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Verbatim du 4e séminaire "Politiques des sciences" (13 janvier 2011) - « Politiques européennes et gestion managériale dans l’université et la recherche »

lundi 24 janvier 2011, par Elie, Laurence

La quatrième séance du séminaire Politiques des sciences 2010-2011 peut être écoutée en version audio ici ou ici.

Introduction - Christian Topalov

Le thème de notre séance est aujourd’hui : « politiques européennes et gestion managériale dans l’université et la recherche ». Nous avons le plaisir de recevoir des participants qui sont déjà venus ou activement engagés dans le séminaire : Claude Calame et Isabelle Bruno. Je les présente très brièvement. Claude Calame est un historien de la Grèce antique et directeur d’Etudes à l’EHESS. Il est membre du centre Anthropologie et Histoire des Mondes Antiques. Il est également engagé dans la Ligue des Droits de l’Homme, notamment dans la section de l’EHESS et concerné par l’accueil des Sans Papiers et des étrangers dans ce pays. Isabelle Bruno, pour sa part, est maître de conférences à l’Université de Lille-2, sociologue et membre de CERAPS. Elle est aussi membre de la revue Politix. Elle travaille sur la sociologie de la quantification et des dispositifs de gestion liés à celle-ci, sur les technologies managériales de gouvernement d’inspiration néo-libérales. Elle est en particulier – ô ironie, bien entendu – responsable pour ce qui concerne le CERAPS d’une ANR qui porte exactement sur les sujets dont elle va nous parler aujourd’hui et tout particulièrement sur le « benchmarking », comme ces gens disent.

Claude va traiter du thème suivant : « Les universités européennes et la logique managériale de la concurrence quantitative : processus de Bologne et stratégie de Lisbonne ».

Pour lire sur le site.

Les universités européennes et la logique managériale de la concurrence quantitative (processus de Bologne et stratégie de Lisbonne) - Claude Calame (EHESS)

On se souvient sans doute de la déclaration tranchante faite par Nicolas Sarkozy à l’intention des lectrices et des lecteurs de 20 Minutes en date du 4 avril 2007 : « Vous avez le droit de faire de la littérature ancienne, mais le contribuable n’a pas forcément à payer vos études de littérature ancienne si au bout il y a mille étudiants pour deux places ». Il n’est pas besoin d’une subtile analyse des discours pour démonter les arguments baisés d’une rhétorique dont on connaît désormais la vacuité.

Sans confondre le Président de la République avec une quelconque Muse inspiratrice, voici la suite de sa déclaration à 20 Minutes : « Les Universités auront davantage d’argent pour créer des filières dans l’informatique, dans les mathématiques, dans les sciences économiques. Le plaisir de la connaissance est formidable, mais l’État doit se préoccuper d’abord de la réussite professionnelle des jeunes ». Étonnamment, pas de je affirmé pour une promesse qui devrait susciter l’enthousiasme des universitaires. C’est que, dans ce plaidoyer pour le développement jubilatoire de la connaissance, la sélection parmi les savoirs universitaires est sévère. Dans ces conditions, il est sans doute plus prudent de laisser à l’État la responsabilité du privilège accordé à l’informatique et à l’économie pour les subordonner à une politique de l’emploi, c’est-à-dire en définitive le soumettre au marché.

Or, quant au développement des connaissances universitaires, cette déclaration présidentielle, dans sa suffisance et avec ses contradictions, s’avère n’être que la version abrégée et populiste de ce que l’on dénomme à Bruxelles la « stratégie de Lisbonne ».

Qu’on laisse à l’historien de métier le soin de faire un peu d’histoire, un peu d’histoire universitaire.

Le 25 mai 1998, à l’occasion d’un colloque organisé à la Sorbonne pour célébrer le 800e anniversaire de l’Université de Paris, se réunissaient les quatre Ministres de l’enseignement supérieur d’Allemagne, d’Italie, de la Grande-Bretagne et de la France. D’un commun accord, les quatre responsables politiques décidaient :

– de favoriser les échanges interuniversitaires,

– de faire converger les systèmes universitaires concernés,

– de définir par conséquent des niveaux de référence communs.

À la suite de cette première intention ministérielle, une conférence réunit en juin 1999 à Bologne les ministres de l’éducation supérieure de 29 pays européens. La rencontre conduit à l’adoption de la « Déclaration de Bologne » engageant ce qui est devenu le « processus de Bologne ». Le système de convergence et d’échanges interuniversitaires prévu à la rencontre de la Sorbonne est envisagé en termes fondamentalement quantitatifs :

– architecture universitaire en trois grades : bachelor – master – doctorat (on appréciera les dénominations anglo-saxonnes ; on a de justesse échappé au PhD) ; assortis de chiffres contraignants : 3 + 2 + 3 ans ;

– mise en place d’un système de « crédits » (ECTS) [1] ;

– organisation des études en semestres et en unités d’enseignement.

Ainsi, « l’ECTS garantit la reconnaissance académique des études à l’étranger ; il permet de capitaliser des crédits (et de les transférer (…) ; le système entraîne aussi plus de souplesse et de flexibilité ». Le système de Bologne s’inscrit donc dans une logique purement quantitative, dans une logique d’accumulation d’unités interchangeables ; rien n’est dit quant à l’évaluation de la qualité du travail correspondant de ces unités, dans un système destiné à favoriser la sacro-sainte flexibilité. Pas besoin d’être un marxiste dogmatique pour constater qu’à la valeur d’usage on a définitivement substitué la valeur d’échange.

