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Les sciences sociales, des sciences sans débat ? Marjorie GALY, enseignante, Présidente de l’Association des Professeurs de Sciences économiques et sociales (SES), "L’Humanité", 14 janvier 2011

dimanche 16 janvier 2011, par Laurence

Que se passe-t-il encore avec l’enseignement des sciences économiques et sociales (SES) au lycée ? 
Comment comprendre que la moitié des enseignants de cette discipline soit vent debout contre le nouveau programme de SES de première ? Depuis le mois de juin, nous sommes en effet près de 2 500 à demander un moratoire sur le nouveau programme de première ainsi que la constitution d’un nouveau groupe d’experts. Ce mouvement d’une ampleur inédite indique la profondeur du rejet, bien au-delà des 1 300 adhérents de l’Association des professeurs de SES.

Après la tentative emblématique de suppression de la notion du chômage dans le nouveau programme de seconde, voilà que le groupe d’«  experts  » vient de faire, de manière non moins emblématique, disparaître la notion de classe sociale du nouveau programme de première. Comment interpréter cette disparition ? Le concept sociologique de classe sociale a-t-il été récemment invalidé par la recherche ? Ne permet-il plus d’interroger la réalité et de comprendre le débat sur la fin ou le retour des classes sociales ? Le débat sur le destin d’une vaste mais vague classe moyenne est-il obsolète ? Quid de l’évolution des conflits de classe lorsqu’une crise inédite met en évidence les divergences possibles entre les citoyens et les lobbies de la finance internationale ? Qui apprendra aux lycéens la fertilité des débats autour de la notion de classe sociale théorisée par Karl Marx mais aussi par Max Weber ? Après la suppression de l’étude des professions et des catégories socioprofessionnelles de l’Insee en seconde, l’éviction des classes sociales en première va sérieusement compliquer l’appréhension raisonnée et la connaissance 
réflexive de la structure sociale pour les élèves. Sous la pression des enseignants, le groupe d’«  experts  » réintroduira peut-être cette notion dans le programme de terminale. Mais la question demeurera : pourquoi ne pas l’appréhender en même temps que celle de groupe social vue en première comme si ces débats gênaient ? Cela dit, même si elle est révélatrice et sensible pour l’opinion publique, la seule suppression de la notion de classe sociale ne suffit évidemment pas à comprendre pourquoi les enseignants de SES, soutenus par de nombreux chercheurs et par la plupart des syndicats enseignants et lycéens, sont tellement atterrés par la perspective d’enseigner, dès la prochaine rentrée, ce nouveau programme adopté à marche forcée, contre leur éthique et leur expertise professionnelles.

C’est un programme construit sur un découpage inédit entre les sciences sociales, découpage qui indique à lui seul, sous couvert d’une prétendue neutralité, une réorientation radicale des finalités et des contenus des SES. Les sciences sociales y apparaissent comme des sciences sans débats, édictant des lois insensibles aux contextes sociaux et politiques. Au lieu d’être structuré autour de questions contemporaines invitant à mobiliser une ou plusieurs sciences sociales, ce programme repose sur un cloisonnement strict entre l’économie d’un côté, et la sociologie et la science politique. Ce découpage conduit à un appauvrissement de l’étude de la réalité économique et sociale, à des reculs significatifs du pluralisme théorique des connaissances, et à des impasses pédagogiques qui nient les expériences sociales des élèves, pourtant au cœur de la dynamique de leurs apprentissages et de leur inscription citoyenne dans la société.

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