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Les universités dénoncent le financement de l’ANR, Sylvestre Huet, Blog Sciences2, Libération, 21 novembre 2011

mercredi 23 novembre 2011, par Sylvie

L’Agence nationale de la recherche, le joyau de la réforme sarkozienne du financement de la recherche, va tuer... la meilleure recherche !

Propos de protestaires ? Analyse brutale de SLR (Sauvons la recherche) ? Tract de SLU, Sauvons l’Université ? Déclaration syndicale ? Que nenni. Analyse complètement sérieuse et incontestable - mais néanmoins en totale concordance avec ce que disent SLR, SLU et le syndicats de chercheurs - de la CURIF (Coordination des universités de recherche intensive françaises). Ce club des "grandes" universités qui tente depuis quelques années de convaincre le gouvernement d’accentuer encore la concentration des moyens de la recherche publique dans quelques universités.

Réunie avec la Conférence des Présidents d’Universités (CPU) le 16 novembre, la CURIF vient de pondre un communiqué qui sape le principe de base du financement de la recherche par l’ANR tel qu’il est promu par le gouvernement, et mis en oeuvre par Valérie Pécresse puis par Laurent Wauquiez. Leur argument final vaut son pesant d’or, tant il reprend quasi mot pour mot l’argumentaire des protestataires : « L’université ne peut plus faire de recherche en dehors des contrats et ne remplit plus sa mission d’exploration de domaines scientifiques qui n’intéressent pas un financeur extérieur. L’expérience montre pourtant que bien souvent ce sont dans ces domaines qu’émergent les résultats de recherche les plus avancés ».

Bref, se rendent compte, peut-être un peu tardivement certains, l’assèchement des crédits directs des laboratoires au profit d’un financement sur projets après une "compétition" n’a rien d’une solution miracle au problème ardu du financement de la recherche. Il comporte des effets pervers, dont le principal est de menacer la prise de risque scientifique et la réactivité que permet la mise à disposition de structures actives - les laboratoires - de moyens conséquents. A l’inverse, l’appel d’offre et la compétition, même celle dite "blanche" où il n’y a pas de thématique imposée et dont le pourcentage est passé de 10 à 30% sous la pression de scientifiques, ont tendance à favoriser les sujets déjà bien évalués par ailleurs.

► Pour plus de détails sur l’ANR et un premier bilan tiré en novembre 2009, lire cette note.

Voici l’intégralité du communiqué :

« Overheads » et difficultés financières des organismes de recherche français

Coordination des Universités de Recherche Intensive Française, 16 novembre 2011

Paris, le 18 novembre 2011.