Ainsi « l’espace européen de l’enseignement supérieur » est soumis à une logique de « capitalisation » d’unités quantifiables. À la création libre des savoirs s’est substitué un marché des connaissances, répondant implicitement à une logique économiste ; ce marché est fondé sur la « culture de l’évaluation » dont les instances universitaires et les institutions de la recherche sont désormais imbues. Nul ne s’étonnera dès lors de voir affirmés, parmi les objectifs d’un tel système universitaire unifié, les buts pratiques suivants :

– faciliter la mobilité internationale ;

– augmenter la compétitivité de l’enseignement supérieur (européen) ;

– accéder au marché de l’emploi international.

On l’aura compris : ce sont désormais les grands principes de l’économie de marché et de la pensée néo-libérale qui doivent modeler le système universitaire européen, par l’accumulation de profits chiffrés et dans cette mesure capitalisables ; par la logique d’un échange mercantile généralisé, par le respect du principe de concurrence (non faussée…) dans la flexibilité, par la promotion de la compétitivité, c’est-à-dire, en définitive, du rendement. On croirait lire le bréviaire de l’OCDE ou le catéchisme qui préside à la « libéralisation des marchés » imposée par l’OMC.

Quant aux contenus, ils ne sont à vrai dire pas épargnés dans un système qui semble se limiter à imposer une architecture unifiée, susceptible de promouvoir la quantification.

En effet, en mars 2000 le Conseil de l’Europe se réunissait en séance extraordinaire à Lisbonne pour élaborer et définir une « Europe de l’innovation et de la connaissance ». De fait, ces propositions quant à la production de savoirs « innovants », à stimuler dans l’Europe du XXIe siècle, donnent à la fois un nouveau contexte idéologique et un contenu à l’harmonisation universitaire engagée par le « processus de Bologne ». Précisé et réorienté en 2005, puis en 2006, ce cadre sémantique donné à l’harmonisation des Universités européennes serait déterminé par le développement et les potentialités offerts par les TIC ; ces technologies de l’information et de la communication représenteraient en effet un «  potentiel important pour l’emploi »…

Repris sous le titre « Une société de l’information pour la croissance et l’emploi », ce projet de développement des TIC est donc entièrement soumis à la logique économiste du marché et au productivisme qui lui est attaché : promouvoir l’emploi c’est solliciter une croissance économique fondée sur un profit impliquant l’exploitation sans ménagement ni pour des ressources naturelles non renouvelables ni pour ce qu’on appelle désormais les « ressources humaines » ; il s’agit en soumettre du même coup les secondes au même régime que les premières. Dans cette « e-Europe », l’accent sera mis autant sur « l’accroissement de la productivité économique » que sur « l’amélioration de la qualité et l’accessibilité des services » (au profit des citoyens de l’Europe). But général de l’opération : faire des Européens (au masculin…) des « acteurs de l’économie de la connaissance », dans la perspective d’un «  individualisme concurrentiel » (sic !). Désormais, en relation avec son contenu, la connaissance est subordonnée à l’économie (de marché), et la production des savoirs doit répondre au critère de la compétitivité. On privilégiera donc les savoirs « utiles ».

Orientant le développement des connaissances, cette « stratégie de Lisbonne » n’est pas sans impact sur les institutions appelées à produire ces savoirs nouveaux et compétitifs. On sollicite donc les Universités, d’une part du point de vue de leur structure, d’autre part quant aux contenus à donner aux programmes offerts aux étudiant-es.

Pour lire la suite.

De la stratégie de Lisbonne à ’Europe 2020’ : l’enseignement supérieur et la recherche face à l’iceberg managérial de la ’qualité’ - Isabelle Bruno (Université Lille 2)

Transcription d’une intervention orale accompagnée d’un diaporama [ces deux documents sont téléchargeables ici.

Tout d’abord, je tiens à remercier les organisateurs de m’avoir invitée, mais aussi et surtout
les remercier d’avoir poursuivi l’animation d’un tel lieu de réflexion et de discussion malgré
l’essoufflement des résistances universitaires, en France du moins, car vous savez sans doute que
le dernier trimestre 2010 a été très agité chez nos voisins européen : au Royaume‐Uni - les médias
s’en sont un peu fait l’écho, mais pas seulement - en Allemagne, en Italie, en Grèce, en Autriche,
en Bulgarie, au Portugal, en Irlande, partout les étudiants ont manifesté principalement contre la
hausse des droits d’inscription, mais plus généralement contre la précarisation des conditions de
travail et d’études à l’Université.

