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Après les profs, l’éducation nationale supprime des milliers d’emplois aidés - Louise Fessard, Mediapart, 15 octobre 2010

dimanche 17 octobre 2010, par Elie

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Discrètement, depuis la rentrée 2010 et en plus des 16.000 suppressions de postes d’enseignants, les inspecteurs d’académie suppriment, au fur et à mesure de leur arrivée à échéance, des milliers de contrats aidés d’employés de vie scolaire (EVS), ces petites mains qui aident à faire tourner écoles, collèges et lycées. Un plan social géant, passé jusqu’ici sous silence, sauf dans la presse locale. « Ce sont des salariés isolés, avec des durées de contrats différentes, commencés à des moments différents, donc ça contribue à noyer le poisson », explique Dominique Thouby, chargée des questions revendicatives au Se-Unsa.

Et pourtant, depuis leur apparition en 2006, les EVS se sont rendus indispensables dans les écoles primaires où ils aident les directeurs et directrices dans leurs tâches administratives et accompagnent des enfants handicapés, et dans le secondaire, où ils font office de surveillants, d’accompagnateurs d’élève handicapé ou encore de médiateurs de réussite scolaire luttant contre l’absentéisme. Employés en contrats précaires (contrat d’accompagnement dans l’emploi et contrat d’avenir), ces personnels étaient environ 50.000 dans l’éducation nationale en juillet 2010 selon le Se-Unsa. Et à la rentrée prochaine ? Mystère car le ministère du travail, dont dépendent ces contrats, se garde bien de répondre. Jusqu’alors ces contrats étaient financés à 90% par l’Etat et 10% par l’employeur, ici l’éducation nationale. A la rentrée 2010, la contribution de l’éducation nationale passe à 20%, puis 30% en janvier 2011. Sans que le budget alloué augmente.

Dans les établissements scolaires des Bouches-du-Rhône, ce sont entre 600 et 700 contrats qui vont disparaître d’ici 2011, soit un tiers des EVS. Le retour de bâton n’a pas tardé dans les collèges sensibles des quartiers nord de Marseille. Au pied de la cité HLM Campagne Lévêque, le collège Jules-Ferry, qui a perdu cinq contrats aidés de surveillants cet été, a fait sa rentrée avec deux surveillants pour 490 élèves. Pas mal pour un collège qui cumule tous les dispositifs pour établissements difficiles que l’éducation nationale a pu produire au fil des ans : Ambition réussite, classé zone violence et établissement sensible, sans oublier le programme CLAIR créé à la rentrée pour les établissements « concentrant le plus de difficultés sur le front du climat et de la violence ». Mardi 5 octobre, les deux surveillants étant malades, le principal et son adjoint se sont retrouvés seuls face aux élèves. « Les gamins ont vite compris qu’il n’y avait personne qui notait les absences, personne pour les surveiller, raconte Céline Carriot, professeur de français. Il y a eu un mouvement de foule à la récréation de dix heures, les minots sont partis à cent d’un côté de la cour en courant. »

Des parents furieux

Cinq enfants ayant été légèrement blessés, les parents décident le 6 octobre de bloquer le collège et vont, accompagnés des représentants du Snes, réclamer des surveillants, le 11 octobre, à coup de sifflets, sous les fenêtres de l’inspection académique des Bouches-du-Rhône. « On a dit à l’inspection académique que s’il y avait d’autres incidents, ce serait grave pour eux : on leur a mis une belle frousse », sourit le conseiller général socialiste du canton, Jean-François Noyes, satisfait d’avoir obtenu quatre contrats de surveillants pour novembre. Quatre CUI (contrat unique d’insertion, la nouvelle mouture des contrats aidés dans le secteur non marchand) de 20 heures et d’une durée de six mois. « Et en avril, à la fin des contrats, on recommence ?, soupire Céline Carriot. On avance dans le noir. »

