il dénonce « le traitement a minima souvent mis en œuvre par les instances universitaires face aux thèses plagiats lorsque ces instances sont en situation de ne plus pouvoir les ignorer. »

Mediapart a choisi de relater deux cas emblématiques et récents, l’un signalé par une lectrice, l’autre relaté par Jean-Noël Darde sur son blog. Les universitaires, qui, dans ces deux histoires, ont osé briser le tabou, en sont restés marqués. « Ces affaires-là, qui se passent avec des gens avec qui on travaille depuis des années, avec des amis, sont d’une violence dont on n’a pas idée », explique l’enseignant à l’université de Picardie déjà cité. « Tout ça nous a bousillés, raconte un autre enseignant de la même UFR Arts. On se sent une sorte d’inquisiteur, on se dit qu’on risque peut-être de mettre en l’air la vie d’un collègue. »

Plagiaire à Liège

Un enseignant-chercheur nommé directeur d’une école supérieure d’art, à Cambrai... malgré une condamnation en mars 2010 pour contrefaçon d’une thèse en histoire de l’art.

Malgré une condamnation en mars 2010 par le tribunal de grande instance (TGI) de Paris pour contrefaçon d’une thèse en histoire de l’art, AA est toujours responsable de deux départements au sein de l’université catholique de Lille. Il a même été nommé en mars 2010 directeur de l’école supérieure d’art de Cambrai, un établissement public dépendant du ministère de la culture, par le maire de Cambrai, François-Xavier Villain.

« Au niveau de l’image de l’école et sur le plan pédagogique, c’est une catastrophe, témoigne une enseignante de l’école d’art. Tous les enseignants savent très bien qu’il a été condamné, un communiqué anonyme a circulé, mais nous n’avons pas trop fait de pub à cette décision de justice car, après, comment aller dire à un étudiant de ne pas copier un article Wikipédia ? »

« Estimant avoir obtenu réparation de son préjudice en justice », selon son avocate Catherine de Gourcuff, BB, l’enseignant plagié, aujourd’hui professeur dans une école d’architecture, n’a pas souhaité s’exprimer. Fin 2007, il s’aperçoit, prévenu par son ancien directeur de thèse, que la thèse en histoire de l’art que s’apprête à soutenir un certain AA à l’université de Liège, en Belgique, ressemble étrangement à celle qu’il a lui-même soutenue avec succès en novembre 2005 à l’université de Paris-X Nanterre.

« Les responsables universitaires belges ont joué un jeu transparent et ont envoyé la thèse au plagié, alors que d’habitude on tente plutôt de camoufler ce genre d’affaires », salue Jean-Noël Darde. Aussitôt le plagiat reconnu, l’université de Liège annule la soutenance et exclut AA. Celui-ci soutient en octobre 2008, soit quelques mois après son exclusion de Liège, une thèse de philosophie à l’université Paris-X, sous la direction du philosophe Alain Milon.

« La thèse faite à Paris-X Nanterre sous ma direction ainsi que sa qualification CNU (qui permet de devenir maître de conférences ou professeur d’université, ndlr) ne sont absolument pas mises en cause, affirme ce dernier, une fois mis au courant de la condamnation pour plagiat. Mon étudiant s’est inscrit avec moi en novembre 2005 sur un sujet de thèse autour de Blanchot, sujet qui n’a strictement rien à voir avec son premier travail en histoire de l’art et il a fait sa thèse en quatre ans en participant à tous mes séminaires de recherche. »

En mars 2010, AA est donc condamné par le TGI de Paris qui reconnaît « un plagiat servile de l’œuvre première » dans la thèse qu’il entendait soutenir fin 2007 à Liège. Une « exception » dans les affaires de plagiat universitaire, souligne Catherine de Gourcuff, selon qui « il semble que très peu de plagiés ont le courage de mener une action en justice, car le monde universitaire est un petit monde qui paraît craindre la publicité ». Reste que ce jugement au civil « ne règle en rien le lien entre l’université française et le plagiat, puisque l’université catholique de Lille garde son plagiaire », estime Jean Noël Darde.

Le TGI renvoie en effet, concernant le poste de AA à l’université catholique de Lille, « aux autorités universitaires » à qui il « appartient de faire des choix dans l’attribution des postes d’enseignants en tenant compte des manquements commis par certains et des mérites de tous ». Dans un cas semblable de plagiat d’une thèse découvert avant sa soutenance, le Conseil national de l’enseignement supérieur et de la recherche (Cneser), saisi en appel, avait décidé en juin 2008 l’« exclusion définitive de tout établissement d’enseignement supérieur public » de l’étudiant fautif.

