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Masters enseignement en pseudo « alternance » ou Pseudo-master en alternance ? L’imposture continue - Communiqué de Sauvons l’Université ! 31 mai 2011

jeudi 2 juin 2011

Les ministres Valérie Pécresse et Luc Chatel se sont retrouvés à l’Université de Cergy-Pontoise le 23 mai 2011 pour présenter avec satisfaction de prétendus « ajustements » à la réforme de la formation des enseignants.
SLU dénonce avec la plus grande vigueur ce nouveau village Potemkine : prétendre qu’il s’agit d’une amélioration de la formation et du recrutement des enseignants est une imposture. Une de plus.

Pseudo « alternance » et recherche en péril

Les masters dits en alternance alourdissent la charge horaire des étudiants de master enseignement, remettent en question l’initiation à la recherche et la préparation des concours. Cette mise en stage sans préparation ni suivi prévus s’apparente à une « formation sur le tas » plus qu’une véritable « alternance ».

Dès octobre 2010, SLU analysait les nouvelles dispositions réglementaires (circulaire du 13 juillet 2010) permettant à titre expérimental la création de masters dits en « alternance », tandis que les protestations syndicales se multipliaient.
En lieu et place d’une formation qui, avant la « masterisation », se déroulait sur trois ou quatre ans, ces nouvelles formations prétendent concentrer de manière boulimique et inassimilable sur deux ans a) formation à la recherche b) préparation aux concours c) stage, qui articulait sur une année complète formation pratique et théorique. Ces nouveaux masters dits en « alternance » contribuent plus sûrement encore que tout autre dispositif au laminage de chacun des volets de ces diplômes et au naufrage de l’ensemble.
Tous les collègues engagés dans la formation des enseignants, que ce soit dans les UFR ou dans les IUFM, tirent aujourd’hui un bilan négatif de l’année 2010-2011 : toutes les difficultés annoncées ont été au rendez-vous. Les étudiants ont été soumis à de multiples injonctions (préparation de concours, mémoire de recherche, stages) sans pouvoir en satisfaire vraiment aucune. Le sort de ceux qui opteront l’année prochaine pour un master en alternance sera mécaniquement aggravé par l’alourdissement horaire généré par ce nouveau dispositif.

En effet, dès l’année de master 1, des étudiants contractuels enseigneront en responsabilité de 3 à 6 heures par semaine, ou occuperont des postes d’assistants d’éducation à mi-temps. Pour que ces heures de « mise en stage » puissent prétendre constituer une réelle formation au métier d’enseignant, elles devraient être préparées, ouvrir à un suivi ainsi qu’à des retours sur expérience. Or la circulaire ne fait mention ni de dispositif d’encadrement, ni du rôle d’éventuels tuteurs ou formateurs. A charge pour les universités de remanier leurs maquettes pour éventuellement envisager un tel suivi. Or, même si des collègues se montraient enthousiastes à l’idée d’une énième modification non suivie d’un bilan sérieux, un obstacle se dresserait devant eux : les maquettes actuelles sont déjà surchargées et il faudrait donc tailler à la serpe dans les heures dévolues à l’initiation à la recherche ainsi qu’à la préparation des concours. Cela reviendrait à sacrifier toute formation à la recherche et par la recherche, déjà réduite à une portion plus que congrue dans les masters enseignement actuels, et à mettre en péril de manière tout aussi sûre les chances de réussite des candidats à la fois au diplôme et aux concours.

Nonobstant, les deux ministres se réjouissent de la mise en place de ces masters en pseudo alternance – car nous y sommes : dès la rentrée prochaine, Luc Chatel annonce qu’une trentaine d’universités dans huit académies (Versailles, Bordeaux, Marseille…) se lanceront dans ce nouveau chantier. Pourquoi un tel enthousiasme ?

Replâtrer les gouffres créés par le ministère

Utiliser les étudiants des masters en alternance comme moyens de remplacement est une bonne opération financière pour le ministère de l’Education nationale. La relativement faible rémunération de ces heures est cependant susceptible d’attirer les étudiants qui ont le plus besoin de financer leurs études tout en remettant en question leurs chances de réussite au concours. Est-il légitime que des étudiants licenciés fassent office de remplaçants en responsabilité de classes parce que le ministère ne recrute pas assez d’enseignants titulaires pour assurer la continuité du service public ?

