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Université : dans le maquis des réformes - Jade Lindgaard, Mediapart, 6 novembre 2010

samedi 6 novembre 2010, par Mathieu

Troisième article de la série "Université : les ratés de l’autonomie" publiée par Mediapart. Le premier peut-être lu ici et le second .

Pour lire l’article sur le site de Mediapart.

Peu d’étudiants dans les rues contre la réforme des retraites : les campus ont-ils été pacifiés par la loi sur l’autonomie ? Deux ans après son adoption, un an après le plus gros mouvement de contestation universitaire depuis 1968, Mediapart enquête sur les ratés de la LRU. Troisième contre-vérité de la communication triomphaliste du gouvernement : les universités sont devenues « fières ».

- L’université « a retrouvé sa fierté. Comme les grandes écoles, elles sont en train de se forger une identité propre : les cérémonies en toge de remise de diplômes s’y multiplient », Valérie Pécresse dans une interview au Parisien, le 13 septembre 2010.

Presque tous les universitaires contactés par Mediapart le long de cette enquête affichent plus qu’un malaise, un désarroi. « Le problème, c’est que la réforme n’est pas claire. On nous balance sans arrêt de nouvelles structures : ça nous fragilise car on ne sait pas où on va », explique Bastien François, directeur de l’UFR de sciences politiques de Paris-I. Les titulaires de contrats doctoraux doivent-ils enseigner ? Que faire si des membres extérieurs sont absents d’un comité de sélection ? Faut-il être dans un Pôle de recherche et d’enseignement supérieur (PRES) pour bénéficier de la manne du grand emprunt ? Où trouver des salles pour ses cours ? « On continue à ne pas savoir où l’on va, constate pour sa part un jeune maître de conférences de Nanterre : des universités de proximité ? Des diplômes plus élevés ? Les paramètres changent tout le temps. »

« Les enseignants-chercheurs sont démotivés, ils se sentent déresponsabilisés : on devient les instruments d’une politique qu’on ne fait pas. On nous dit : “On va compter ce que vous faites.” Il y a du coup la tendance à répondre : “On ne va faire que ce qui est compté.” C’est un ras-le-bol diffus », analyse un maître de conférences de Rennes-1.

Au malaise diffus s’ajoutent les messages de franche hostilité parfois envoyés à l’adresse des universitaires, preuves que les effets de la dégradation de l’image des facs depuis trente ans restent vivaces dans certains esprits. A l’université d’Auvergne, dont le président, Philippe Dulbecco, s’était vanté de diriger son établissement comme une entreprise (voir l’onglet Prolonger), les grandes sociétés du cru ont fait leur entrée au conseil d’administration de l’université. Lors de l’une des premières réunions, le représentant de l’une d’entre elles s’en prend aux enseignants « qui ne foutent rien », se souvient Antonio Freitas, élu Snesup.

Une autre fois, c’est le délégué de Limagrain, multinationale de la semence qui travaille notamment sur les OGM, qui dit : « Arrêtez de mettre développement durable partout » alors que se multiplient les offres de formation à contenu écologique. En introduisant les entreprises dans les CA, « la loi LRU ne crée pas les conditions d’un partenariat –qui peu s’argumenter à condition que ce soit la force publique qui pilote– mais une mise sous tutelle et un pilotage de la formation et de la recherche », analyse Antonio Freitas, pour qui « ces personnalités extérieures ne connaissent pas le milieu universitaire de l’intérieur et reformulent les arguments de la propagande gouvernementale ».

Une dernière anecdote met en cause directement l’attitude des responsables politiques vis-à-vis de l’université. Peu après son élection, Bernadette Madeuf, la présidente de Nanterre, rencontre Patrick Devedjian, président du Conseil général des Hauts-de-Seine, faisant suite à une demande de rendez-vous pour parler de ses projets. « Il a parlé de notre “usine à chômeurs” », se souvient un membre de la délégation, se demandant si c’était là une forme d’humour. Souvenir désagréable, qui pour le coup a suscité chez les représentants de la fac un réflexe de fierté bafouée mais pas découragée.

Au terme de cette enquête sur les ratés de la LRU, c’est un paysage universitaire éclaté, changeant et souvent inquiet qui transparaît. Il y aura un avant et un après autonomie des universités. Quoi qu’on en pense, qu’on en tire un bilan positif ou négatif, la réforme universitaire que Nicolas Sarkozy a voulu pour l’enseignement supérieur est bel et bien en train de produire ses effets.