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Non à la proposition de loi Grosperrin ! Lettre de SLU aux parlementaires des groupes d’opposition à l’Assemblée nationale et au Sénat, 15 janvier 2012

mercredi 18 janvier 2012

Cette lettre a été envoyée lundi 16 janvier 2012 aux parlementaires des groupes d’opposition à l’Assemblée nationale et au Sénat.

Paris, le 15 janvier 2012

À l’attention des élus et élues de l’Assemblée nationale et du Sénat,

Le 10 janvier 2012, votre collègue Jacques Grosperrin a déposé une proposition de modification du code de l’éducation en certaines de ses dispositions. Il ne s’agit pas d’un projet de loi marginal mais bien d’une tentative pour inscrire dans les dispositions législatives des modifications d’une extrême gravité. Cette initiative constitue d’ailleurs, pour partie, une réponse directe aux décisions défavorables au ministère rendues par le Conseil d’État suite aux requêtes déposées d’un côté par certains syndicats d’enseignants (SNES, SNESUP, SNEP, SNUIPP) de la FSU et, de l’autre, par SLU, SUD-Éducation et la FCPE au cours de l’été 2010. Le voile est désormais levé sur le projet de destruction de l’appareil de formation des enseignants, comme sur la volonté manifeste de la morceler et d’y introduire des acteurs privés.

Le cœur de la transformation est la modification de l’article L. 625-1, dans ses deux alinéas.

Actuellement, l’article L. 625-1 al. 1 dispose : « La formation des maîtres est assurée par les instituts universitaires de formation des maîtres (IUFM). Ces instituts accueillent à cette fin des étudiants préparant les concours d’accès aux corps des personnels enseignants et les stagiaires admis à ces concours. »

La proposition de loi Grosperrin présente la rédaction suivante : « La formation des maîtres est assurée notamment par les universités, qui, à cette fin, accueillent en formation des étudiants préparant les concours d’accès aux corps des personnels enseignants et participent à celle de stagiaires admis à ces concours. »

Quel serait l’effet de ces modifications ?

La mention des IUFM disparaît. Cela pourrait ne pas avoir de conséquence puisque les IUFM sont définis par la loi comme des « composantes des universités ». Mais l’introduction de l’adverbe « notamment » indique que la formation ne serait plus uniquement de la responsabilité des universités, donc, le cas échéant, des IUFM, ce que souligne également la substitution de la notion de « participation » à la formation des étudiants admis aux concours à celle d’« accueil », implicitement exclusive dans la loi actuelle comme l’a rappelé le Conseil d’État.

Cette nouvelle rédaction est en effet la conséquence directe d’une décision du Conseil d’État du 9 février 2010 (voir ici et ici) qui avait considérablement limité les ambitions du gouvernement et avait rappelé le rôle des IUFM dans la formation des enseignants en s’appuyant, comme nous l’avions demandé, sur l’article L. 625-1 du code de l’éducation. Cette décision précisait également que le recours à « d’autres structures qualifiées » ne peut concerner que la formation des enseignants stagiaires de l’enseignement privé. En revanche, dans la rédaction proposée par le député Grosperrin, la formation des enseignants étant « assurée notamment par les universités », rien n’interdirait à une quelconque institution privée de l’assurer. Et surtout, en faisant disparaître toute référence aux IUFM, elle permet un tel affaiblissement de l’institution que sa mention dans d’autres dispositions du code de l’éducation est de peu d’effet. Ainsi, la proposition de loi du député Grosperrin permet-elle d’inscrire dans la loi les deux objectifs majeurs de la réforme : faire disparaître les IUFM et faire entrer la formation des enseignants dans le marché concurrentiel des établissements et des officines privés.

Mais ce n’est pas tout.

L’article L. 625-1 al. 2 du code de l’éducation fait également l’objet de modifications substantielles. Il est proposé de supprimer toute référence au « cahier des charges de la formation », fixé par arrêté après avis du Haut conseil de l’éducation et faisant « alterner des périodes de formation théorique et des périodes de formation pratique », pour le remplacer par un simple « référentiel » [1]
Pourquoi cette soudaine disparition du cahier des charges ?

Dans un arrêté du 12 mai 2010, le ministre de l’Éducation nationale avait déjà tenté d’abroger le cahier des charges fixé par un arrêté du 19 décembre 2006, notamment en ce qui concerne les volumes horaires maximum pour les stages en responsabilité. Ce n’est qu’en s’appuyant sur la disparition de ce cadre réglementaire de 2006 que le ministère avait pu imposer aux stagiaires de travailler à temps plein pour l’année scolaire en cours et renoncé, de fait, à leur assurer une formation professionnelle. Cette abrogation, d’une extrême gravité, est apparue comme le dispositif clé de l’organisation de la destruction de la fonction publique dans l’éducation nationale, puisqu’elle a permis la disparition pure et simple de tout cadre national de formation.
Mais le 28 novembre 2011, une décision rendue par le Conseil d’État a refusé de considérer que le simple « référentiel de compétences » prévu par l’arrêté du 12 mai 2010 pût constituer un « cahier des charges » organisant la formation des enseignants. Le Conseil d’État considérait par là même que le ministre de l’Éducation nationale n’était pas compétent pour supprimer le cahier des charges fixé par l’arrêté du 19 décembre 2006, et dont l’existence est prévue par le code de l’éducation. Le Conseil d’État annulait donc l’abrogation du cahier des charges.

C’est à cette décision du Conseil d’État que répond la modification de l’article
L. 625-1 al. 2 : si le « référentiel » ne peut tenir lieu de « cahier des charges », il suffit donc de supprimer toute référence à un quelconque cahier des charges.

