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Le gouvernement casse l’école, au quotidien les profs bricolent - Cécile Alibert et Noémie Rousseau, "Médiapart", 27 septembre 2011

mardi 27 septembre 2011, par Laurence

Les enseignants du public et du privé ont manifesté en masse ce mardi 27 septembre pour dénoncer les 14.000 suppressions de postes prévues au budget 2012 présenté mercredi au conseil des ministres et protester contre la réforme de la formation.

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Ils étaient 110.000 à défiler à travers la France, selon le ministère de l’intérieur, 165.000 selon les syndicats de l’éducation nationale qui ont annoncé 45.000 manifestants à Paris (8.500 personnes selon la préfecture de police).

Au total, ce sont 80.000 postes d’enseignants qui auront disparu sous le quinquennat de Nicolas Sarkozy, soit un dixième de l’effectif, alors que le nombre d’élèves est en perpétuelle augmentation. Mercredi dernier, le ministre de l’éducation, Luc Chatel, a dit « assumer » cette politique, tout comme la contradiction entre ces suppressions de postes et l’ambition de « réduire les inégalités en personnalisant » les parcours des élèves.

Etat des lieux d’une école en crise, telle que l’ont racontée des enseignants croisés dans la manifestation parisienne.

UNE FORMATION AU RABAIS.

Camille, 25 ans, est professeure stagiaire à Bobigny. « J’ai toujours voulu enseigner, mais aujourd’hui j’ai peur de mal faire et finalement de pénaliser mes élèves. » Après deux ans de master sur les bancs de la fac, ponctués de quatre petites semaines de stage, elle vient d’être propulsée dans une classe de CM1 à Bobigny, en ZEP (zone d’éducation prioritaire). Elle attend la visite de son maître formateur, prévue début octobre. « On va m’apprendre la programmation, c’est-à-dire étaler les apprentissages. C’est bien mais je suis devant mes élèves depuis un mois ! » Il paraît qu’elle pourrait ensuite avoir des modules de formation les mercredis après-midi. Il paraît, parce que pour l’instant personne ne peut la renseigner. En plus, le mercredi après-midi elle prépare sa classe, essaie de s’avancer tant bien que mal, histoire de ne pas se coucher à minuit tous les soirs. A l’école, les parents ne savent pas qu’elle est stagiaire, elle n’en parle pas. Et quand ils posent des questions, elle détourne les conversations.

DES CLASSES SURCHARGÉES

Thierry enseigne devant 30 élèves de CM2 à Domont, dans le Val-d’Oise. Il a commencé sa carrière à 25 élèves. Cinq de plus, ça change tout en termes de « vie de classe » : plus le temps pour les discussions informelles entre professeur et élèves. L’hypocrisie du gouvernement qui, d’un côté, prône l’individualisation de l’enseignement et, de l’autre, supprime tous les moyens pour y parvenir, il la constate au quotidien. Les professeurs du Réseau d’aide spécialisée aux élèves en difficulté (RASED) sont en voie de disparition. « Les enfants suivis l’année dernière ne le sont plus. Le soutien se fait dans la classe, comme il y a 30 ans ! C’est une énorme régression. » Quand il découvre qu’un de ses élèves souffre de dyslexie, il avise, « c’est du bricolage ». Parce qu’il faut bien que la classe tourne, il faut bien finir le programme. Quand il essaie d’adapter son cours, « c’est finalement du temps qu’on prend aux 29 autres pour le consacrer à un seul. »