AA, joint au téléphone, assure, lui, ne s’occuper, à l’université catholique de Lille et à l’école supérieure d’art de Cambrai, que de « tâches administratives et de gestion ». « La recherche et le projet pédagogique sont avant tout produits par l’équipe pédagogique », précise-t-il. Le nouveau directeur de l’école supérieure d’art de Cambrai met cette affaire sur le dos d’une « campagne locale de harcèlement », avec « des lettres anonymes » reçues depuis qu’il a pris, à son arrivée à la tête de l’école, la décision de ne pas reconduire trois enseignants.

Contactée, l’université catholique de Lille dit « suivre de très près l’affaire en cours » mais prétexte une « procédure d’appel en cours l’empêchant de s’exprimer sur cette question ». Sauf que AA reconnaît lui-même ne pas avoir fait appel et que le délai d’appel (un mois après signification de la décision) étant expiré, la décision du TGI est aujourd’hui « définitive », comme le confirme Catherine de Gourcuff. Evasif, AA ajoute juste qu’« il envisage d’autres recours avec son avocate ».

« On ouvre les fenêtres »

A Amiens, un doctorant, exclu en mai 2009 de l’université de Picardie pour avoir largement plagié sa thèse, continue pourtant à enseigner dans la même université.

Le 19 mai 2009, le conseil de discipline de l’université de Picardie Jules-Verne annule pour plagiat la thèse soutenue un an et demi plus tôt par CC, doctorant en arts plastiques. Le fautif a été exclu « en qualité d’étudiant, de tout établissement public d’enseignement supérieur pour une durée de deux ans ». La nuance « en qualité d’étudiant » a son importance, puisque CC, en tant que professeur agrégé, enseignait par ailleurs depuis dix ans à l’UFR Arts. L’ex-étudiant, exclu pour plagiat, continue donc, un an après, à assurer au sein de la même UFR ses 384 heures de cours annuelles.

Sans toutefois faire de recherche puisque la mission d’un professeur agrégé détaché dans l’enseignement supérieur est limitée à l’enseignement. « Ce qui explique que le plagiat de ce doctorant, qui relève d’une activité de recherche, n’ait pas de conséquences directes sur son activité d’enseignement », nuance Hélène Maurel-Indart.

« Mais un étudiant qui commet un acte aussi grave est normalement exclu à vie de l’université, car la thèse est le socle de l’université, le fruit d’un travail de cinq voire dix ans d’études, estime DD, l’un des deux enseignants de l’UFR Arts qui ont, en 2008, alerté le président de l’université Jules-Verne de l’existence d’un plagiat. Là, l’université fait comme le monde politique : elle accorde des circonstances atténuantes à ceux qui sont en poste, au lieu de considérer qu’il s’agit d’une circonstance aggravante. »

Révoltés par ce deux poids deux mesures, les deux enseignants en question ont depuis suggéré à deux reprises au président de l’université que le fraudeur quitte l’université et retourne enseigner en collège ou lycée. Leurs courriers sont restés sans réponse. « Cet enseignant a trahi un de ses étudiants ; il a trahi sa directrice de thèse ; il a trahi tout son département, raconte DD. Notre département a été profondément bouleversé et on a l’impression qu’on ne pourra plus travailler ensemble. On a essayé d’en parler à l’intérieur, ça n’était pas possible, alors on ouvre les fenêtres. »

Jean-Noël Darde relate en détail sur son blog la découverte du plagiat par un doctorant et ancien étudiant de CC, d’abord alerté par des emprunts à un de ses propres articles dans les 350 pages de la thèse soutenue avec succès par CC en décembre 2007. Jean-Noël Darde analyse également la décision a minima de la commission disciplinaire, qui s’est bien gardée de poursuivre plus avant les investigations entamées par le jeune étudiant sur le nombre d’emprunts de la thèse.

« En définitive, après analyse, on peut dire que l’intégralité du texte est plagiée sur d’autres travaux universitaires : c’est un patchwork de textes mis bout à bout », affirment les deux enseignants de l’UFR Arts. Tous deux décrivent une situation « intenable » au sein de cet UFR : « La principale victime des plagiats, le doctorant, et nous-mêmes, sommes vus comme des délateurs par certains collègues, et le plagiaire comme la victime d’une campagne de harcèlement. »