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Lettre d’information de l’Areser (Association de réflexion sur les enseignements supérieurs et la recherche) , n°26, à propos de l’ouvrage Refonder l’université, mars 2011

mercredi 9 mars 2011, par Martin Rossignole

ÉDITORIAL

L’Enseignement supérieur, miroir des évolutions d’une société

À l’automne 2010, un groupe d’enseignants chercheurs a publié à La
Découverte un ouvrage intitulé Refonder l’université, pourquoi
l’enseignement supérieur reste à reconstruire
 [1]. En raison de la pertinence de son diagnostic, ce livre a attiré l’attention des membres de l’ARESER. C’est pourquoi le 29 janvier dernier nous avons invité l’un de ses auteurs, François Vatin dont l’intervention est résumée ci-après. Dans le cadre de ce billet, notre objectif n’est donc pas de décrire le contenu de l’ouvrage, mais plutôt de le resituer dans un cadre social et politique plus général. Ce qui nous permettra notamment de souligner la dangerosité de certaines de ses propositions de réforme, comme de rappeler certains principes.

Un des principaux mérites du livre est qu’il met en évidence le fait que
l’université occupe une place de plus en plus réduite dans l’enseignement
supérieur français. Les formations post baccalauréats sélectives à l’entrée
accueillent un nombre croissant de jeunes bacheliers, tandis que l’université
souffre d’une désaffection croissante et se retrouve dans la situation de
« voiture balai » de l’enseignement supérieur. Ainsi, le déclassement social et
structurel de l’université française, déjà souligné en 1989 par Pierre Bourdieu dans La Noblesse d’Etat quand il décrit le dualisme du système d’enseignement supérieur français scindé entre universités et grandes écoles,
s’est amplifié encore à la faveur de la seconde massification de l’enseignement supérieur, comme de la mise en concurrence croissante des
différents secteurs de l’enseignement supérieur et des établissements.

Mais ces évolutions se combinent aussi, et l’ouvrage est muet sur ce point, avec une remise en cause frontale du service public et donc des débouchés professionnels habituels de nos étudiants. Des choix tant politiques qu’économiques clairs ont été faits ici et qui, combinés au chômagemassif des jeunes, se répercutent ensuite sur les flux étudiants, leurs attentes.
Et par conséquent sur « l’offre de formation » des universités, qui tend
notamment à se soumettre de manière croissante, et de plus en plus précoce, aux attentes du secteur privé. Lesquelles n’ont pas grand-chose à voir avec celles de la science ou d’un projet d’éducation libérale à la Humboldt.

Ces évolutions sont contemporaines aussi d’une crise de la recherche,
bien visible au travers de la crise des vocations scientifiques, et qu’alimente
entre autres la politique malthusienne de l’emploi scientifique du
gouvernement. Plus généralement, cette crise est solidaire d’une crise de la culture qui tend à privilégier le court terme sur le long terme et tout ce qui
est susceptible de produire des profits rapides. Ainsi, et à la faveur
notamment de sa massification, les fonctions sociales, professionnelles,
intellectuelles de l’enseignement supérieur se sont considérablement
transformées. Et c’est ce qui explique que ce microcosme offre aujourd’hui
comme une image réduite du macrocosme social et notamment de toutes ses
inégalités, hiérarchies, etc. Lesquelles vont d’ailleurs en s’amplifiant à la
faveur de la politique « d’excellence » résolument poursuivie par notre
ministère et une poignée d’établissements d’enseignement supérieur
privilégiés cherchant de plus en plus à se positionner à l’international, tandis
que d’autres sont cantonnés à leurs fonctions de collèges de proximité.

Il n’est donc guère possible de penser le devenir de l’enseignement
supérieur indépendamment de celui du reste de la société. Et c’est ce qui
explique que, par delà le point de vue spontanément corporatiste qui est le
notre quand nous pensons à notre univers de travail, il soit nécessaire
d’adopter une perspective politique plus générale qui, nous semble-t-il, fait
singulièrement défaut à l’ouvrage des refondateurs. Certes, comme eux, nous
sommes attachés à l’autonomie du corps des enseignants chercheurs (cf. la
8ème proposition du livre) comme au maintien de l’évaluation collégiale (11ème
proposition), principes qui d’ailleurs ont joué un rôle décisif lors du
mouvement universitaire du printemps 2009 et ont permis la constitution
d’alliances syndicales et politiques originales2. De même, l’idée de réintégrer
vraiment la formation professionnelle continue à l’université en assouvissant
« l’appétit de savoir et de réflexivité qui peut se manifester à tout moment de
la vie professionnelle ou post professionnelle »3 (6ème proposition) nous paraît
conforme aux missions traditionnelles de l’université.

Par contre, nous sommes quelque peu dubitatifs…

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[1Les auteurs, tous hommes, professeurs ou directeurs d’études parisiens, sont : Olivier Beaud
(droit public, Paris 2), Alain Caillé (sociologie, Paris 10), Pierre Encrenaz (physique, Paris 6),
Marcel Gauchet (philosophie, EHESS) et François Vatin (sociologie, Paris 10).