L’enjeu n’est certes pas d’améliorer la formation des enseignants, comme des éléments de langage débités ad nauseam tendent à le faire croire, encore moins d’essayer de placer devant les élèves les professeurs les plus soigneusement recrutés et formés, mais plutôt de participer activement à la Révision générale des politiques publiques dans une logique purement comptable.

Avec ces masters en alternance, des étudiants – enseignants-contractuels seront rémunérés de 3 000 à 6 000 euros par année scolaire (pour 3 à 6 heures hebdomadaires pendant 10 mois d’exercice), soit beaucoup moins que la part de salaire correspondante de professeurs titulaires, rémunérés sur 12 mois. 6 000 euros par an pour 6 heures devant élèves par semaine c’est aussi beaucoup moins que… les 16 800 euros que recevaient les enseignants-stagiaires pour le même temps en responsabilité devant élèves (le reste de leur temps de service étant consacré à la formation) avant cette réforme.
Le cynisme des ministres va plus loin : Valérie Pécresse a déclaré qu’elle donnerait « des instructions pour que l’on prenne en priorité dans les masters en alternance des jeunes sur critères scolaires et sociaux ». Les masters en alternance, une mesure sociale ? Tartufferie ! La rémunération des heures de stage est certes cumulable avec le montant des bourses, mais c’est aussi cibler les catégories les plus défavorisées alors que le dispositif obère très lourdement les chances de réussite à un concours ouvrant à la fonction publique et à des conditions sereines d’exercice de ce métier, ainsi que les possibilités de réussir un diplôme fondé sur une initiation à la recherche. Les étudiants les plus fragiles économiquement seront fortement tentés par un système séduisant à court terme mais qui met en péril leurs chances d’entrer dans le métier autrement que comme contractuels ainsi que leurs perspectives de carrière.

Le besoin de personnel dans l’Education nationale est devenu tel que le ministre, pompier pyromane – ou sapeur Camember, on ne sait plus –, ne recule devant aucun expédient pour combler les brèches qu’il agrandit lui-même sans vergogne.
Bien que la France ait le taux moyen d’encadrement dans l’enseignement le plus faible de l’OCDE, particulièrement dans l’enseignement primaire avec seulement 5 enseignants pour 100 élèves en 2007 (rapport du Comité d’analyse stratégique), Luc Chatel a supprimé 16 000 postes à la rentrée 2010 et s’apprête à en supprimer encore 16 000 à la rentrée prochaine. Il lui faut donc replâtrer ces gouffres béants. Ces étudiants ont pour fonction essentielle – le silence de la circulaire du 12 juillet 2010 sur le dispositif de suivi et d’encadrement de ces masters en alternance le prouve – de pallier les besoins non satisfaits en enseignants devant élèves, dans un contexte de pression démographique croissante depuis le babyboom du millénaire. Ces étudiants pourront remplacer les directeurs d’école lors de leur journée hebdomadaire de décharge par exemple et pourvoir à toutes sortes de besoins de remplacement ; les professeurs titulaires remplaçants sont en effet déjà très sollicités et certains départements, comme la Seine-Saint-Denis, déficitaires en « moyens de remplacement ».

Outre que cette cuisine financière peu ragoûtante et cette « gestion des ressources humaines » ne peuvent tenir lieu de politique de formation des enseignants ou de remplacement de titulaires, et alors même que le ministère de l’Education nationale se soucie de recruter des professeurs dont la première compétence serait d’« agir de manière éthique et responsable », on peut s’interroger sur la légitimité d’un dispositif conduisant structurellement des étudiants simples titulaires d’une licence à prendre en responsabilité des classes. Ces étudiants, qui n’ont encore passé aucun concours, manifestent – et c’est normal - des capacités pour le métier d’enseignant extrêmement contrastées. Les élèves peuvent-ils pour autant servir de cobayes à des étudiants dont il n’est même pas certain qu’ils optent pour l’enseignement ou soient recrutés pour cela ? Si des stages d’observation, voire de pratique accompagnée, peuvent permettre aux étudiants de prendre la mesure des réalités du terrain et de vérifier leur motivation, avant de s’engager dans un processus de recrutement par concours, un stage en responsabilité ne peut être exercé « pour voir ». Ni formation ni sélection « sur le tas » (rappelons qu’il s’agit d’élèves) ne sont acceptables. Il revient à l’Etat en revanche d’assurer la continuité du service public en recrutant assez de professeurs titulaires pour assurer leur présence en nombre suffisant devant les élèves et ce dans tous les établissements de France.

