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Réformes de l’université : une nécessité technique apolitique - Fabien Tell, maître de Conférences en Neurosciences, 2 décembre 2003

mercredi 26 décembre 2007, par Laurence

Fabien Tell est Maître de Conférences en Neurosciences,
Secrétaire du snes-up-FSU de la faculté de Saint-Jérôme,
Membre élu du comité national du CNRS).

Pour lire cet article sur le site du Snes-up

Les projets actuels de réforme des cursus universitaires, qui inquiètent, non sans raison, les étudiants et une partie des agents universitaires s’inscrivent dans un projet plus vaste de « libéralisation » des services publics (voir C. Laval, Le nouvel ordre éducatif mondial). Sur ce point, les déclarations du doyen de la faculté d’économie d’Aix (La Marseillaise, 29/11) sont tout à fait justifiées ; la mise en place du LMD ne date pas du gouvernement Rafarin. Pour autant cela n’est pas un argument pour les accepter et encore moins pour refuser de voir leur contenu idéologique libéral.

Historiquement, ces réformes suivent les recommandations d’un rapport demandé par ALLEGRE et coordonné par Jacques ATTALI et intitulé : Pour un modèle européen d’enseignement supérieur (1998) [1].

Les auteurs de ce rapport gagnent véritablement à être connus : Pascal Brandys (PDG de Genset), Serge Feneuille (Conseiller de LAFARGE), Michel-Edouard Leclerc (PDG de GALEC), Colette Lewinner (PDG), Francis MER (PDG USINOR et actuel Ministre de l’économie), Jérôme MONOD (Président de Suez-Lyonnaise et actuel conseiller de J CHIRAC) et de six personnalités scientifiques. A l’évidence, leur projet n’était pas socialiste... [2]

Dans ce rapport, on lisait que : « La mondialisation de l’économie de marché, fort bénéfique dans de nombreux secteurs de l’économie, n’a pas touché l’enseignement supérieur français » Plus loin : « Dans toutes les disciplines, une culture entrepreneuriale, valorisant le sens et le goût du risque devra être développée et encouragée dès le lycée ».
On reste stupéfait devant ces déclarations qui ordonnent au service public d’enseignement d’enseigner à nos enfants la vision politique du MEDEF. En d’autres temps et pour d’autres pays cela aurait été dénoncé comme étant de l’endoctrinement idéologique digne d’une société totalitaire. Les enseignants comme nouveaux gardes rouges ? Alors que nous défendons la laïcité en dénonçant le port du voile, nous acceptons comme naturel que l’idéologie libérale soit enseignée à l’université.

Partant sur ces bases, le projet proposait ensuite la réforme des cursus universitaires mis en place par Jack Lang (LMD) et la réforme de la gestion de l’université mis en place par Luc Ferry . Ce rappel permet de comprendre le faux débat actuel entre ceux qui seraient contre la politique Ferry mais qui soutiendraient les réformes du LMD et ceux qui rejettent tout en bloc [3].
On ne peut pas être à moitié contre les réformes tant la logique libérale qui les habite leur est commune. Défendre le projet Lang (LMD) contre le projet Ferry n’a pas de sens, les deux projets sont tout à fait cohérents entre eux et issus du rapport ATTALI.

Accepter le LMD, c’est mettre en place un fonctionnement qui inévitablement amènera à l’adoption du projet Ferry. Il faut rappeler que, le plus souvent, la mise en place de réformes ne fait que « légaliser » des pratiques déjà existantes, une fois que les esprits sont suffisamment assoupis [4].

Sur le fond, la réforme du LMD vise à mettre en concurrence les universités à travers leurs diplômes et vise donc à mettre en concurrence les étudiants sur le marché du travail pour faire baisser les salaires. Ce n’est pas nouveau mais avant la valeur d’un diplôme était peu discuté et donnait à la personne qui le détenait une certaine garantie au niveau du salaire. Avec le LMD, chaque université pourra définir le contenu des diplômes en fonction de ses besoins (par exemple pour attirer des capitaux privés) et de ce que les enseignants et chercheurs de cette université pensent intéressant [5]. Ainsi le contenu des diplômes pourra refléter, à terme, plus les besoins immédiats des laboratoires de recherche ou des entreprises locales que l’état actuel des savoirs.
A chaque réforme, les enseignants du supérieur (y compris l’auteur) appliquent consciencieusement les directives ministérielles sans vraiment en discuter le contenu et les conséquences (d’ailleurs on ne leur demande pas). Cela peut expliquer leur actuelle réticence à dénoncer le LMD car cela signifierait faire une croix sur tout le travail que certains ont fait en amont pour appliquer cette réforme. Si il semble clair que certains enseignants appliquent la réforme en toute connaissance de cause (et de conséquence !!) agissant ainsi en fonction de l’intérêt bien compris [6], nous devrions essayer de discerner si notre bonne volonté à essayer d’en gommer (sincèrement) les aspects les plus négatifs sans toutefois le (et se) remettre en cause n’est pas, malgré nous, une soumission à l’idéologie libérale [7].
Le vieil adage rappelle qu’on ne scie pas longtemps la branche sur laquelle on est assis.

