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La semaine de SLU du 11 au 22 décembre 2011

vendredi 23 décembre 2011, par Sylvie

Tiens ! Ça doit être les vacances.

Vous êtes confortablement installé-e dans un compartiment de train. Pour l’instant, le temps pluvieux, les odeurs du quai, les voix qui crachotent dans les hauts parleurs vous plongent dans une atmosphère familière. Depuis longtemps déjà, vous vous déplacez en train pour des raisons professionnelles. Aucune sensation de changement ne vient bouleverser vos manies d’habitué-e.


En installant votre manteau sur le porte manteau situé à quelques centimètres de votre oreille, vous avez senti dans la poche droite une liasse de papier de petite taille, ces papiers qui vous servent habituellement de pense-bête, et où sont consignées les tâches infimes et répétitives que vous avez peur d’oublier d’accomplir quand vous vous rendez à votre université.


La dernière que vous ayez rayée, vous l’avez fait avec satisfaction : le ministère vous demandait, à vous qui êtes né-e durant un mois visiblement maudit, d’envoyer un dossier d’évaluation avant le 15 janvier.

Vous vous remémorez maintenant l’action rapide menée par un certain nombre de CA d’universités pour demander un moratoire.

Vous avez lu l’entretien de la nouvelle présidente de la CP-CNU et vous avez pris connaissance des propos rassurants de Laurent Wauquiez qui vous assurait qu’aucune évaluation du CNU ne serait utilisée pour moduler votre service d’enseignant chercheur.
Dans la même semaine, l’AERES annonçait qu’il n’y aurait plus de note mais des appréciations pour l’évaluation des laboratoires.

Vous vous interrogez maintenant sur ces événements si rapidement enchaînés. Le ministère a-t-il réellement l’intention d’abandonner la modulation des services en ces mois préélectoraux ? D’une certaine façon, vous qui avez toujours goûté l’absurdité des choses de la vie, vous vous sentez un peu dépossédé-e d’une démonstration à laquelle vous auriez pu vous livrer : en l’absence de cadre de référence, vous auriez pu pour une fois faire valoir vos talents en patinage artistique, ou éclairer vos collègues élus au CNU sur vos performances en sudoku.


Le train a démarré. Vous sentez votre attention au monde encore diminuée par la sensation de vitesse et le défilement du paysage sous la pluie. Ces évaluations, pensez-vous encore, ce n’est tout de même pas difficile d’en prévoir l’utilisation.

Dans cette dernière semaine, les enseignants des premier et second degré se sont mobilisés contre une réforme destinée à confier aux chefs d’établissement l’essentiel de leur notation.

Pourquoi une telle réforme, si ce n’est pour dénaturer plus encore la profession, considérer l’échec scolaire comme un problème de productivité et l’enseignement par objectif comme une production rentable, soulignaient les associations de professeurs spécialistes dans un communiqué ?

Quelle légitimité auraient les chefs d’établissement pour évaluer les compétences disciplinaires des enseignants, appuyaient les syndicats de la FSU ?

Comment prendre au sérieux les lénifiants propos du ministre quand il supprime des postes à la veille des vacances ?

Quand il dissimule les éléments d’évaluation de sa propre politique ?

Quand il met à la casse l’enseignement professionnel ?

Quand un député UMP de ses amis propose d’envoyer les professeurs d’économie faire six mois de stage en entreprise pour qu’ils apprennent les rudiments de l’économie ? "Quand on n’a pas vendu à un client, on n’a rien compris à l’économie", argue-t-il.

Quand la fondation Fondapol prépare des propositions chocs pour les élections.


Des élèves comme des poulets sans tête emballés sous cellophane, défilant sur un tapis roulant. Des professeurs d’économie chargés de démarcher les entreprises pour vendre au meilleur prix les poulets produits en batterie.

Il fait chaud dans le wagon. Une voix vous fait sortir de votre torpeur. Rodrigue demande à Camomille de lui expliquer pourquoi la lune reste éternellement scotchée dans le ciel. Elle lui explique sommairement les lois de la gravitation. Vous vous demandez comment, sans tête et emballée comme elle l’est dans son cellophane, elle parvient à lui répondre avec tant de clarté.


Des chefs, toujours des chefs qui défilent sous la pluie avec des fils électrifiés de chaque côté. Quand vous vous transportez quelques années en arrière, vous n’avez pas l’impression d’avoir eu des condisciples qui aspiraient tous à devenir chefs. Que leur est-il arrivé ? Que vous est-il arrivé à tous ?

Certes, le chef de l’usine à poulets sans tête emballés sous cellophane de la rue Saint-Guillaume touche des super bonus et a le pouvoir de les distribuer aux sous-chefs les plus avenants.

Certes, la cheffe de l’usine à poulets sans tête emballés sous cellophane de la rue d’Ulm a une voiture de fonction, de l’écho dans les médias et toute latitude pour provoquer des crises à répétitions.

Mais les autres ?

Réduits à se défendre de bien administrer leur unité de production sous peine d’être mis sous tutelle du recteur.

Obligés d’expliquer aux nuls le budget des universités pour ne pas passer pour de mauvais administrateurs.

De faire rentrer la réforme de la licence dans un budget constant.

Chefs, sous-chefs, chefs de projet, contremaîtres, sont-ils heureux de sacrifier leur temps de recherche à remplir des formulaires et des budgets prévisionnels et attendre les résultats des appels d’offre ? Derniers en date, les Equipex 2.

Qui évaluera leur stress et mesurera la baisse de leurs publications, de vos publications ?


Vous repensez à ces universités qui gèlent leur recrutement pour l’année prochaine comme celle de Rennes 1, à celles dont le budget en berne menace le fonctionnement, comme celle de Pau.

Vous repensez à ces manœuvres diverses pour faire entériner des projets en contournant les instances élues, Idex à Toulouse Le Mirail, Pres à Paris 6.


Tous ces sigles et acronymes tournent dans votre tête tandis que vous froissez les derniers petits papiers à pense bête entre vos doigts.

Dehors, des poulets sans tête qui ont tenté de s’échapper de leur cellophane évitent les fils électrifiés qu’agitent devant eux des chefs fatigués.

Et voilà. Le bonus de la semaine, c’est les vacances.