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Da Dove Viene La Riforma ?/D’où vient la réforme ? - par Alessio Quinto Bernardi, étudiant en médecine à l’Université de Chieti, article publié le 4 décembre 2010 et traduit par SLU

mardi 7 décembre 2010, par Giovanni

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D’où vient la réforme Gelmini ? L’université des puissants

Que cette loi n’ait pas été écrite par le Ministre Gelmini, beaucoup l’avaient déjà sous-entendu. Certains ont pensé qu’il s’agissait du travail imaginatif d’experts particulièrement pointus du secteur et d’autres qu’on avait là une déclinaison de l’influence de Tremonti [ndt : l’actuel – et très puissant – ministre italien de l’économie et des finances] qui s’étend sur tous les organes de gouvernement.
En réalité la partie la plus importante et la moins contestée de la réforme a été écrite il y a plusieurs années et n’est rien d’autre qu’un copié-collé des propositions de l’association TreeLLLe présidée par Attilio Oliva (un des hommes de la Confindustria [ ndt : le MEDEF italien ] et ex-vice président de la LUISS [ndt : une « prestigieuse » université privée de Rome] que la ministre a traduit sans grande originalité en texte de loi.

Qu’est-ce que l’association TreeLLLe ?

Si vous allez sur le site www.treellle.org vous pouvez lire que TreeLLLe est une association à but non lucratif rigoureusement extérieure aux partis et aux gouvernements qui a comme objectif l’amélioration de la qualité de l’éducation (éducation, instruction, formation) dans ses différents secteurs et dans ses divers moments. L’association oeuvre collectivement au travers de l’élaboration de ses Quaderni [....] et leur diffusion destinée à informer les décideurs publics, les partis, les partenaires sociaux, les institutions d’éducation ; un lobby transparent donc pour diffuser des données, des informations, et des propositions auprès des responsables au niveau national et régional, auprès des parlementaires, des forces politiques. Et, comme nous allons l’analyser par la suite, les décideurs publics ont fait leur miel des propositions de cette association avec le projet de loi GeLLLmini qui fait de l’université une entreprise avec tout ce qu’il faut de “gouvernance”.
Jetons maintenant un coup d’œil à l’organigramme et aux soutiens les plus importants de TreLLLe. Commençons par l’Assemblée des membres fondateurs et des garants, expression du gotha des entreprises italiennes où nous retrouvons Fedele Confalonieri (alter ego de Berlusconi, président de Mediaset spa, membre du Conseil d’Administration de Arnoldo Mondadori spa, du Conseil d’Administration du quotidien Il Giornale, membre du directoire du bureau de la Confindustria et d’Assolombarda, président de l’Association Televisioni Nazionali, membre de la dirction d’Assonime, mais aussi mis en examen pour fraude fiscale par le tribunal de Milan et appelé à être jugé dans le cadre de l’affaire de la banqueroute de Hdc), Gian Carlo Lombardi (membre du Conseil d’administration de nombreuses sociétés et de l’université LUISS et de l’université catholique de Milan, président du collège de Milan, membre de la Fondation IRI, conseiller de l’ICE et du TCI, président du CFI, directeur de la revue des scouts "RS-Servire"), Luigi Maramotti (patron de Max Mara, appelé à être jugé pour fraude fiscale pour un montant de 10 millions d’euros entre 2004 et 2007), Pietro Marzotto (patron du groupe homonyme et mis en examen pour la catastrophe environnementale de Praia a Mare en Calabre), Attilio Oliva (voir plus haut), Marco Tronchetti Provera (Président de Pirelli & C. S.p.A., président de Pirelli Tyre S.p.A et de Pirelli & C. Real Estate S.p.A, vice-président de Mediobanca, membre du bureau exécutif de la Confindustria et du Conseil d’Administration de l’équipe de foot-ball F.C. Internazionale Milano S.p.A., conseiller auprès de la direction d’Assonime, membre de l’International Advisory Board d’Allianz, de l’International Council de la J.P. Morgan et de l’Advisory committee du Conseil du fond souverain lybien Libyan Investment Authority, président italien du Conseil pour les relations entre Italie et Etats-Unis, membre du Groupe italien de la Trilateral Commission, et lui aussi au centre d’une enquête pour des pratiques illégales au sein de la « Security » de Telecom) : hormis quelques exceptions il s’agit là d’un groupe d’hommes de qualité désintéressés, vous l’aurez compris. L’activité de l’association est sponsorisée par la Compagnia di San Paolo de Turin, par les fondations Pietro Manodori de Reggio Emilia, par la Cassa di Risparmio de Bologne, par le Monte dei Paschi di Siena, par la Cassa di Risparmio de Gênes et Imperia, par la Fondation Roma et par la Fondation Roma Terzo Settore.

Il faut bien faire cette réforme !

