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L’usine à gaz de la recherche française - Alain Perez, Les Echos, 17 octobre 2011

mardi 18 octobre 2011, par Elie

« Alors ? Tu n’as pas encore ton Labex ? Pour nous, ça marche bien. On a le statut IRT et nous avons décroché deux Equipex. Mais toujours pas de SATT en vue. » Ce dialogue imaginaire entre deux chercheurs résume l’étrange novlangue désormais pratiquée dans le monde de la recherche hexagonale. Ces termes désignent des entités apparues dans la foulée du grand emprunt lancé en juin 2009. Ils s’ajoutent aux PRES, ANR, Aeres et RTRA, issus de la réforme des universités mises en oeuvre depuis 2007.

Ces concepts redessinent en profondeur la carte de la recherche hexagonale, en créant des ensembles destinés à concurrencer les grands pôles internationaux de R&D. Quand la décantation darwinienne des projets sera terminée, les meilleurs subsisteront et on y verra plus clair. En attendant, la nouvelle organisation reste illisible à une majorité de chercheurs hexagonaux... et totalement incompréhensible aux scientifiques étrangers.

Labyrinthe

En fait, seuls les initiés de Bercy ou du ministère de la Recherche sont semble-t-il capables de s’y retrouver dans ce labyrinthe scientifico-administratif où s’empilent des projets structurants, des centres et des laboratoires d’excellence, des fondations de recherche et des partenariats publics privés. « C’est une réforme majeure qui permettra à la France de briller dans la compétition mondiale », justifie Jean-Luc Tavernier, directeur adjoint du Commissariat général à l’investissement (CGI), artisan de ce grand chambardement.

« A chaque fois, on rajoute une brique sans supprimer les étages précédents », corrige Alain Fischer, directeur de la fondation Imagine à l’hôpital Necker-Enfants malades, qui a obtenu en mars dernier le statut très envié d’institut hospitalo-universitaire (IHU). Pas de doute, le nouveau paysage de la recherche hexagonale suscite pour l’instant plus de critiques que de louanges. « Valérie Pécresse et l’ensemble de la communauté scientifique ont fait un beau travail », se félicite le ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, Laurent Wauquiez, qui n’entend pas se contenter « d’expédier les affaires courantes » jusqu’à mai-2012. « Il faut poursuivre un ajustement constant du système à partir des remontées provenant de nos universités », précise le ministre.

Au total 22 milliards d’euros sont en jeu. Mais l’essentiel de ce pactole sera distribué sous forme de dotations non consumptibles, c’est-à-dire versées comme un capital dont seuls les intérêts sont utilisables. Parmi les projets structurants retenus dans la première vague figurent six instituts hospitalo-universitaires (IHU), six instituts de recherche technologique (IRT) et trois initiatives d’excellence (Idex). La liste n’est pas close. Un septième IHU dédié à la cancérologie, implanté en région parisienne, est sur les rails et les pressions ne manquent pas pour décrocher ce viatique, porteur de crédits et de notoriété. « On demande à l’Institut Gustave-Roussy (IGR) de s’associer avec Saint-Louis et l’AP-HP. Ce n’est plus un centre d’excellence, mais un réseau. C’est contraire au concept initial », proteste Jean-Charles Soria, chef de service à l’IGR.

Lourdeur des procédures

A l’université Pierre-et-Marie-Curie à Paris, le vice-président Jean Chambaz estime que le ministère « jongle avec les milliards ». Selon lui, la situation comptable de l’UPMC s’est dégradée au cours des trois dernières années. « En réalité, les universités de recherche qui ont joué le jeu de l’excellence s’appauvrissent. » D’après Jean Chambaz, la Rue Descartes continue de surveiller de très près les universités et les pratiques anciennes de « micro-interventionisme » n’ont pas cessé. « On n’a pas changé le logiciel. On ne nous fait pas confiance. En fait, nos moyens n’ont pas augmenté. Un crédit Labex ou Equipex ne sont pas des ressources nettes. Bien au contraire, ce sont des sources de dépenses récurrentes supplémentaires », tempête cet universitaire déçu par le manque d’autonomie et la lourdeur des procédures.

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