DES PROGRAMMES ÉTABLIS SANS CONCERTATION

Jean-François est professeur d’histoire-géographie au lycée Newton de Clichy. Lui, se bat tous les jours avec le nouveau programme dans sa matière. « Avec ses entrées thématiques en histoire et notionnelles en géographie, il n’est pas idiot mais hallucinant en termes de volume. C’est "inenseignable", trop long et trop complexe, surtout par rapport au temps imparti. » Et puis, il y a le baccalauréat d’histoire pour les séries S à la fin de la première et non plus de la terminale. « Pour s’assurer qu’il n’y ait pas de plantage, les questions seront sans doute faciles. Et on fera comme si rien ne se passait... » Pourtant, il aurait pu en être autrement : « Il n’y a pas eu de réflexion ni de concertation avec les enseignants, il fallait aller vite. C’est typique de la part du gouvernement actuel : des réformes idéologiques imposées et contraintes. » Le professeur dit ne pas trop mal s’en sortir, sa classe est réceptive, ses élèves sympathiques. Comme tous ceux rencontrés dans le cortège, il « adore » son métier. Mais le ras-le-bol, le « mépris de cette institution » vis-à-vis de ses « cadres, les plus maltraités de la fonction publique », pourraient le faire renoncer : « C’est la première fois qu’il m’arrive de songer à changer. Et je suis frappé d’entendre de plus en plus de collègues dire qu’ils en ont marre, qu’ils veulent changer. »


DU MEPRIS POUR L’ORIENTATION

Jeanne est conseillère d’orientation. Comme ses collègues enseignants, elle subit de plein fouet les suppressions de postes. Seul un départ à la retraite sur six est remplacé. « Alors pour répondre aux besoins, on recrute des contractuels, précaires et non formés ! », interrompt sa collègue Séverine. Outre ses permanences au Centre d’information et d’orientation (CIO) de Gennevilliers, Jeanne se partage entre un collège et un lycée : trois demi-journées par semaine dans le premier, une seule dans le second. Les élèves qui peuvent la voir ont de la chance. Et sur chacun des établissements, elle est la seule conseillère d’orientation. La jeune femme s’occupe de plus d’un millier d’élèves. « On ne peut pas voir tout le monde, il faut s’organiser, définir des priorités, sinon c’est ingérable. » Elle compte sur les professeurs, conseillers d’éducation pour repérer les élèves qui auraient besoin d’être guidés dans leur choix ou réorientés. L’entretien individuel est devenu rare. Et quand il a lieu, le suivi n’est pas garanti. « Il faudrait revoir ces élèves en difficulté deux ou trois fois, mais c’est du temps qu’on prend sur les autres. » Absence de suivi, absence aussi de structure, explique Séverine. « Il m’est arrivé de repérer un enfant en situation de handicap, j’enclenche le processus avec les spécialistes, les entretiens individuels... L’enfant a dû attendre plus d’un an, pour qu’à la fin on nous réponde qu’il n’y avait aucune place dans une structure spécialisée. »

LE PRIVÉ N’EST PLUS EPARGNÉ

Elisabeth n’est pas une habituée des manifestations. Elle dit être là avant tout « pour les élèves », et aussi parce que, cette fois, le mot d’ordre l’a convaincue. Convaincue qu’il fallait battre le pavé avec ses collègues du public. Car elle enseigne dans le privé, une petite école dans le IVe arrondissement de Paris. « On est peut-être sous contrat avec l’Etat mais on doit suivre aussi les directives du ministère. » Dans sa classe de CP, il a fallu faire deux séries d’évaluation. « Ils veulent nous mettre en boîte, faire du chiffre, du rendement. La logique d’entreprise à l’œuvre ne respecte pas les enfants. » Une classe risque de fermer dans son école, elle s’inquiète. Finalement, elle sera « bien contente » de prendre sa retraite dans trois ans.

Plus loin, il y a aussi Francine, enseignante dans un lycée professionnel privé dans le Val-d’Oise. A ses yeux son statut ne la protège pas contre la précarité, bien au contraire : « Quand on est vacataire, c’est un contrat renouvelable tous les ans, et ce pendant six ans, après on peut enfin signer un CDI. La période d’essai est un peu longue après un bac +5. »