En sus des rapports évidents avec les pouvoirs forts de l’Italie, si nous avançons dans la lecture de l’organigramme, nous retrouvons parmi les éminents advisors de TreeLLLe le sénateur proche de G. Fini [n.d.t. : ancien responsable du parti néo-fasciste MSI puis du parti « post-fasciste » AN, actuel responsable d’un nouveau parti de droite créé après sa rupture avec son ancien allié Berlusconi, actuel président de la chambre des députés], Giuseppe Valditara, rapporteur en commission ad hoc de la Chambre des députés (est-ce un hasard ?) pour le projet de loi GeLLLmini. Bien que dans un premier temps les partisans de Fini (Granata, Moroni et Perina) se soient servis de la mobilisation étudiante en montant eux aussi sur les toits de la fac d’Architecture de la Sapienza, il est notoire qu’ils tiennent beaucoup à l’approbation de ce projet de loi sur la réforme universitaire. [...] Est-ce encore un hasard si l’approbation de la loi est aussi chaudement recommandée par la présidente de la Confindustria, Emma Marcegallia, qui tout en regrettant le renvoi de la discussion au Sénat déclare qu’il s’agit d’une réforme structurelle qui va dans la bonne direction, récompense le mérite et conditionne la compétitivité de notre pays ?.

Et on y met aussi la loi 133/2008

Si on insère dans ce tableau ce qui est établi par l’article 16 de la loi 133/2008, à savoir la possibilité de transformer les Universités en fondations de droit privé, tout devient plus clair : on est en face d’une incontestable tentative pour vendre l’université publique aux intérêts privés et à la logique du profit, en posant comme seul étalon de la qualité de la formation l’état du budget et non la production de savoirs. Les fondations universitaires interviennent dans tous les rapports juridiques concernant les questions patrimoniales de l’université et c’est à elle qu’est transférée, par un décret du Domaine, la propriété des biens immeubles utilisés par l’Université. Le tout évidemment sans impôts. Je me demande s’il est admissible qu’une loi de l’Etat puisse instituer la dévolution du patrimoine public à une personne privée. En outre, on a prévu la possibilité de faire entrer dans la fondation universitaire de nouveaux sujets publics ou privés. Et évidemment les fondations universitaires adoptent un règlement universitaire pour l’administration, les finances, et la comptabilité – y compris en dérogeant aux normes des règles de la comptabilité publique.

Les propositions de l’association Treellle deviennent la loi Gelllmini

La “gouvernance” qui est à la base de la réforme actuellement en discussion se retrouve dans le Quaderno n.3 des publications de TreLLLe. Ainsi pour ce qui concerne la "gouvernance" du système, on propose dans ce Quaderno de réaliser une Agence nationale d’évaluation autonome et indépendante, exerçant les fonctions d’une authority pour l’évaluation externe de la recherche, de l’enseignement et des universités grâce à la transformation, en un temps raisonnable, des actuels organismes d’évaluation (Cnvsu et Civr). De l’autre côté, dans le projet de loi, cette proposition prend forme avec la création de l’Anvur (Agence nationale d’évaluation du système universitaire et de la recherche). D’autres propositions sont retenues par la loi comme celle de faire de la Conférence des recteurs [ndt : équivalent de notre CPU, les “recteurs” étant les présidents d’université] (Crui) la référence pour la consultation, la confrontation et le contrôle du consensus sur les choix les plus importants de réorganisation et de gouvernement du système : la CRUI en tant qu’elle est expression des 42 responsables de la gestion des universités, structure indépendante, institutionnellement autonome par rapport au Ministère. Ou encore celle de confier au Conseil universitaire national (CUN) toutes les fonctions qui concernent l’organisation des savoirs et les secteurs scientifico-disciplinaires, fonctions qui devraient rester une prérogative spécifique et exclusive de la communauté scientifique.
Mais ce dont la ressemblance avec les propositions de l’association frappe le plus concerne la « gouvernance » des universités. Dans le Quaderno, on propose de confier au “recteur” qui est traditionnellement élu par un corps électoral très vaste, interne à l’Université, toutes les prérogatives en matière d’initiative et d’administration ordinaire et extraordinaire, exception faite des sujets explicitement définis comme relevant des instances académiques collégiales, de confier à un conseil d’université présidé par le Recteur les choix de gestion (budget prévisionnel et répartition des ressources, budget consolidé, plans stratégiques, choix de patrimoine, gestion des contrats, décision finale dans les recrutements de tout le personnel, critères pour l’inscription et la sélection éventuelle des étudiants), de prévoir quelques règles d’encadrement au sein desquelles devront s’inscrire les normes statutaires des universités pour la composition et la nomination du Conseil d’Université. Parmi celles-ci :

- la présence dans le Conseil de dix à douze membres en sus du recteur, la moitié intérieures et l’autre moitié extérieures à l’institution, nommées par le recteur (hormis l’un des externes nommé par le Ministre)

- obligation pour recteur de s’entendre avec les représentants des collectivités territoriales et des partenaires sociaux pour les nominations des personnalités extérieures,

- approbation de l’ensemble des nominations par le sénat académique et possibilité pour celui-ci d’un vote de défiance avec majorité qualifiée (mais pas avant la fin de la première moitié du mandat),