Substituer des volants de contractuels à la fonction publique d’Etat dans l’Education nationale

Le ministère de l’Education nationale prévoit explicitement d’utiliser les étudiants remplaçants des masters dits en alternance comme un vivier de personnels précaires contractuels. Le ministre entend d’ailleurs continuer de supprimer un poste sur deux dans l’Education nationale à l’occasion des départs à la retraite et recruter des contractuels. En rendant extrêmement difficile l’accès à la formation des jeunes professeurs durant leur année de fonctionnaire-stagiaire, il entend encourager les étudiants à se lancer dans ces stages dès leur master ce qui rendra plus difficile leur réussite aux concours de recrutement. Les masters dits en « alternance » favorisent la substitution de contractuels à des fonctionnaires pourtant dans de meilleures conditions pour exercer leur métier de manière satisfaisante, à l’échelle nationale. Les étudiants veulent de moins en moins devenir enseignants.

Mais l’enjeu n’est pas seulement financier, ces masters en alternance contribuent aussi à substituer au recrutement par concours la contractualisation de la profession enseignante, ce qui met en péril la notion même d’Education nationale.

Dès le mois d’octobre 2010, le ministère de l’Education nationale soulignait dans une circulaire sur « l’amélioration du dispositif de remplacements des personnels enseignants dans les établissements d’enseignement du second degré » que « dans le cadre de la réforme du recrutement des personnels enseignants et la mise en place des nouveaux masters, le partenariat mis en place avec les universités constitue un moyen privilégié pour disposer d’informations actualisées et régulières sur les étudiants diplômés pouvant être recrutés en tant qu’agents non titulaires ». Ce vivier de non titulaires est constitué des étudiants diplômés de masters enseignement mais ayant échoué aux concours – les « reçus collés ». Il s’agit bien pour le MEN d’un « gisement » à exploiter, plutôt que d’une population étudiante qui, n’ayant pas satisfait aux épreuves des concours de recrutement, devrait de manière préférable s’orienter vers une autre profession. Les étudiants engagés dans des masters en alternance pourront ainsi constituer un vivier privilégié pour les chefs des établissements dans lesquels ils auront réalisé leur stage. Rappelons que le dispositif CLAIR en particulier, étendu en ECLAIR, permet à la direction des établissements scolaires d’intervenir dans le recrutement des enseignants.

Luc Chatel a d’autres cordes à son arc pour recruter des contractuels plutôt que d’ouvrir suffisamment de postes aux concours : il a fait part de sa volonté de recourir aux étudiants de licence et aux retraités, la circulaire du 12 juillet 2010 encourage le recours à Pôle Emploi, ce que le rectorat de Paris a fait ce 26 mai 2011 en organisant une journée de prérecrutement de professeurs remplaçants : la précarisation du corps enseignant en marche (pour une revue de presse de cette « foire aux contractuels ») Luc Chatel enfonce d’ailleurs le clou et se présente comme une sorte de grand recruteur. Dans le cadre de la RGPP et de la politique de non-remplacement d’un fonctionnaire sur deux partant à la retraite, les 33 000 départs envisagés dans l’Education nationale pour 2011 se traduisent par une suppression de 16 000 postes. Mais le ministre annonce, sans vergogne, qu’il lancera le mercredi 1er juin 2011 une campagne de… recrutement de 17 000 postes en 2011 ! On a là un exemple de la politique de communication gouvernementale qui voudrait faire prendre des vessies pour des lanternes et passer des suppressions de postes pour une politique volontariste d’amélioration de la situation de l’Education nationale. Il annonce qu’« il y aura aussi quelques contractuels » : au moins 5 000 si l’on suit son décompte ! (17 000 recrutements : 3 000 professeurs des écoles, 8 600 certifiés ou agrégés… restent 5 400 autres recrutements) ; « mais la plupart seront recrutés à vie »… et pourquoi pas recrutés comme fonctionnaires ? La technique a été éprouvée dans de grands organismes, comme France Telecom, avant leur privatisation.
Le nombre de vacataires est déjà trop important dans l’Education nationale. La conséquence d’une telle réforme serait la mise en place d’une formation et d’un recrutement des enseignants à deux vitesses et, très rapidement, d’une Education Nationale à deux vitesses, car personne ne croit plus que la dégradation des conditions de formation et de travail ne finit pas par peser sur la qualité du travail (voir cet article New York Times).