Il me semble que, face aux transformations profondes qui affectent le monde universitaire
et scientifique depuis déjà une dizaine d’années, à marche forcée depuis 2005, les sciences
sociales ont un rôle important à jouer pour éclairer les débats, construire une distance critique et,
ce faisant, ouvrir le champ des possibles. Or force est de constater que les professionnels de la
réflexivité que nous sommes ont été tout autant, voire plus démunis, que ceux de la santé, de
l’éducation ou de la justice, pour comprendre les offensives tous azimuts du gouvernement et y
réagir. Les mobilisations universitaires ont certes produit beaucoup de discours analysant avec
justesse la situation, mais apparemment ces discours n’ont pas encore eu le temps d’infuser
suffisamment pour guider nos pratiques locales et quotidiennes. Si ça avait été le cas, les appels à
« projets d’excellence » auraient été collectivement boycottés, ne serait‐ce que par intérêt bien
compris. Mais ce n’est pas le sujet , je ne vais pas me lancer ici dans une analyse contrefactuelle.

En revanche, on peut tirer les leçons des mobilisations de 2008/2009, et la principale a été, à
mon sens, la prise de conscience que les réformes engagées étaient structurelles et globales.
Globales en ses deux sens : géographique et sectoriel. Ce qu’il est devenu courant d’appeler la
« révolution de la qualité » concerne toute l’Europe mais aussi les autres continents. Il ne faut pas
oublier que le processus de Bologne est un produit qui s’exporte en Amérique latine, en Asie et en
Afrique, pour le plus grand profit d’ailleurs des boîtes privées, seules à pouvoir se mettre aux
normes bolognaises. Aux États‐Unis, c’est depuis les 1990s que les universités subissent la montée
en puissance de la culture managériale de l’audit, de la standardisation et de l’évaluation
comparative, qui est - pour nous comme pour eux - une culture étrangère à leur ethos
académique et qui a suscité des résistances. Cette révolution est aussi globale au sens où elle est
transversale. Elle touche tous les secteurs d’activités où les formes organisationnelles donnent
prise à la discipline managériale. Elle trouve donc un terrain propice dans nos labos et nos
universités, mais aussi dans nos écoles, nos hôpitaux, notre Sécurité sociale, nos palais de justice,
notre police, nos prisons, même notre armée.

D’où l’intérêt à mes yeux d’un séminaire comme celui‐ci : poursuivre le travail de fond consistant à prendre du recul pour mieux apercevoir le tableau d’ensemble qui se dessine de plus en plus distinctement sous nos yeux.

Je dois vous avouer que lorsque j’ai engagé mon travail de thèse, en 2001, sur ce truc bizarre
qu’est le benchmarking - c’est‐à‐dire ce machin qui consiste à quantifier des indicateurs de
performance, à fixer des objectifs chiffrés, à comparer les résultats obtenus et à les publier dans
des palmarès - certains collègues ne donnaient pas cher de la pérennité de mon objet, une
vulgaire mode managériale, insignifiante, vouée à refluer l’année suivante. Et ayant choisi
d’étudier le cas de l’Espace européen de la recherche, j’avais alors du mal à convaincre que ce que
je lisais dans la littérature grise de la Commission européenne, ou ce que me confiaient mes
interviewés, auraient une traduction assez rapide dans les espaces nationaux. C’était l’époque où
le CNRS apparaissait inébranlable, et où l’Université comme l’École faisaient figure de mammouths
indécrottables.

Aujourd’hui, je ne vais pas revenir exactement là‐dessus ; sur ces travaux, je me permets de
renvoyer au livre que j’ai publié aux éditions coopératives du Croquant en 2008 À vos marques,
prêts… cherchez ! La stratégie européenne de Lisbonne, vers un marché de la recherche
, mais
aussi aux travaux d’Annie Vinokur, de Christian Laval, ou de Sandrine Garcia. J’aimerais attirer
votre attention sur un autre enjeu. Mes recherches portent toujours sur le benchmarking, qui est
une technologie managériale de gouvernement, consommant et produisant beaucoup de chiffres.
Mon approche s’inscrit dans le cadre d’une sociologie de la quantification, cadre notamment posé
par Alain Desrosières avec qui Emmanuel Didier et moi‐même organisons un séminaire ici même
sur la « politique des statistiques ». Et pourtant, je me propose de vous parler de « qualité ».

En fait, vous allez voir qu’il n’y a pas antagonisme entre qualité et quantité dans le jargon managérial. Bien au contraire… Qu’entend‐on par qualité en management ?

Il ne s’agit pas pas d’une valeur absolue, dépendant d’une appréciation personnelle. La qualité managériale n’a rien d’une grandeur incommensurable. Elle charrie tout un ensemble de procédures, de certifications et d’outils métrologiques qui l’objectivent dans des codes, des indicateurs statistiques et des cibles chiffrées. Le benchmarking lui‐même est une technique de gestion de la qualité qui consiste à rechercher en permanence les « meilleures pratiques », car la « qualité » est saisie comme une valeur relative qui se définit toujours par rapport aux autres en termes de compétitivité ou d’excellence. Dans une économie de marché mondialisée, la qualité est conçue comme un avantage concurrentiel qui ne repose pas dans le produit fini mais qui dépend de toute la chaîne de production.

