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Education : les évaluations « trompeuses » du ministère - Laurent Mouloud, L’Humanité, 15 septembre 2011

jeudi 15 septembre 2011, par Mariannick

Après l’OCDE et le Conseil économique et social, le Haut conseil de l’Education (HCE) livre à son tour un rapport au vitriol sur la politique éducative du gouvernement. Cette fois, ce sont les dispositifs d’évaluation des élèves qui sont visés. Depuis la LOLF, le ministère de l’Education nationale est tenu, en effet, de fournir chaque année au Parlement des « indicateurs de performance ».

Deux catégories principales cohabitent : les indicateurs qui, depuis 2007, évaluent à la fin du primaire et du collège les « compétences de base » en français et en mathématiques ; et les fameuses évaluations que passent, depuis 2010, tous les élèves de CE1 et CM2. Or, selon le HCE, aucun de ces deux types d’indicateurs ne rend compte objectivement de la réalité du système scolaire.

Les premiers – les indicateurs concernant des « compétences de base » - sont jugés « partiels, peu exigeants et donc trompeurs ». Comme le souligne le HCE, ils n’évaluent qu’une compétence et demie sur les sept listées dans le « socle commun », ce minimum culturel que l’Etat a l’obligation, selon la loi de 2005, de faire acquérir à tous les élèves français. De même, la forme de l’évaluation – questionnaire à choix multiple – « ne permet pas de prendre en compte des capacités aussi essentielles que l’expression écrite ou orale en français, ou la construction de figures géométriques en mathématiques ». Enfin, le niveau d’exigence de ces évaluations serait « bien moindre » que celui requis pour le socle commun. Conclusion du HCE : « Cet indicateur devrait être rapidement supprimé. »

Instaurées en 2010, les nouvelles évaluations que les enseignants font passer à tous les élèves de CE1 et CM2 ne trouvent pas grâce, non plus, aux yeux des membres du HCE. Pour ces derniers, elles ne sont « pas fiables ». Notamment pour des raisons de méthode puisqu’elles instaurent une « confusion manifeste » entre une évaluation du système éducatif et une évaluation de sa classe par le maître. Le HCE remarque, par ailleurs, une « diversité de pratiques » : certains enseignants laissent par exemple à leurs élèves plus de temps que prévu pour faire les exercices ; d’autres « préparent » les élèves aux exercices, gonflant ainsi les résultats. Pour le HCE, c’est clair : « Les évaluations de CE1 ne peuvent servir de support à l’élaboration rigoureuse d’un indicateur de pilotage du système éducatif relatif aux acquis. » Idem pour celles de CM2 et de 3e.

« La fiabilité des indicateurs n’est pas assurée, enchaîne le HCE. La manière dont ils sont renseignées (par les propres enseignants des élèves, ndlr) n’est ni contrôlée ni harmonisée », pointe le Haut conseil. Il relève des « pratiques variables d’une école ou d’un collège à l’autre, voire d’une classe à l’autre », rompant ainsi avec le principe d’équité. En fin de troisième, le HCE estime même à « 11% » la proportion d’élèves qui se sont vus attribuer le socle commun sans en avoir validé les sept compétences...

Les syndicats, déjà très critiques de ces méthodes d’évaluation, ont réagit aussitôt. Le SE-Unsa a demandé jeudi à Luc Chatel de « suspendre » les évaluations CE1et CM2. « Comme nous le disons depuis l’origine, ces évaluations n’ont aucun intérêt pour les enseignants et leurs élèves. Il faut sortir des logiques technocratiques pour concentrer les efforts sur les exigences pédagogiques qu’impose l’institution du socle commun. »

Pour le SNUipp-FSU, principal syndicat du premier degré, « la démonstration est une nouvelle fois faite que le temps éducatif et le temps politique ne font pas bon ménage. Une communication artificiellement valorisante sur les résultats trompeurs d’évaluations mal conçues ne peut tenir lieu de boussole pour orienter l’École. Une évaluation sérieuse des acquis et des difficultés des élèves nécessite des indicateurs fiables et pertinents. Elle doit aussi se déployer dans la durée et en toute indépendance. »

Début 2011, le ministre Luc Chatel avait demandé à la DEPP (division des études du ministère) d’aider la Dgesco à améliorer la qualité de ces évaluations. Le HCE, lui, suggère de créer un dispositif nouveau qui s’inspirait de la méthodologie des évaluations CEDRE (Cycle des évaluations disciplinaires réalisées sur échantillon), menées sans grande publicité depuis 2003. Ces évaluations s’effectuent sur des échantillons d’élèves et se déroulent à deux moments-clés de la scolarité - la fin de l’école primaire et la fin du collège. « Le moment est venu de confier à une agence d’évaluation indépendante la mise en œuvre d’un tel programme, ajoute le HCE. Il est essentiel en effet que, dans notre démocratie, les données concernant les résultats de notre système éducatif soient objectives et transparentes, donc incontestables. » Ce qui n’est apparemment pas le cas aujourd’hui.

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