Une trentaine de représentants des universités, dont les présidents de Bordeaux 1, Montpellier 2, Strasbourg, UJF-Grenoble et UPMC ont participé au séminaire commun CURIF-CPU sur « les ressources des établissements dans le cadre des financements affectés de recherche (ANR, investissements d’avenir, Europe, etc.) ».
Jean-Charles Pomerol, secrétaire de la CURIF et président de l’UPMC de 2006 à 2011, a introduit la problématique des coûts. Ils sont essentiellement de deux types : les coûts directs de recherche couverts par les contrats et les coûts indirects qui restent à la charge des établissements venant grandement impacter leur budget dans la mesure où ils ne peuvent pas être pris sur le financement du projet. Ces coûts indirects comprennent :
le coût du personnel de support administratif et technique
l’utilisation des m2, leur entretien et leur amortissement
les dépenses d’informatique, télécom et réseaux et le coût du remplacement à nouveau
les coûts de la documentation, bibliothèques
la charge de fonctionnement et la mise à niveau des plateformes techniques
les mesures de sécurité et de traitement des déchets
une part enseignement quand des étudiants participent au projet
Au total, des sommes importantes qui, dans tous les pays développés sont couvertes, en partie ou en totalité, par le budget du projet (ce sont les « overheads »). Des exemples tirés des universités de Bordeaux, Strasbourg et UPMC montrent que ces frais sont de l’ordre de 30 % à 60 % du montant du projet. Pour Alain Boudou, président de Bordeaux 1, « les projets des investissements d’avenir entraînent une prise de risque sur le coût des équipements et des infrastructures qui sont à la charge des établissements ». Ce risque se traduit très souvent par des dépenses supplémentaires non prises en compte. De son côté, Alain Beretz, président de l’université de Strasbourg, indique que « s’il ne prend pas un pourcentage de coûts indirects sur l’IDEX, il ne voit pas comment le mettre en œuvre ». Xavier Inglebert, directeur général délégué aux ressources du CNRS, montre, dans sa présentation, que « le développement de la recherche sur projets changeait le financement des laboratoires, obérait la mutualisation des plateformes, en conséquence ». Il plaide pour un changement de la règle financière à l’ANR et pour la prise en compte de ces coûts indirects (actuellement, l’ANR reverse seulement 11 % à l’établissement qui héberge le projet). Richard Cole (enseignant américain à l’UPMC et à l’université Nouvelle Orléans) montre sur deux exemples que les « overheads » aux Etats-Unis sont négociés avec les agences, sur une base de coûts réels, pour une période de trois ans. Ils sont de l’ordre de 50 % des coûts directs du projet, salaires inclus. Enora Pruvot (EUA) fait un panorama de la situation en Europe et insiste sur la nécessité pour « les universités d’évoluer progressivement vers les coûts complets sur la base d’une comptabilité adaptée ». Pieter-Jan Aarsten, responsable financier de l’université d’Amsterdam, une des rares en Europe à être passée aux coûts complets à ce jour, explique comment l’université d’Amsterdam a procédé. Enfin, Kurt Deketelaere, directeur Général de la LERU (League of European Research Universities) détaille la position de la commission européenne en matière de coûts indirects et espère voir la règle changer prochainement dans une perspective de meilleure prise en compte de ces coûts (à hauteur de 75 % des coûts réels).
En conclusion, il apparaît clairement que la recherche française ne peut, seule parmi ses homologues des grands pays européens, continuer à ignorer les coûts indirects et ne couvrir, dans les financements sur projets, que les coûts directs. Cette pratique ne fait pas apparaître le vrai coût de la recherche, elle entraîne des transferts cachés et l’impossibilité pour les établissements de présenter des budgets sincères et en équilibre puisque de 30 à 60 % des coûts des projets sont cachés et n’apparaissent que vers la fin de la réalisation du projet mettant ainsi en danger le budget des établissements et obérant le financement récurrent des laboratoires et des équipements.
Un exemple de projet financé par l’ANR dans une université : les coûts directs engagés pour ce projet s’élèvent à 68 000 € (dont 43 000 € pour un chercheur post-doc recruté pour le projet et 25 000 d’autres dépenses elles aussi engagées pour ce seul projet). A ces coûts directs, s’ajoutent d’autres coûts indirects : d’une part le coût salarial de 2 personnels titulaires de la fonction publique qui consacrent chacun 10 % de leur temps de travail au projet soit 32 081 € ; d’autre part le coût de l’environnement de l’ensemble des personnels calculé par l’université : 60 065 € (entretien des locaux, réseaux de communication, énergie…) ; enfin les frais de gestion du projet estimés à 2720 €. Le coût complet du projet s’élève donc à 162 866 €.
L’ANR ne prend en charge que les frais directs et les frais de gestion soit 70 720 € et verse un preciput à l’université de 7 779 pour couvrir les autres frais indirects. Cette dernière reçoit donc 78 499 € alors qu’elle a engagé 162 866 € de dépenses. La différence est prise sur la dotation versée à l’université par l’Etat pour payer les salaires et pour réaliser d’autres travaux d’enseignement et de recherche à travers notamment les dotations récurrentes versées aux laboratoires et aux départements de formation.
Il arrive un moment où l’ensemble de ces différences consomme l’essentiel des dotations reçues de l’Etat. L’université ne peut plus faire de recherche en dehors des contrats et ne remplit plus sa mission d’exploration de domaines scientifiques qui n’intéressent pas un financeur extérieur. L’expérience montre pourtant que bien souvent ce sont dans ces domaines qu’émergent les résultats de recherche les plus avancés. »

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