Gérer la qualité ne se résume donc pas à vérifier que le produit final n’a pas de défaut
technique. C’est une démarche englobante, sociale, qui concerne tout le collectif de travail : son
organisation, ses membres (exécutants ou managers) et leurs relations - songez par ex. aux
« cercles de qualité ». Toutes les activités - opérationnelles ou fonctionnelles - sont réduites à un
processus tourné vers un client, y compris le client intermédiaire, càd celui à qui est destiné le
produit d’une activité en interne, que ce soit un composant matériel ou un rapport comptable.
Cette « orientation client » est ce qui justifie l’exercice d’une discipline indéfinie, d’un effort sans
relâche pour toujours faire mieux et tendre au meilleur, comme si une pression concurrentielle
s’exerçait sur chaque opération.

[DIAPO] La démarche qualité, c’est une « course sans ligne d’arrivée ». La métaphore n’est pas de moi mais de David KEARNS, le patron de Xerox qui a fait de cette firme un modèle de management de la qualité dans les 1980s (1982‐1990), et qui a été nommé ensuite secrétaire au département d’État pour l’Éducation par Bush père pour y appliquer les mêmes recettes (1991‐ 1993). Je vous donne cet exemple car c’est actuellement mon terrain d’enquête sur le benchmarking, mais il y en aurait beaucoup d’autres.

Dans nos milieux, on se moque volontiers de l’usage excessif du terme « qualité » qui - avec les notions d’innovation, d’excellence ou d’internationalisation - compose une sorte de novlangue à la Orwell. Mais il ne faut pas s’y tromper : ce n’est pas qu’un accessoire rhétorique.

Le management de la qualité a marqué un tournant dans la façon d’organiser la production.
Il s’est substitué progressivement au productivisme fordiste et à la gestion scientifique
taylorienne, dès les années 1950 au Japon, à partir des années 1970‐1980 aux États‐Unis, puis
dans les ‘90 en Europe. C’est un mode de gouvernement qui a transformé les pratiques
organisationnelles dans l’entreprise industrielle, mais pas seulement. Ce mode de gouvernement
peut tout aussi bien s’exercer - et de fait il s’exerce - dans les administrations publiques, les
associations, les organisations non gouvernementales ou internationales, et ce quel que soit leur
domaine d’activité : économique, social, environnemental, humanitaire, éducatif ou scientifique.

Ce qu’on appelle - en bon français - le Total Quality Management (TQM pour les intimes)
est une façon totalitaire de conduire l’action collective / d’administrer les organisations sociales.
Et j’emploie l’adjectif « totalitaire » non pas par provocation, mais littéralement pour qualifier son
ambition d’englober la totalité des éléments d’une organisation donnée et la totalité des
organisations humaines. D’où l’image de l’iceberg que j’ai choisi pour le titre. Je ne vais pas avoir
le temps d’explorer avec vous toute la partie immergée de l’iceberg - il nous faudrait remonter au
moins à la Seconde Guerre mondiale, ce qui nous conduirait aux États‐Unis puis au Japon, d’abord
dans l’industrie d’armement puis dans le secteur automobile, électronique, hospitalier, etc. Je vais
me contenter de planter quelques jalons pour repérer les acteurs et les dispositifs qui exécutent le
mot d’ordre de la qualité, dans l’Enseignement supérieur et la Recherche, en Europe, aujourd’hui.

Il y a trois points d’entrée pour sonder les eaux glacées dans lesquelles on est en train de plonger : le processus de Bologne, l’OCDE et l’UE.

Commençons par le processus de Bologne.

[DIAPO] Comme vous le savez, il compte 47 pays participants sur tout le continent. C’est une
initiative interministérielle qui a été prise hors du cadre de l’UE, mais qui inclut la Commission
européenne parmi ses membres, avec les 47 États, auxquels s’ajoutent 8 membres consultatifs, à
savoir [DIAPO] :

1) le Conseil de l’Europe,

2) le Centre Européen Pour l’Enseignement Supérieur (CEPES) de l’UNESCO,

3) l’Association des universités européennes (EUA) à laquelle appartient la CPU - Conférence des Présidents d’Université,

4) l’association européenne des institutions d’enseignement supérieur professionnel (EURASHE) dont le membre fç est l’Assemblée des Directeurs d’IUT (ADIUT),

5) le syndicat des étudiants européens (ESU),

6) le patronat européen, Business Europe,

7) depuis 2005, l’Internationale de l’Éducation (IE) qui représente les personnels,

8) et l’association européenne pour l’Assurance Qualité dans l’Enseignement supérieur (ex‐ European Network for Quality Assurance, d’où l’acronyme ENQA) qui est financée par la Commission européenne et qui compte l’AERES parmi ses membres français.

[DIAPO] L’ENQA est la cheville ouvrière d’un des chantiers ouverts en 1999 par le processus de Bologne. Dans sa déclaration inaugurale figure en effet, parmi ses priorités, la « Promotion de la coopération européenne en matière d’évaluation de la qualité, en vue de développer des critères et des méthodologies comparables. »

[DIAPO] Cette coopération en matière d’assurance qualité est pilotée par le groupe « E4 » - prononcez : [ifor] - dénommé ainsi en référence à l’initiale de ses 4 membres : ENQA, EUA, EURASHE et ESU. Sont donc représentés les agences Qualité, les employeurs et les étudiants - si vous avez l’impression qu’il manque un acteur, pourtant en première ligne, c’est normal. Il n’y a effectivement aucun représentant des personnels…

En 2003, les ministres des pays membres ont confié à ce groupe la tâche de se mettre d’accord sur un ensemble de critères, de procédures et de lignes directrices pour harmoniser l’assurance qualité dans l’Espace européen de l’Enseignement supérieur.