Furibards, une centaine de parents, en grande majorité des mères de famille, étaient présents au collège le 13 octobre pour décider de la reprise ou non des cours. Avec l’impression d’être « un peu délaissés parce qu’on habite les quartiers nord », explique la mère d’un garçon en troisième. Zouhra, aide à domicile et mère de deux collégiens, veut continuer le blocage bien que ça fasse « une semaine que les enfants sont tout seuls à la maison et hier ils se sont encore accrochés ! ». L’ambiance dans la cantine est électrique. Des parents proposent de bloquer la circulation devant l’inspection académique, une mère de famille suggère dans les rires « de prendre quelques enseignants en otages dans l’école ».

Le principal, Rodrigue Coutouly, un peu dépassé par la colère des parents, obtient finalement la fin du blocage, en promettant d’assurer la sécurité des enfants d’ici l’arrivée des nouveaux surveillants.

« J’ai peur que les parents continuent le mouvement et qu’on perde les quatre contrats obtenus s’ils se braquent comme ça », explique-t-il. A la sortie, les parents semblent déçus. « Le directeur nous dit que c’est une faveur que nous avait faite l’inspection académique, remarque Nadia, mère d’un collégien. Mais ce n’est pas normal, s’il y a 500 élèves et qu’il faut cinq surveillants, eh bien il faut cinq surveillants. »

Sa belle-sœur Nadia, qui avait obtenu une dérogation pour mettre sa fille en sixième dans ce collège « très réputé, avec des classes à projet », entend rester vigilante « jusqu’à ce qu’on ait des surveillants stabilisés ». « C’est là qu’on voit que les gens des quartiers nord croient à l’école », remarque Rodrigue Coutouly, « agréablement surpris » que « les parents se mobilisent comme ça alors qu’on entend partout qu’ils ne s’occupent plus de leurs enfants. »

« Mépris de l’employeur »

De l’autre côté du tableau, les EVS « ont été traités avec un mépris terrible par l’employeur, qui n’a pas rempli son contrat de formation et d’insertion professionnelle », estime Dominique Thouby. « Il y a eu des licenciements par SMS ; certains salariés qui avaient une promesse de renouvellement en juin, ont appris à la rentrée qu’on ne pouvait les reprendre alors qu’ils avaient refusé des offres de Pôle Emploi pendant les vacances », raconte-t-elle. A Marseille, Karima, 30 ans, Yamina, 53 ans, et Samia, 45 ans, toutes trois médiatrices de réussite scolaire au collège Arenc-Bachas, ont appris en septembre que leur contrat ne serait pas renouvelé en décembre.

Ces médiateurs de réussite scolaire avaient été recrutés à grand renfort de communication au printemps 2009 pour lutter contre l’absentéisme, dont Xavier Darcos voulait à l’époque faire « une grande cause de l’éducation nationale ». « C’est un vrai scandale car ils n’ont même pas été au bout des deux ans prévus, s’exclame Julien Huard, documentaliste au collège Arenc-Bachas. Il n’y a aucune continuité dans la politique du ministère. » « Ça marchait très bien : nous nous occupons des élèves exclus de cours, de ceux qui s’auto-excluent en allant directement à la permanence alors qu’ils ont cours, ainsi que des absents », décrit Karima.

Les trois femmes ont appris « sur le tas », sans aucune formation depuis leur embauche en juin 2009. « On nous a envoyées début octobre à la cité des métiers, on pensait qu’on allait nous aiguiller, nous proposer une formation mais c’était du pipeau, ils voulaient juste se servir de nous comme cobayes pour une étude de l’Afpa », dit Yamina. A 53 ans et sans baccalauréat, cette femme qui a commencé à travailler à 15 ans en Algérie, l’a « dans le baba ». « Nous sommes des bouche-trous, payés 800 euros pour 26 heures de travail, mais un emploi précaire, c’était mieux que rien », regrette-t-elle. « On les a utilisés puis on les a jetés », résume Dominique Thouby.