- attribution au sénat académique non seulement du pouvoir de voter la confiance et la défiance au conseil d’Université, mais aussi des pouvoirs concernant le statut, le règlement intérieur, la garantie des droits et des libertés académiques des enseignants et les droits des étudiants,

- élaboration de quelques règles qui organisent la composition du sénat académique et les élections au sénat académique (parmi celles-ci on trouve le fait de fixer un maximum de 32 membres - 24 enseignants, 6 étudiants, 2 techniciens et administratifs suivant des nombres qui peuvent être réduits en respectant les proportions -, l’encadrement des procédures de vote avec des mécanismes assurant aux enseignants la représentation de toutes les aires disciplinaires et pour les étudiants la représentation de toutes les listes),

- création de la nouvelle fonction de Directeur Général ou de Secrétaire général auquel confier la responsabilité de gérer et contrôler les ressources et l’organisation de la vie de l’université sur la base des indications stratégiques arrêtées par le Recteur et le Conseil (ce Directeur Général doit être un manager et non un enseignant : il sera nommé par le Conseil sur proposition du Recteur et participera avec voix consultative aux séances du Conseil et à celles du sénat ; il sera aussi responsable de la sélection et de la gestion du personnel technique et administratif ; pour toute nouvelle embauche et pour les nominations de cadres dirigeants il doit soumettre les nominations à l’approbation du Conseil,

- attribution au conseil d’Université de l’examen de tout ce qui conditionne la poursuite cohérente des objectifs stratégiques, notamment la gestion des recrutements des enseignants,

- attribution aux statuts de chaque université – dans le respect de quelques critères généraux - et non à la loi les formes d’organisation interne de l’université (en facultés, formations, départements etc),

- attribution de la responsabilité de tout ce qui ne relève pas de l’université tout entière à la structure la plus proche des enseignants et étudiants directement intéressés (à commencer par la place des enseignants dans le département où se déroule leur activité de recherches).

En définitive, sur la question de la « gouvernance », si l’on excepte le fait que dans la loi on trouve encore le nom de Conseil d’administration au lieu de celui de Conseil d’Université et que le nombre des membres des instances est augmenté ou amputé de quelques unités, la réforme GeLLLmini reprend à peu près telles quelles les propositions de l’association TreeLLLe. Qui plus est, la suppression des facultés conduit à l’inscription des enseignants dans les seuls départements sans que soit prévue la représentation des étudiants dans les organes de gestion départementaux. On reste aussi perplexe devant le fait qu’un organisme administratif comme le Conseil d’Université puisse faire des choix en matière d’enseignement tels que la création ou la suppression de filières de formation ou la délibération sur le siège de ces formations. L’instance qui perd le plus de poids est le sénat académique qui devient peu ou prou une instance consultative et perd son statut de principal organe décisionnel dans l’université.. Le pouvoir exorbitant exercé par le Conseil d’Université et la présence de représentants des intérêts privés en son sein, la réduction de la représentation des étudiants, l’exclusion totale des représentants des chercheurs [ndt : les chercheurs ou « ricercatori » constituaient jusqu’à présent une catégorie à part dans l’université italienne, par laquelle on commençait avant de devenir « professeur » associé ou professeur ordinaire ; en théorie ces « chercheurs » ne doivent pas d’heures d’enseignement, mais ils sont affectés à des facultés précises et, dans les faits, ils assurent une bonne part des enseignements] et des personnels technico-administratifs, la disparition des facultés (et donc de leurs conseils) au profit de l’institution de départements pluridisciplinaires rendront les universités semblables à des entreprises privées qui répondront à des logiques de marché plus qu’à celles de la formation. Cette logique aberrante qui prévoit d’assimiler l’université à une entreprise doit être combattue avec acharnement, car elle sape la fonction publique de l’université. La réforme d’un secteur stratégique comme l’université ne peut et ne doit pas être subordonnée à de simples exigences économiques ou de profit, en prenant comme seul critère d’évaluation le budget.

Le cas-campus et la vente de la culture

Pour conclure je ne veux pas manquer de remarquer, au milieu de tant d’horreurs contenues dans la réforme Gelmini, la présence d’une norme permettant aux universités « à distance » de devenir des universités comme les autres mais ne dépendant pas de l’Etat. Ainsi l’E-Campus de Francesco Polidori pourrait être considéré comme l’équivalent d’une université privée. Mister Cepu, grand ami et soutien du premier ministre, au point de mettre son network à la disposition de Berlusconi, pourrait tirer de grands bénéfices de cette possibilité ouverte. Je rappelle donc, pour prendre date, la déclaration de Francesco Polidori au quotidien La Stampa : « Nous, nous vendons de la formation, des cours particuliers, des cours d’anglais, des cours universitaires. Eux, ils vendent de la politique. Mais au fond la méthode est la même et pour moi c’est une occasion de business comme les autres ». Voilà le triste et inéluctable avenir de l’université en Italie : une occasion de business pour les amis des puissants, les grands investisseurs (industriels, banquiers) et les lobbys transversaux.