[DIAPO] En 2005, l’ENQA a remis leur rapport qui est devenu depuis une référence désignée par le sigle ESG, pour European Standards and Guidelines.

(Vous remarquerez d’ailleurs que toutes ces publications sont en anglais, sans traduction disponible, ce qui n’est pas anodin pour une entreprise de codification et de normalisation des pratiques organisationnelles dans l’Enseignement supérieur et, de fait, dans la recherche.)

En l’occurrence, ce rapport propose la création d’un label et d’un registre européen des agences d’assurance qualité.

[DIAPO] Ce registre baptisé EQAR a effectivement été mis en place en 2008 et compte
aujourd’hui 24 agences à travers l’Europe qui ont fait l’objet d’une évaluation externe
indépendante pour vérifier leur conformité aux critères fixés dans le rapport ESG. Ce registre est
censé non seulement conforter la confiance des étudiants dans les universités labellisées par ces
agences et ainsi favoriser leur mobilité ; mais il rend également possible le choix de l’agence
d’évaluation par les établissements qui souhaitent faire attester leur qualité. Bref, il libéralise et
diversifie l’offre ; il ouvre la concurrence. Pour l’instant, s’agissant de la France, seule la
Commission des titres d’ingénieurs (CTI) a été enregistrée mais l’AERES s’évertue à s’y faire
inscrire - je vais y revenir.

Ce dispositif d’assurance qualité externe ne dispense pas les institutions d’Enseignement supérieur & Recherche d’engager une démarche qualité interne. Cette démarche consiste à systématiser les pratiques de codification, d’évaluation, d’accréditation, d’audit, de benchmarking pour toutes les activités qu’elles soient pédagogiques, administratives ou scientifiques.

[DIAPO] L’accent est tout particulièrement mis sur le développement d’une « culture de la qualité », présenté comme le corollaire obligé de leur autonomie.

Pour voir comment ces orientations européennes sont traduites au plan national, je vous propose d’étudier le cas français, tout en gardant à l’esprit qu’en la matière, notre monde universitaire a été jusqu’à présent le plus rétif à cette approche managériale que nos collègues européens subissent déjà depuis plus ou moins longtemps.

[DIAPO] Ce diagramme vous donne une idée de la prolifération de ces dispositifs en Europe. Nos universités sont en majorité dans les 16 % des établissements européens n’ayant pas développé de démarche qualité. Mail il faut évidemment être prudent dans l’interprétation de ces statistiques construites par l’EUA à partir d’un enquête auprès de ses membres, dans le but précisément de promouvoir l’Assurance qualité comme une tendance nécessaire et irrésistible… ça donne néanmoins un ordre de grandeur.

[DIAPO] Quant au CNRS, il n’est pas en reste. Il existe un réseau qualité en recherche destiné à sensibiliser les personnels et à inciter les unités à s’engager dans une démarche qualité.

[DIAPO] Dans le numéro d’avril 2010 du journal du CNRS, vous avez peut‐être remarqué cet
article qui en fait la publicité. On peut y lire que, grâce à un changement de mentalité, les
organismes de recherche français adoptent enfin un système de management de la qualité qui,
« dans une logique d’amélioration continue », rend leur « organisation plus compétitive, plus
fiable et plus transparente
 » ce qui donne confiance à leurs partenaires (entendez les entreprises
surtout).

I/ En France, une des têtes de pont de la campagne européenne pour la qualité, c’est
l’AERES. Elle a été renouvelée en septembre 2010 comme membre de l’Assocation européenne
pour l’assurance qualité, qui a à nouveau évalué les évaluations de l’AERES et jugé qu’elle
respectait ses critères de qualité. L’AERES a ainsi été soumise à un comité d’experts qui a conduit
une évaluation externe, mais elle a aussi procédé elle‐même à une autoévaluation de sa politique
qualité, l’autoévaluation étant en soi un critère de qualité. C’est d’ailleurs une étape
incontournable de la démarche qualité que l’AERES a engagé en son sein depuis 2009, dans le
souci de produire une évaluation de qualité de la qualité des établissements d’enseignement et de
recherche, des formations et des diplômes. Vous voyez qu’il y a une récurrence infinie des
évaluations, une sorte de mise en abîme.

[DIAPO] En octobre 2009, l’AERES a rendu publique une « déclaration de politique qualité » signée par son président (Jean‐François Dhainaut), dont je vous lis un extrait :
L’AERES considère que la qualité de ses évaluations est essentielle pour assurer sa crédibilité et lui valoir la confiance des établissements d’enseignement supérieur, des organismes, des autorités publiques, des étudiants et de l’ensemble des parties prenantes.