LES ELEVES HANDICAPES SACRIFIES

Isabelle, bientôt 50 ans, connaît bien son métier. Et pour cause, elle enseigne depuis le 17 octobre 1980. Ces dernières années, elle a choisi de se spécialiser auprès des enfants handicapés, dans une classe d’intégration scolaire, à Sarcelles. Sa classe comprend 12 élèves, âgés de 7 à 12 ans, avec des compétences allant de 4 à 10 ans. Et un constat s’impose : le métier se dégrade. Ses élèves peuvent normalement intégrer pendant quelques heures des classes ordinaires mais qui, par manque de place, ont toujours plus de mal à les accueillir. Isabelle s’inquiète aussi du devenir des auxiliaires de vie scolaires, ou AVS comme on dit dans le jargon. Leur nombre baisse, en même temps que leur qualification. « J’ai une AVS dans ma classe. Elle n’a aucune formation et est payée 900 euros par mois pour 32 heures par semaine. » Une situation jugée « très préoccupante ». Et c’est sans compter le programme, toujours plus lourd. « On nous parle de personnalisation de l’enseignement mais c’est impossible à appliquer au quotidien. » A Sarcelles, les enfants subissent de plein fouet la crise sociale. 40% de familles monoparentales, 70% de logements sociaux, des parents qui travaillent souvent en horaires décalés. « Au final, les enfants de banlieue sont particulièrement désavantagés. »

Christine, directrice d’une école maternelle (6 classes) à Argenteuil, est confrontée au même problème. Son EVS (emploi de vie scolaire) chargée de l’aider pour les tâches administratives part fin octobre, ne sera pas remplacée, mais en plus, il leur manque une AVS (auxiliaire de vie scolaire). Sur les quatre enfants handicapés scolarisés dans son école, l’un d’eux ne bénéficie d’aucune assistance. « On fait comme on peut, quand c’est possible, on enlève une AVS à l’un pour la mettre sur l’autre. Mais il n’est pas correctement stimulé. Surtout dans une classe à 27 où déjà l’apprentissage de l’écriture et la lecture n’est pas évident. » Le médecin scolaire est « inexistant », les professeurs itinérants chargés de conseiller les enseignants face aux élèves en difficulté ont « disparu » et elle, on lui a « fait comprendre qu’en cas d’absence il n’y aura pas de remplacement ».


L’IDEOLOGIE DU MANAGEMENT

Florian parle de « saignée » pour évoquer la suppression de postes effectuée par le gouvernement. Depuis son arrivée dans l’éducation nationale, cet homme de 29 ans a vu la situation se dégrader. Avant d’enseigner en collège, il a été professeur d’histoire-géo dans un lycée pendant quatre ans. Cette année, sa matière est supprimée dans les classes de terminale S. Un comble pour ce professeur passionné. Enseigner dans un collège à Montreuil le change. « Cela suppose un temps de préparation au niveau pédagogique plus long. Les élèves ne sont pas encore à un âge où ils sont blasés mais il faut faire en sorte de les intéresser. » Avec 25 élèves dans sa classe, Florian n’a pas à se plaindre, même si les collégiens demandent plus de discipline. Depuis six ans qu’il enseigne, Florian constate que « quelque chose est en train de changer ». L’école devient peu à peu une entreprise avec, à sa tête, un chef qui applique une logique managériale. « Les enseignants sont sous la tutelle du chef d’établissement alors que tout le monde devrait travailler ensemble. » Mais le jeune enseignant insiste, toutes les évolutions ne sont pas forcément négatives. Et de citer un exemple : les programmes de 4e davantage en phase avec le monde d’aujourd’hui. « Il est désormais question de la colonisation, de la traite négrière en histoire ou de la mondialisation en géographie ». Un aspect positif certes, mais qui a du mal à masquer le poids toujours plus lourd des programmes.

