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Vinci joue à cache-cache avec l’université Paris-7, Jade Lindgaard, Médiapart, 9 décembre 2011

vendredi 9 décembre 2011

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Lire aussi le premier volet de l’enquête et le deuxième

Ce pourrait être un jeu, et il s’appellerait « Vinci joue à cache-cache ». Dans l’énorme contrat de partenariat public-privé (PPP) de 273 millions d’euros sur trente ans qui lie la multinationale de la construction à l’université Diderot (Paris-7), la société est la fois omniprésente... et invisible. Elle n’est en fait apparue sous son nom propre qu’au moment de la signature initiale : dans son communiqué de presse de victoire, et lors de la cérémonie de conclusion du contrat, paraphé par Xavier Huilliard en personne, PDG du groupe. Ensuite, les cinq lettres disparaissent derrière l’intitulé de ses filiales : Sogam et ADIM, les promoteurs du projet, Sicra (Société industrielle de construction rapide) et GTM bâtiment, ses constructeurs.

En réalité, le géant du BTP n’a même pas signé le PPP avec l’université : c’est Udicité, un groupement constitué pour le projet qui est le partenaire de la faculté. Première surprise quand on observe la composition du capital d’Udicité, Vinci n’en détient qu’une petite minorité, seulement 15% (10% pour GTM et 5% pour Sicra). Le reste revient aux banques associées au projet, Barclays (40%) et Caisses d’épargne-Natixis (40%), à travers leur fonds commun de placement spécialisé dans les PPP, le Fideppp ; ainsi qu’à GDF-Suez (5%).

Dans ce subtil édifice, la structure en cascade permet de bien isoler les responsabilités des uns et des autres. Ainsi Sogam et ADIM, promoteurs et principaux opérateurs du chantier, ne sont pourtant pas reliés à Paris-7 par le contrat de PPP. Ils ne sont reliés au maître d’ouvrage Udicité que par un contrat de promotion immobilière (CPI), qui leur confère le pouvoir de conclure les contrats, recevoir les travaux, liquider les marchés... soit accomplir tous les actes de la réalisation du programme. Dans cette répartition des rôles, le promoteur apparaît donc tout-puissant, car il est à la fois investi de tous les pouvoirs de décision sur le chantier tout en n’étant qu’indirectement redevable à son client. Or, nous avons vu dans le précédent volet que les universitaires de Paris-7 paraissaient bien démunis face aux exigences juridiques et financières du groupement. Ce rapport de force inégal permet aux différentes filiales de Vinci présentes sur le chantier de construire à leur guise, sans toujours respecter le programme initial.

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« Coquille vide »

Quel est le rôle exact d’Udicité dans ce contrat de PPP ? Ce que l’on sait, c’est que son nom a déjà changé en cours de route. Unicité, son premier intitulé, et celui sous lequel il a signé avec Paris-7, insuffisamment vérifié par ses fondateurs, était déjà pris par une société d’architecture de Bois-le-Roi. Une lettre a donc été changée pour finalement devenir Udicité. Une saisie ordonnée par la justice, dans le cadre du conflit qui oppose le groupement à l’architecte d’un de ses bâtiments, a révélé quelques suprises.

Le 27 juin dernier, un huissier se rend au siège d’Udicité, et constate que le groupement ne possède même pas de locaux propres. Il est « hébergé » par Cofely, filiale de GDF-Suez spécialisée dans l’efficacité énergétique. Sur place, le directeur de projets de Cofely, Joël Taillardas, reconnaît réceptionner les documents adressés à Udicité, mais apporte une précision inattendue : Udicité « est une coquille vide » qui « n’a aucun employé, ni bureau ». Qu’une structure ad hoc de ce type n’emploie pas de salariés par elle-même n’est pas forcément étonnant. Elle résulte avant toute chose d’un montage financier constitué dans le but du PPP. De là à parler de « coquille vide »... L’image est brutale. Surtout que le cadre de Cofely poursuit son étonnant témoignage : le temps du PPP, la société Udicité «  a été domiciliée dans les présents locaux car Vinci doit se retirer dans cinq ans de l’affaire ».