L’AERES applique l’ESG càd les références et lignes directrices pour l’assurance qualité dans l’espace européen de l’enseignement supérieur adoptées à Bergen en 2005 par les ministres de l’enseignement supérieur des pays membres du processus de Bologne. Dans ce cadre, elle s’engage à :

- mettre en oeuvre un système de management de la qualité, fondé sur l’approche processus et adapté aux finalités de l’action de l’agence dans l’ensemble de sa structure et de ses activités ;
- lui affecter les moyens nécessaires ;
- fournir un cadre pérenne pour établir et revoir ses objectifs en matière de qualité, évaluer régulièrement leur adéquation avec les besoins des différentes parties prenantes, mettre en œuvre les évolutions et améliorations nécessaires ;
- améliorer de façon continue l’efficacité de ses méthodes et procédures.

Cette déclaration de politique qualité est soumise par la direction au conseil de l’agence et rendue publique. La politique qualité voulue par la direction est également communiquée à l’ensemble de ses personnels. L’adhésion de toute la communauté à ce processus d’amélioration continue est un élément majeur de la démarche qualité de l’agence.

Suite à cette déclaration, l’AERES a élaboré un référentiel qualité qui a été publié en décembre 2009.

[DIAPO] Ce référentiel énonce la ligne de conduite et les exigences qu’elle s’impose
conformément au cadre européen. La partie 1 rassemble les caractéristiques du système de
management de la qualité de l’AERES elle‐même. Cette partie est présentée comme un guide pour
la mise en œuvre, l’évaluation et l’amélioration continue du système de management de la qualité
de l’AERES = évaluation interne. La partie 2 expose les critères utilisés lors de l’évaluation du
management de la qualité des établissements par l’AERES ; ça, c’est pour la conduite des
évaluations externes. L’annexe précise les caractéristiques du système de management de la
qualité des établissements qui seront évalués par l’AERES. Cette annexe serait un « document
ressource » pour les établissements qui souhaitent réaliser leur autoévaluation pour améliorer leur
démarche qualité. Avec ce plan, on discerne bien ici la structure en abîme de ce référentiel et son
double objectif interne et externe.

En interne, la finalité officiel de ce référentiel est de garantir la qualité - qualité définie par 3 critères, à savoir :

1/ l’adéquation de l’activité de l’AERES aux attentes des parties prenantes, notamment les étudiants et les employeurs, à qui sont destinés ses produits, càd ses rapports d’évaluations : autrement dit, c’est le critère de la satisfaction du client ;

2/ l’efficacité de son organisation ;

3/ l’amélioration continue de ses évaluations.

On a là un décalque des objectifs assignés au management de la qualité dans le monde industriel.

Vis‐à‐vis de l’extérieur, si l’AERES a rendu public son référentiel et souhaite que les
structures évaluées se l’approprient, c’est pour les conduire à adopter un certain nombre de
principes et de pratiques organisationnelles. Les évaluations de l’AERES ne visent pas tant la
qualité des recherches ou des formations, que leur management, la manière dont les labos et les
universités sont organisés. En cela, l’évaluation est avant tout une technique de gouvernement.

[DIAPO] Dans son Plan stratégique 2010‐2014, l’AERES va plus loin. Elle « se conçoit comme le
promoteur pour la France de la mise en œuvre des lignes directrices européennes pour la qualité
de l’enseignement supérieur et de la recherche.
 » Elle inscrit ainsi son action explicitement dans
les perspectives tracées par le processus de Bologne, et elle entend non seulement jouer un rôle
actif dans l’association des agences européennes »ENQA » mais aussi obtenir son inscription dans
le registre européen EQAR. Dans cette optique, elle se propose - je cite - d’aider au développement de l’autonomie des universités par l’autoévaluation en faisant de cette autoévaluation un requis pour l’évaluation globale des établissements, des formations et des unités de la recherche ainsi que des nouvelles structures fédératives, type PRES ou Idex.

Cela est clairement mis en application actuellement avec la vague B de sa campagne
d’évaluation. À l’occasion de son lancement, le président de l’AERES a déclaré que la mise en
œuvre des recommandations du rapport ESG est d’une importance stratégique pour donner
confiance et ainsi attirer « les étudiants européens en quête de mobilité ». Confiance et
mobilité : tel est l’alpha et l’oméga d’un « espace européen de la connaissance » construit à
l’image d’un marché efficient. Au‐delà de la pétition de principe, les experts de la vague B ont eu
pour consigne de se montrer « particulièrement attentifs à la réalisation des documents d’autoévaluation et à la mise en œuvre d’une démarche qualité au sein des établissements ».

L’AERES s’est aussi proposé de soutenir le déploiement des démarches qualité en diffusant son propre modèle de système de management de la qualité (baptisé SMQ), et en constituant une base de données synthétisant les dossiers et les rapports d’évaluation. Or, qui dit base de données ouvre la voie au benchmarking de toutes les entités évaluées, y compris les personnels car la loi confie aussi à l’agence la mission :
‐ de valider les procédures d’évaluation des personnels par les instances spécifiques que sont le Conseil national des universités (CNU) ou le Comité national de la recherche scientifique (CoNRS) ;
‐ et de rendre un avis sur les conditions de leur mise en oeuvre.

L’AERES avoue elle‐même que cet examen sera de nature à inciter ces instances à conformer leurs pratiques et leurs critères d’appréciation aux siens.

II/ Aux côtés de l’AERES, vous avez la CPU qui se veut à l’avant‐garde de ces questions en France. AERES et CPU forment ainsi le couple moteur de l’implantation des dispositifs d’Assurance Qualité en France.