Ainsi, le projet de loi de Jacques Grosperrin propose rien moins que de conférer valeur législative à la destruction complète du dispositif de formation des enseignants (horaire, encadrement, alternance théorie/pratique notamment) dont chacun a pu prendre la mesure depuis la rentrée de septembre 2010.

Outre ces deux modification essentielles, la proposition de loi touche également deux articles du code de l’éducation ; les articles L. 721-1 et L. 932-3.

L’article L. 721-1 serait modifié par la disparition de son 4e alinéa [2] et un changement introduit dans l’alinéa suivant. Le cumul de ces deux modifications conduit à la suppression de la notion de « formation professionnelle initiale », celle-là même que, dans un cadre juridique incertain, le gouvernement a fait disparaître dans les faits depuis septembre 2010. Cette disparition de la notion de formation initiale est confirmée par la modification de l’actuel 5e alinéa où la notion de « formation continue » est remplacée par celle de « formation ».

L’absence de distinction entre les deux temps de la formation permet de faire disparaître toute obligation de nature législative portant sur la formation initiale. Ces dispositions viendraient donc entériner l’obligation, pour les lauréats des concours de recrutement, d’un service complet d’exercice en responsabilité devant les classes, dès leur année de fonctionnaire stagiaire, et cela, sans la moindre formation pédagogique.

L’article L. 932-3, enfin, est consacré à l’égalité de niveau de recrutement et de traitement dans la formation tant pour les enseignants destinés à des établissements d’enseignement technologique que pour ceux qui sont recrutés dans les établissements d’enseignement général. Les distinctions entre les pré-requis différents pour le recrutement des uns et des autres restent évidemment à l’ordre du jour, mais un alinéa entier est supprimé. Cet alinéa disposait que « les uns et les autres, après recrutement, reçoivent une formation soit dans les mêmes établissements, soit dans les instituts universitaires de formation des maîtres. ». En supprimant cet alinéa, on supprime toute obligation de formation postérieure au recrutement par concours, suppression par laquelle sont confirmés et renforcés les effets de la modification de l’article L. 721-1.

Plutôt qu’une « harmonisation » du code de l’éducation qui se contenterait d’adapter ce dernier aux modifications réglementaires advenues, comme le prétendent les motivations initiales du projet de loi, plutôt qu’une reconnaissance du « rôle des universités dans la formation des personnels enseignants » leur permettant d’y concourir « dans le respect de leur autonomie pédagogique et scientifique », il faut donc voir dans la présente volonté de légiférer sur ces quelques articles du code de l’éducation un dévoilement manifeste des intentions et des conséquences des réformes de la formation engagées depuis le début du quinquennat. Les IUFM sont transformés en coquilles vides et l’État renonce à tout engagement précis de formation.

La prochaine étape sera – SLU l’annonce depuis 2008 – la suppression du cadre national de recrutement par les concours, proposition que M. Grosperrin encore, avançait il y a quelques mois dans un rapport provocateur, si provocateur que, fait exceptionnel, la commission parlementaire chargée de son examen a renoncé à le voter puis, au second examen, a fait disparaître cette disposition. Cette suppression associée à « l’autonomie » des établissements primaires et secondaires, qui est, on le sait, une des mesures phares sur l’éducation de l’actuelle campagne présidentielle de M. Sarkozy, permettra de conférer aux chefs d’établissement des prérogatives de recrutement et rendra secondaire, voire inutile, tout cadre national de recrutement. L’un des piliers de ce qui constituait l’Éducation Nationale sera alors détruit.

La proposition de loi de M. Grosperrin a donc pour effet et, n’hésitons pas à le dire, pour objet, de conférer une valeur législative aux dispositions les plus délétères de la réforme de la formation des enseignants, inique pour les enseignants, dangereuse pour les élèves et destructrice des valeurs qui fondent notre service public d’enseignement.

Cette proposition de loi constitue la réponse directe la plus calamiteuse que le gouvernement ait trouvée aux défaites juridiques partielles qu’il a subies. On peut y voir la volonté de pérenniser le système imposé, de l’aggraver en lui donnant un cadre législatif définitif, et ce contre l’avis de tous les acteurs de la formation, et après deux ans de lutte pied à pied de tout le système éducatif.

Nous en appelons solennellement aux élus de la nation pour qu’ils combattent comme il se doit cette proposition de loi, avant qu’une réflexion ne soit engagée de manière urgente immédiatement après les élections législatives, dans le but de revenir à un modèle de formation respectueux des traditions républicaines, des élèves accueillis par le système d’éducation nationale et des enseignants qui le servent.

Etienne Boisserie, président

Pour le CA de Sauvons l’Université !


[1Dans sa rédaction actuelle, l’article L. 625-1 al. 2 dispose :
« La formation dispensée dans les instituts universitaires de formation des maîtres répond à un cahier des charges fixé par arrêté des ministres chargés de l’enseignement supérieur et de l’éducation nationale après avis du Haut Conseil de l’éducation. Elle fait alterner des périodes de formation théorique et des périodes de formation pratique. »
La rédaction de la proposition de loi de J. Grosperrin est la suivante :
« La formation dispensée aux étudiants et aux personnels stagiaires admis aux concours enseignants répond à un référentiel arrêté par les ministres chargés de l’enseignement supérieur et de l’éducation nationale. ».

[2Dans sa rédaction actuelle, l’article L. 721-1, al. 4 dispose : « Dans le cadre des orientations définies par l’État, ces instituts universitaires de formation des maîtres conduisent les actions de formation professionnelle initiale des personnels enseignants. Celles-ci comprennent des parties communes à l’ensemble des corps et des parties spécifiques en fonction des disciplines et des niveaux d’enseignement. » [Souligné par nous.]