DES PARENTS DE PLUS EN PLUS EXIGEANTS

Jean-Marc, 54 ans, ne veut pas dire le nom de son établissement, ni de sa ville, par peur d’être reconnu. Il est instituteur depuis 26 ans et enseigne à une classe à double niveau. « J’ai 29 élèves, il faut faire cours aux CM1 tout en occupant les CM2. » Selon lui, ce système marche peut-être pour les communes « bourgeoises » mais pas dans les communes du 95. Avec le temps, Jean-Marc a dû apprendre à être polyvalent. « On nous demande d’enseigner les matières classiques mais aussi de faire de l’informatique, de l’éducation civique, de la sécurité routière... et le tout avec 24 heures par semaine. C’est mission impossible ! » Et Jean-Marc ne s’arrête pas là. Il dénonce des programmes inadaptés pour des classes comme la sienne, sans parler de la suppression du samedi matin qui permettait de « faire le point avec les élèves ». Pour couronner le tout, l’image de l’enseignant ne cesse de se dégrader. « Quand on met une punition à un élève, on doit aujourd’hui s’expliquer auprès des parents qui nous demandent des comptes. »

DES MUTATIONS DIFFICILES

Quand elle a décidé de passer le concours pour devenir professeur, Lise ne s’attendait pas à devoir déménager à l’autre bout de la France. Pour sa deuxième année d’enseignement, la jeune femme de 29 ans a dû quitter Marseille et s’installer dans le 93, à Tremblay, où elle donne des cours de français et d’histoire-géo dans un lycée professionnel. Son mari est resté dans sa ville d’origine. Résultat, Lise doit faire 800 km chaque week-end pour le retrouver, soit « 10 heures de TGV aller-retour ». Le tout, sans indemnités, bien sûr. « Avec les suppressions de poste, être marié ne suffit plus pour rester dans son académie d’origine. » Lise n’a commencé dans son nouveau lycée que depuis quatre semaines et, déjà, la fatigue se fait sentir. Et, éloignée de son conjoint, le moral n’est pas au beau fixe. D’autant plus qu’elle a parfois le sentiment que ses cours sont inutiles. « Le dédoublement des classes a été en partie supprimé. Du coup, j’enseigne en classe entière à des terminales difficiles. Je fais souvent plus de la garderie qu’autre chose ! » Comme ses collègues, Lise dénonce des programmes « hyper chargés », qui obligent à « survoler les séquences ». Pour elle, il faudrait faire des programmes plus légers pour que l’enseignant prenne vraiment le temps d’expliquer. Lise ne sait pas encore ce qu’elle va faire si sa demande de mutation pour l’année prochaine est rejetée. Elle préfère « ne pas trop y penser ». Mais une chose est sûre, elle ne se voit pas tenir « comme ça » pendant deux ans.

LA PENURIE DE REMPLAÇANTS

La solidarité. C’est ce qui a poussé Sébastien, 35 ans, à venir manifester. Ce professeur d’électronique soutient ses collègues qu’ils considèrent plus touchés que lui par les multiples réformes. 24 élèves par classe. De quoi rendre jaloux certains enseignants. Mais ce nombre est limité uniquement pour des questions de sécurité. Pourtant, tout n’est pas rose non plus au lycée professionnel Gustave-Ferrié, dans le Xe. Principal problème : le manque de remplaçants. « Lorsqu’un professeur tombe malade, il n’y a personne pour le remplacer. Normalement, on fait appel à des vacataires mais il y a une pénurie de vacataires en électronique à Paris. » A cela s’ajoute le non-remplacement des départs à la retraite qui oblige Sébastien à faire des heures supplémentaires. Des heures supplémentaires qui, combinées, pourraient créer un poste. Sébastien voit également d’un mauvais œil les réductions budgétaires et s’inquiète pour l’avenir. « Pour l’instant, la gestion du budget est nationale, mais qui nous dit qu’à terme, elle ne se fera pas par académie ? » Et qu’on ne vienne pas lui parler de métier privilégié. « Certes, le statut d’emploi à vie est un atout mais, au niveau salaire par exemple, travailler dans l’industrie et être enseignant n’est pas tellement différent. » Le professeur sait de quoi il parle puisqu’il était technicien dans le privé, jusqu’à ce qu’il démissionne pour rejoindre les bancs de l’éducation nationale. A l’époque, il ne savait sans doute pas encore dans quoi il s’embarquait.