[DIAPO] Pour conduire tous les établissements d’enseignement supérieur à se convertir à ce
type de management, un groupe de travail a été créé dans le but - je cite - de « promouvoir la
culture de l’évaluation et de la qualité
 ». Ce « comité Qualité » est présidé par Nadine LAVIGNOTTE, présidente de l’université Blaise‐Pascal de Clermont‐Ferrand. Concrètement, ce groupe est censé « offrir aux établissements une instance d’échanges et de réflexion qui les aide à formaliser leur démarche qualité et à conforter leur capacité d’évaluation interne ». Pour ce faire, il « collabore évidemment avec l’AERES pour que les établissements soient des acteurs de l’évaluation et des interlocuteurs privilégiés de l’agence ».

[DIAPO] La CPU participe également, et organise elle‐même des événements de promotion de
la qualité. Dans le cadre du groupe E4, et en tant que membre de l’EUA, elle a accueilli en
novembre dernier le 5e forum européen de l’Assurance Qualité à Lyon 1, fief de Lionel COLLET, alors
président de la CPU. Si elle s’est portée candidate à l’organisation de cet événement, c’était pour - je cite - « marquer l’intérêt de l’ensemble des établissements français pour le sujet et consacrer
leur émergence dans un débat où ils se singularisaient jusqu’alors par leur extrême discrétion
 ». À
la tribune, c’était la première fois que la France s’exprimait, par le truchement de Lionel COLLET, sur
les raisons qui l’ont tenue à l’écart du mouvement, les premières années. Ce retrait tient, selon lui,
à « un obstacle de nature culturelle et sémantique, au caractère univoque de la notion
d’assurance qualité qui renvoie en France exclusivement aux processus de certification alors que
l’acception européenne de Quality Assurance est beaucoup plus large.
 » Mais, « grâce aux RCE
Responsabilités et compétences élargies et à l’AERES
 », « les universités françaises s’engagent
aujourd’hui plus avant dans la qualité.
 »

Dans le prolongement de ce grand raout, la CPU a organisé conjointement avec l’École
supérieure de l’éducation nationale, un séminaire sur la qualité qui a révélé la présence de plus en
plus nombreuse de personnes dont la fonction ou la mission s’articule explicitement autour du
management politique ou administratif de la qualité. Ce séminaire se voulait plus pragmatique
que le forum. Il a consisté en des témoignages de terrain et en un échange d’expériences, autour
des trois grands chantiers d’application de la qualité, à savoir : les formations, la recherche et, ce
qu’il est convenu d’appeler « la gouvernance », notion qui sert de cache‐sexe aux enjeux de
pouvoir et à la négation des instances démocratiques. Selon le compte rendu de la CPU, il en est
ressorti que la qualité est avant tout un mode de management stratégique et non pas un kit de
recettes prêtes à l’emploi. Autrement dit, la démarche qualité doit faire l’objet d’une appropriation
locale, devenir la clef de voûte du projet global de chaque université, et enrôler toutes les parties
prenantes : au premier rang, les présidents d’université, les personnels, mais aussi

> les entreprises qui sont devenues des partenaires incontournables avec la convention cadre CPU‐MEDEF signée en novembre dernier, conformément aux orientations de la stratégie européenne de Lisbonne (sur laquelle on va revenir) ;

> et les étudiants.

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Débat

Christian Topalov : Ces deux exposés étaient passionnants. Il faudrait les faire connaître et l’ensemble du système s’effondrerait, on est bien d’accord. On hésite devant tout ça, devant une espèce de consternation, devant l’absurdité monstrueuse de tous ces discours. La plupart de nos collègues, enseignants et chercheurs, mis devant ça, disent : « mais ça n’a ni queue ni tête, ça n’a rien à voir avec ce à quoi nous croyons, ni avec ce que nous faisons » [1] . On peut imaginer la possibilité d’un tel effondrement et c’est pourquoi de tels exposés doivent être largement diffusés. Mais évidemment on peut aussi tout simplement observer la puissance totalitaire et tragique de tout ça : une idéologie, un vocabulaire, des institutions tentaculaires, des évidences bétonnées et des forces, y compris parmi nous, qui ont, pour certaines, épousé ces doctrines et pour d’autres, qui les prennent à la légère. Je crois en effet qu’une des réactions à tous nos collègues qui participent joyeusement et intelligemment aux comités de visite de l’AERES, pourrait être de leur dire : « écoutez, oui tout ça, c’est bien loin de notre expérience ».

Gilles Verpraet : Le discours, vous l’avez présenté comme un discours CPU (Conférence des Présidents d’Universités) revalorisé Europe ; donc, c’est un discours de gestionnaire. Un président d’université émane de la communauté : il y a un vote des différents collèges. Mais en même temps, il doit gérer des moyens, des allocations. A ce moment-là, il rentre dans ce discours ; entre membres de la CPU, c’est le discours qu’ils se tiennent. Ils mettent en œuvre les méthodes et expertises qu’Isabelle Bruno a étudiées. Donc, est-ce que c’est un discours de gestionnaire pour les gestionnaires – ce que dit un peu tout le monde - ? Et en quoi ce discours de gestionnaire va-t-il faire écho sur chaque enseignant. C’est là où est le point clé dans le quotidien et dans les décisions de chaque université. C’est là où dans le modus vivendi post-68 on dit : « on prend les mesures une à une et on les négocie selon notre contexte, notre conjoncture, notre patrimoine intellectuel ou financier, etc. ». Quand on le présente comme un discours, cela fait système. Donc un des points stratégique de ce discours, au-delà du point : gouvernement national – Europe, c’est le rapport : communauté des enseignants – président d’université et CPU. Parce que si l’on pousse un rapport de force sur une classification, un président d’université est entre les deux : il est l’émanation de la communauté enseignante et il est relais de ce discours-là. Donc la question est de savoir si dans le second cas, son usage de ce discours n’est pas stratégique ?