Le géant de la construction envisage-t-il de partir au bout de cinq ans d’un contrat qui porte sur trente ? Pourtant, le jour de l’annonce du contrat, Valérie Pécresse, alors ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche, avait affirmé qu’« avec le partenariat public-privé, non seulement on construit, mais on garde la responsabilité de l’entretien pendant vingt-cinq ans. Donc on est sûr que c’est une construction durable ». Cette durabilité est-elle garantie si le maître d’ouvrage, responsable de la promotion et de la construction, quitte le projet au bout de cinq ans ?

Contacté par Mediapart, Joël Taillardas ne confirme pas ses propos. Ni ne les infirme. Dans un premier temps, il explique qu’il ne se souvient pas avoir parlé à l’huissier le jour de la saisie, qui a pourtant tout consigné sur un procès-verbal en bonne et due forme. Puis la mémoire lui revient finalement. Mais il se contente de renvoyer la balle à Xavier Duplantier, le président d’Udicité. Contacté par Mediapart, celui-ci n’a pas donné suite à notre appel. Mais un ancien de Vinci Constructions, qui souhaite garder l’anonymat, confirme que «  oui, Vinci va se retirer de la société de projet au bout de quelques années » mais qu’il ne faut en tirer aucune conclusion : « GTM et Sicra vont céder leurs parts à d’autres, c’est un problème de holding et d’immobilisation financière. » Mais « leur engagement dans les travaux n’a rien à voir avec leur présence ou non dans le groupement ».

Pourquoi alors Joël Taillardas, salarié de Cofely, précise-t-il à l’huissier de justice qu’il remet directement les documents qu’il reçoit au nom d’Udicité « au groupe Vinci, la plupart du temps à son président directement » ? Joint par Mediapart, il dément cette fois, et affirme ne rendre des comptes qu’à Xavier Duplantier, le président d’Udicité. Qui est en rapport avec qui ? Qui tient les rênes de ce monumental contrat de près de 300 millions d’euros ? Difficile, voire impossible, de le savoir. La chaîne de commandement du partenaire de l’université Paris-7 paraît bien opaque.

L’UMP et les PPP

Ce qui est clairement établi en revanche, ce sont les liens entre les financeurs du projet et l’UMP. Lors de la signature du PPP en 2009, le directeur général adjoint de Fideppp, actionnaire à 40% d’Udicité, est Nicolas Boudeville. Remercié par Xavier Huillard, le PDG de Vinci, dans son discours lors de la cérémonie de célébration du “deal”, en juillet 2009, cet avocat de formation spécialisé en droit de l’environnement est militant UMP de Neuilly-sur-Seine. Ancien conseiller municipal du parti de la majorité présidentielle, il a présidé Neuilly 2014, association qui se décrit comme un « incubateur de projets citoyens » mais que certains voient comme une tête de pont vers une candidature de Jean Sarkozy à la mairie de la ville en 2014. C’est lui qui a remis le prix du PPP à Valérie Pécresse. Les photos commémoratives de l’événement ornent toujours sa page Facebook. En 2004, Nicolas Sarkozy a préfacé son livre consacré à Evaluer les politiques et les programmes publics, aux Editions de la Performance.

La promotion des PPP fut l’un des premiers actes de la présidence Sarkozy, comme la loi sur l’université, annoncée dès octobre 2007. Elle fut votée en juillet 2008. Au vu des dérives remarquées sur le projet de l’hôpital sud-francilien qui n’a toujours pas pu ouvrir ses portes au public presque un an après la fin de sa construction, et maintenant le chantier de Paris-7 qui fait supporter à l’université signataire les risques financiers du contrat, à quand une sérieuse évaluation des politiques et programmes des PPP ? Près de 500 contrats de partenariat ont été signés en France depuis 2004. Ils tombent quasiment systématiquement dans l’escarcelle des trois géants hexagonaux de la construction : Bouygues, Eiffage et Vinci.