Même si le film « l’auberge espagnole » a eu un succès auprès de la jeunesse, il faut rappeler que pour être mobile il faut des moyens financiers. L’enjeu de la mobilité c’est la vente des diplômes aux pays européens ou non européens dont le système universitaire n’est pas assez développé dans certains domaines. On passe d’un logique de coopération à une logique commerciale visant à former les élites mondiales pour assurer la pérennité du système économique libéral. Dans ce contexte dire que les droits d’inscriptions n’augmenteront pas relève au mieux de l’aveuglement et au pire du mensonge.

Les étudiants français et européens n’ont rien à attendre de bon des ses réformes. Ils doivent résister à la propagande actuelle et demander la mise en place d’une véritable politique de l’enseignement supérieur avec des moyens financiers crédibles (actuellement, dans certains enseignements nous n’avons même pas assez chaises !) et du personnel qualifié (actuellement 20 % des enseignants sont des personnes à statut précaire qui n’ont pas objectivement le temps ni les moyens de réfléchir sur leur enseignement), des vrais diplômes aux contenus communs et de de haut niveau reconnus par le droit du travail et enfin de nouvelles pratiques pédagogiques (ex : travail en petits groupes au lieu des archaïques cours magistraux, de véritables travaux pratiques plutôt que des démonstrations devant 20 étudiants, de véritables bibliothèques, l’enseignement de la pensée critique, le soutien pédagogique aux plus défavorisés [8]).

En conclusion, au delà des querelles ou des postures (impostures ?) politiciennes, nous devons nous poser la question de savoir si l’enseignement doit rester un service public au service de tous les citoyens ou une entreprise publique délivrant des services au plus offrant.


[2Citation d’un célèbre enseignant de la fin du XXéme siècle qui disait aussi : Non à la société de marché mais oui à l’économie de marché. ou aussi : lui c’est lui et moi c’est moi.

[3Sans polémiquer stérilement, on retrouve néanmoins une division similaire à celle observée sur le dossier des retraites ou de la réforme de la sécurité sociale par Juppé en 1995.

[4Cet argument peut-être contre productif. En effet, cela fait quelques années que les enseignements délivrés par les universités malgré les procédures d’habilitations se sont différenciés d’une université à l’autre voire d’un campus à l’autre. Ce glissement peut-être d’ailleurs revendiqué comme positif par bon nombre d’enseignants. Enfin la logique du : « c’est déjà comme ça » est très puissante.

[5Comme nous le savons, ce qu’il ya de plus important en Science c’est ce sur quoi nous travaillons...

[6espoir de postes, de promotions locales ou plus simplement pour être bien vu par leur président ce qui, dans l’optique des projets clientélistes en cours deviendra obligatoire, si l’on veut par exemple défendre un laboratoire ou une discipline.

[7Là aussi, il faut reconnaître que chaque discipline pour survivre se doit d’attirer un maximum d’étudiants dans ses filières. Elle est donc « obligée » de faire dès le DEUG une politique de « marketing » afin de rendre sa filière attractive (sexy) et pas trop exigeante. Au niveau du second cycle, la tendance actuelle est donc non pas de sélectionner sur dossier les « meilleurs » étudiants mais d’en prendre le plus possible venant d’horizons les plus divers. Il en résulte que le contenu de cours se généralise et s’appauvrit si on veut éviter un échec trop important se privant ainsi d’étudiants pour les années d’après et surtout pour les DEA. Bien sûr le LMD va entériner cela et l’amplifiera. Le plus simple en effet d’avoir des mastères à 40 ou 60 étudiants sera de littéralement « donner » (vendre ?) la licence au plus grand nombre. Je crois que les chercheurs avides d’étudiants en thèse n’ont pas apprécié ce problème à sa juste valeur.

[8Il ne s’agit pas de stigmatiser les enfants issus des milieux défavorisés en créant des sites de relégation universitaire. Cependant soit on reste sur le mythe de l’égalité des chances en fonction des qualités et des désirs individuels (dont le projet ATTALI est « farci ») soit on redécouvre que l’environnement social, économique et culturel a une fâcheuse tendance à déterminer la réussite scolaire.