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Le mythe fracassé de la méritocratie britannique - B. Venard, Professeur et chercheur à l’université d’Oxford ; Libération, 12 septembre 2011

jeudi 15 septembre 2011, par Mariannick

Cinq morts, des centaines de blessés et plus de 100 millions de livres sterling de dégâts [115 millions d’euros], tel est le bilan des émeutes britanniques de cet été. Devant l’ampleur du phénomène, les Britanniques s’interrogent toujours pour comprendre le malaise qui a fait trembler leur pays. Une explication provient de la faillite du système méritocratique britannique.

Le principe essentiel d’une société méritocratique est que chacun puisse aller aussi loin que ses mérites le permettent. Pour corriger les inégalités à la naissance, il est nécessaire notamment de permettre l’accès à l’enseignement supérieur à ceux qui le peuvent sur la base de leurs talents personnels sans prendre en compte leur richesse ou leur capital social.

Il y eut un scandale outre-Manche quand une étude de la fondation Sutton fut dévoilée en juillet 2011 (juste avant les émeutes) montrant le contraire. La fondation a épluché les résultats à l’entrée dans le supérieur en Grande-Bretagne des lycéens de 3167 lycées de 2007 à 2009. Première conclusion, les classes favorisées ont un accès privilégié aux meilleures institutions d’enseignement supérieur. Parmi les 100 meilleurs lycées [1], 87 sont des écoles privées et 13 sont publiques. Ces 100 meilleurs établissements britanniques (3 % des établissements) ont totalisé un tiers des admissions à « Oxbridge » (Oxford et Cambridge). Mais le plus choquant, pour la société britannique, est le fait que cinq écoles (dont quatre privées : Eton, St Paul’s, St Paul’s Girls et Westminster) ont envoyé en trois ans 946 étudiants à Oxbridge, ce qui est plus que les 2000 écoles les moins performantes. Ainsi en 2010, 42 % des admis à Oxford proviennent de l’enseignement privé qui représente pourtant seulement une minorité des lycéens du Royaume-Uni. Les étudiants de l’enseignement privé sont donc beaucoup mieux préparés pour accéder à l’élite de l’enseignement supérieur. Contrairement à la France, où l’enseignement privé reste relativement abordable, l’enseignement privé outre-Manche est simplement hors d’accès pour les classes défavorisées et moyennes. Selon nos calculs, les quatre meilleurs lycées britanniques privés ont des droits de scolarité moyens avec les frais d’internat en 2011 de 27 000 livres [31 000 euros]. Dès la maternelle, les institutions privées préparent les jolis bambins des classes privilégiées à la course d’obstacles de l’accès au supérieur avec des droits d’inscription prohibitifs.

Deuxième conclusion de l’étude de la fondation Sutton, la différence de performance entre l’enseignement public et l’enseignement privé ne s’explique pas uniquement par la qualité des étudiants. En effet, un très bon lycéen ayant obtenu l’équivalent d’une mention très bien au baccalauréat britannique (A level’s) a 58 % de chance d’accéder à l’une des 30 meilleures universités britanniques s’il provient d’un lycée public moyen et 87 % s’il est issu de l’enseignement privé.

Troisième point, l’étude de la fondation pointe du doigt l’importance de l’exclusion de l’enseignement supérieur. Dans les trois dernières années, 757 628 lycées ont accédé à l’enseignement supérieur mais 105 442 bacheliers ont été refusés. Il faut savoir que les universités britanniques sélectionnent les étudiants et certains candidats ne trouvent donc aucune place. Ce mécanisme d’exclusion est renforcé par le triplement des droits de scolarité universitaire par le précédent gouvernement travailliste et un nouveau triplement décidé par la coalition actuellement au pouvoir. A 9 000 livres par an [environ 10 300 euros], les moins favorisés et les classes moyennes risquent de ne plus envisager la possibilité d’une ascension sociale.

Devant l’ampleur de l’exclusion, Peter Lampl, le fondateur du Sutton Trust, a déclaré : « Fils d’immigrés issu des classes pauvres, je suis pourtant rentré à Oxford et j’ai réussi ma vie professionnelle. L’échelle qui m’a aidé à monter dans la hiérarchie sociale, a disparu. » Si le mécanisme de choix des élites repose sur les résultats académiques antérieurs, on peut avoir un mécanisme sain de renouvellement des classes dirigeantes. Mais quand l’inégalité sociale domine la formation des élites britanniques, une partie de la population est laissée pour compte, abandonnée et sans espoir d’ascension sociale. L’échec conduit au désœuvrement qui peut laisser la place à la haine et à la destruction.

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[1Classés selon le pourcentage de lycéens admis dans les 30 meilleures universités britanniques