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"Appel au boycott et à la démission des directeurs de laboratoire"

par Sylvestre Huet, "Libé-Sciences" du 24 juin 2008

mardi 24 juin 2008, par Laurence

Si le gouvernement persiste, on boycotte et on démissionne.

C’est la menace lancée lundi soir par un groupe de responsables de la recherche publique et signé, en moins de 24 heures, par plus de 300 directeurs de laboratoire et membres d’instances scientifiques.

Visé : le projet de réforme du CNRS, déjà mis à mal par la manifestation de chercheurs, jeudi dernier, qui a empêché la réunion du Conseil d’administration de l’organisme qui devait la voter.

Une menace d’autant plus sérieuse qu’elle n’émane pas de quelques agités du labo ou d’un cartel de syndicats mais, à l’inverse, d’un groupe de responsables qui, depuis plusieurs mois, tentait de jouer un rôle de médiateurs pragmatiques entre Valérie Pécresse, la ministre en charge de la recherche, et la communauté scientifique.

Durant de longs mois, Yves Laszlo, placide professeur de mathématiques à l’Ecole Polytechnique et animateur de ce groupe de cadres de la recherche publique —directeurs de laboratoire, membres des conseils scientifiques des divers organismes de recherche, élus par leurs pairs dans instances siégeant en jury de recrutement pour les postes d’universitaires et de chercheurs— a pourtant cru possible un arrangement. Un compromis entre le ministère et les labos.

Alors que syndicats et associations comme SLR et SLU organisaient une contestation plus visible. Et parfois spectaculaire comme le 19 juin dernier, lorsqu’ils empêchait la tenue du conseil d’administration du CNRS convoqué pour voter la réforme de l’organisme. Laszlo, lui, multipliait les discussions, à la tête d’une délégation de directeurs d’unités (un laboratoire dans le jargon du milieu scientifique), avec le cabinet de la ministre. Et tentait, en se focalisant sur les détails techniques de la réforme, de sauver les meubles. Autrement dit, de sauvegarder ce qui, aux yeux de ces piliers du système, ne peut être ébranlé sans péril pour son efficacité tout en ne contestant pas la légitimité du pouvoir politique à réorganiser le système de recherche public. En mars dernier, cette démarche s’était exprimée avec un texte dense, signé de près de 700 directeurs de laboratoire, qui, avec 36 propositions montraient la volonté de réforme, l’acceptation de certaines volontés ministérielles, mais désignait aussi clairement les « lignes jaunes » à ne pas franchir. Et là, c’est fini.

La déclaration a pris la forme d’un texte sobre, une page, qui réaffirme les cinq lignes jaunes. L’autonomie du scientifique, sa double mission (recherche fondamentale et finalisée), l’intégrité du CNRS comme organisme multidisciplinaire, la mixité de ses laboratoires avec les universités, la nécessité de le doter de moyens humains et financiers à la hauteur de ses missions. Sans sortir de grands mots, ce rappel se termine par une menace : « si ces principes n’étaient pas respectés, nous serions d’abords contraints à appeler l’ensemble de la communauté, au delà des directeurs d’unités et responsables d’instances, à cesser progressivement de contribuer au fonctionnement de notre système de recherche, notamment à l’arrêt des expertises pour l’Agence nationale de la recherche et l’Agence d’évaluation, puis les responsables divers à quitter définitivement leurs fonctions de directions. » En résumé, à refaire « le coup de 2004 », lorsque la démission massive des directeurs de laboratoire avait contrait le gouvernement à reculer.

Les premiers signataires de ce texte indiquent le sérieux de l’affaire. Gilles Boëtsch, le président du Conseil scientifique du CNRS, Yves Langevin, le président des sections du Comité national de la recherche scientifique, tous les présidents des conseils scientifiques du CNRS (sciences de la vie, chimie, planète et univers, maths et physique, physique nucléaire et des particules, sciences humaines et sociales, technologies de l’information et de la communication) : G. Baldacci, J-C. Beloeil, J. Dumarchez, C. Jeandel, R. Mosseri, P. Régnier, Y. Ségui. La signature massive des directeurs de laboratoire signifierait que le vivier d’experts indispensables au fonctionnement de l’ANR et de l’AERES s’étiolerait très vite. « Même les experts étrangers, s’ils apprennent que le conflit entre la communauté scientifique et le gouvernement prend cette forme, seront très réticents à participer à ces instances », avertit un biologiste.