Dans ce contexte d’équarrissage de la fonction publique de contractualisation de la profession enseignante, les masters en alternance sont une pièce maîtresse du dispositif. Il faut les mettre en relation avec une nouvelle circulaire sur le « dispositif d’accueil, d’accompagnement et de formation des enseignants stagiaires des premiers et second degrés et des personnels d’éducation stagiaires » qui entrera en vigueur au 1er septembre 2011. Celle-ci établit un dispositif inouï qui rend extrêmement difficile l’accès à la formation pour les enseignants-stagiaires : celle-ci devrait être dispensée en plus de l’obligation réglementaire de service – les stagiaires étant affectés à plein temps !

Quelles que soient les incohérences d’un tel dispositif, la tactique du ministère, elle, est claire : rendre impossible la formation alternée durant l’année de fonctionnaire-stagiaire et reporter celle-ci en amont des concours. Les masters dits en alternance en inscrivant, sur le papier, si ce n’est une véritable formation alternée, du moins une sorte d’acculturation des étudiants au terrain de l’enseignement, paraissent répondre – de manière très fallacieuse – aux besoins de formation des futurs enseignants ou sont susceptibles d’attirer par nécessité financière les étudiants les plus fragiles. Mais en rendant la préparation des concours de plus en plus difficile – et en favorisant la constitution de viviers de non titulaires, tel que le relève avec intérêt la circulaire du 14 octobre 2010 –, ces masters en alternance ne peuvent qu’alimenter la désaffection à l’égard des concours, la contractualisation et la précarisation de la fonction enseignante.

L’entrée dans la fonction publique ne renvoie pourtant pas seulement à un statut, elle est surtout la condition de l’exercice serein d’un métier de service, défini à l’échelle nationale, selon les règles d’une profession contrôlée par des corps d’inspection et dans une juste autonomie par rapport aux personnels de direction des établissements. Mais le ministre actuel semble peu attaché à la dimension nationale de l’Education et contribue activement à la mise en place d’une gestion managériale d’un service public d’Etat.

Ce faisant, les ministres de l’Education nationale et de l’Enseignement supérieur et de la Recherche jouent avec le feu : cette attaque multiforme de la formation et du recrutement des enseignants emballée d’une grosse ficelle – la « masterisation » de la formation des enseignants – qui n’a plus rien de ronflant ni d’attirant, dissuade les étudiants de s’engager dans le métier d’enseignant : une note du ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche révèle que seulement 12 % des étudiants de licence souhaitent s’orienter vers le métier d’enseignant, soit 11 points de moins qu’il y a 6 ans.

La masterisation de la formation et du recrutement des enseignants du premier et du second degré apparaît ainsi plus que jamais comme l’instrument destiné à défonctionnariser massivement le personnel du Ministère de l’Éducation nationale. Le gouvernement entend confier la formation des générations futures à des enseignants précarisés par leurs statuts comme par leurs niveaux de rémunération. Derrière la RGPP, c’est bien un « plan d’ajustement structurel » qui est à l’œuvre actuellement en France. La défonctionnarisation ne peut que conduire à appauvrir le monde enseignant, composante importante des classes moyennes. La comparaison avec l’évolution récente de certains pays d’Amérique latine ne peut qu’inquiéter à cet égard. Voulons-nous vraiment d’une société dans laquelle l’immense majorité vivra avec le SMIC (pour les chanceux qui auront un emploi à plein temps) et une petite minorité se partagera bonus spéculatifs et cadeaux fiscaux ? Voilà qui devrait être l’enjeu de la future élection présidentielle.


Sauvons l’Université !
31 mai 2011