Lionel Larqué : je dois être l’un des rares dans cette salle à n’être pas chercheur, à n’avoir pas d’intérêts dans l’université, au sens client ou salarié d’une entreprise de production de connaissances. Je m’interroge, depuis en gros une quinzaine d’années de militantisme, sur « l’autarcie », voire « l’autisme » d’une grande partie de vos acteurs et de vos institutions par rapport à ce qui se passe dans le monde depuis une trentaine d’années. Je dirai que ce qui arrive maintenant n’est que la déclinaison de ce qui s’est passé dans la téléphonie, dans le fret, dans le monde de l’automobile. En gros, le processus que vous vivez là, pour l’avoir aussi travaillé, vous vous en sentiez prémunis par votre statut social, et l’image que vous en avez, donc la mythologie que vous vous racontez à vous-mêmes, vous faisait dire que vous étiez « intouchables », pour le dire rapidement. Or, on voit que personne ne l’est, à quelques rares petites exceptions près.

De notre côté, nous avons pris une initiative, il y a quelques années, qui s’appelle le « Forum Mondial Sciences et démocratie »http://fm-sciences.org/, dont la seconde édition aura lieu à Dakar et qui rassemblera des mouvements sociaux et des scientifiques et leurs institutions des cinq continents, pour poser cette question, non pas des alternatives, mais de la fédération des gens qui ont déjà compris ce qui se passe. Je dirai, non pas contrairement à ce que Christian Topalov disait en introduction, mais je pense qu’il ne faut pas non plus passer trop de temps à essayer de déconstruire ce qui s’est passé. Le travail remarquable, notamment d’Isabelle Bruno et d’autres, montre depuis pas mal d’années ce qui est concrètement en train de se passer. Certes, il est important d’éveiller les consciences ; je pense ainsi que le travail, la résistance, l’indignation, part de quelque part. Donc ma proposition, ou mon questionnement, aux enseignants-chercheurs, aux chercheurs mais aussi à ceux dont on n’a pas de statistiques, les sans-statuts dans vos maisons, qui fournissent le gros de vos troupes. Depuis 35 ans vous vivez parce qu’il y a des sans-statuts. Il y a une précarisation massive autour de vous dont vos institutions se sont en grande partie désintéressées, non pas en tant que personnes, directeurs de labo, mais politiquement. Je pense que ce qui est en train de se passer s’est construit, comme le disait Isabelle Bruno, sur des échelles de temps très longues. L’hégémonie se construit dans la durée, elle convainc des gens, elle individualise le marché d’évaluation. Mais ce n’est pas une corporation isolée qui peut parvenir à résister à ça. C’est une corporation qui s’allie, qui dialogue d’une façon permanente avec des acteurs sociaux, etc., qui sont intéressés, préoccupés, par ce qui vous arrive.

Le bilan que l’on a porté de votre mouvement il y a deux ans a été de constater que vous aviez un capital sympathie gigantesque au début, et au fur et à mesure que le mouvement a duré, une incompréhension du public s’est fait jour au sujet de ce qui était en train de se passer. Ce qui était lié aussi à une difficulté d’une partie de vos membres d’expliquer ce qui était en train de se passer lié au fait d’avoir négligé de construire en amont des espaces de dialogue permanents entre universitaires, leurs institutions, et des catégories d’acteurs qui s’intéressent et sont préoccupés par l’appareil d’enseignement supérieur. Je pense ainsi, stratégiquement parlant, que si ce sont des universitaires qui veulent changer l’Université, c’est voué à l’échec. Je pense vraiment qu’à l’échelle de la durée, vous allez perdre parce que, face à vous, vous avez des gens qui ont une vision du monde, de l’humain, de l’humain dans l’appareil de production, d’un nouveau taylorisme très violent. Je pense que contrairement à ce qu’a pu dire Christian Topalov, ce qui se dessine est tout sauf absurde. Il ne faut surtout pas porter là-dessus un regard non pas condescendant, ce n’est pas votre propos, mais qui consiste à dire : « mais qu’est-ce que c’est que cette vaste fumisterie ?! ». Cette vaste fumisterie a derrière elle quarante ans de base et de conceptualisation théorique.

Ce à quoi j’appelle, c’est donc à la constitution d’un espace de dialogue entre des acteurs préoccupés par l’enseignement supérieur et vous.

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[1Sur ce point, outre les interventions de la présente séance, on se reportera à la séance de séminaire consacrée aux Labex, Equipex, Idex. Cf. http://pds.hypotheses.org/909.