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Carte scolaire : "Il y a bien une discrimination sociale, territoriale mais aussi scolaire, ne le nions pas" - Le Monde, Mattea Battaglia, 27 juin 2012

mercredi 27 juin 2012, par Mariannick

Lire le rapport sur le site du Sénat.

La suppression de la carte scolaire devait consacrer le "libre choix" des familles, favoriser la mixité scolaire. Plus de cinq ans ont passé depuis l’engagement d’une réforme de la sectorisation pris par l’ancien président de la République, Nicolas Sarkozy, et les données statistiques officielles restent rares. Des chercheurs, sociologues et universitaires, ces derniers mois, ont pointé les conséquences d’une réforme "en trompe-l’œil" – Marco Oberti, Edmond Préteceille, Clément Rivière, Nathalie Mons, Choukri Ben Ayed, Gabrielle Fack, Julien Grenet,...

Mardi 26 juin, la commission de la culture, de l’éducation et de la communication du Sénat a adopté un rapport d’information sur la carte scolaire, qui devait être rendu public ce mercredi 27 juin après-midi. Après six mois de travaux, sa rapporteure, Françoise Cartron, sénatrice de Gironde (PS), dresse un bilan, décapant, du quinquennat écoulé sur cette question.

A l’échelle nationale, l’assouplissement de la carte scolaire lancé par Xavier Darcos n’a pas produit les effets promis par l’ancien président de la République, Nicolas Sarkozy, qui s’était engagé à sa suppression, en soutenant que cela favoriserait la mixité sociale dans les établissements et le libre choix des familles. Quelles sont les limites rencontrées sur le terrain ?

Françoise Cartron : Il est certain qu’on n’a pas eu les effets escomptés. Il règne un malentendu, une vraie confusion – plus ou moins entretenue – dans l’esprit des parents : beaucoup pensent que la carte scolaire n’existe plus, alors même qu’elle perdure – autant qu’avant. En pratique, beaucoup de familles n’ont pu inscrire leur enfant dans l’établissement de leur choix, pour la simple et bonne raison que les classes sont déjà pleines, que les élèves du secteur sont restés prioritaires, et qu’on ne peut pas repousser les murs !

Les élèves boursiers qui étaient censés bénéficier de la mesure n’y ont pas gagné grand-chose. Seulement 3 % des demandes de dérogation les concernent dans des départements comme la Seine-Saint-Denis et les Hauts-de-Seine. C’est dire s’ils se sont emparés de la réforme ! Cela a ajouté à la frustration de familles qui se sentent encore plus discriminées. Qui pensent que, lorsqu’elles sont "en compétition" avec d’autres pour obtenir une dérogation dans un établissement, elles ne peuvent pas "l’emporter"... Ces familles ne maîtrisent pas toujours les codes pour bien remplir les demandes, et le manque de transparence dans les critères d’attribution ajoute au sentiment d’injustice.

Qui a su tirer profit de la réforme ?

Au final, la réforme profite encore une fois à ceux qui maîtrisent les usages et les codes, ceux qui savent remplir les dossiers, savent se débrouiller dans le maquis de l’éducation nationale. L’assouplissement était fait pour remédier aux "stratégies de contournement" des classes supérieures, en particulier – ne nous en cachons-pas – d’enseignants. Quand vous observez l’évolution des effectifs des établissements, les conclusions qui s’imposent sont terribles : ce sont bien les milieux plus favorisés qui se sont emparés de la réforme, amplifiant l’"effet ségrégation" dans les collèges et lycées.

Vous concluez de vos auditions et travaux que les conséquences de la réforme, à l’échelle nationale, ont été modestes mais non nulles. Que c’est à l’échelle locale que les conséquences les plus lourdes sont perceptibles. Un paradoxe ?

Pas tant que ça. A l’échelle nationale, je le répète, les effets sont modestes parce que les capacités d’accueil dans les établissements sont contraintes : il y a assez peu de mouvement en volume, en termes d’effectifs d’élèves, d’un établissement à l’autre - les obtentions de dérogation augmentent peu. Mais l’évolution est importante en termes de sociologie des établissements. Cela se joue aux deux extrémités de la chaîne.

L’établissement qui affichait un recrutement social homogène a accentué son homogénéité : s’il accueillait classes moyennes et supérieures, ce sont les classes supérieures et très supérieures qui en sortent renforcées. Les établissements en situation déjà difficile se sont encore plus ghettoïsés, perdant leurs meilleurs éléments. C’est en allant sur le terrain, dans les établissements, qu’on peut prendre la mesure de l’impact de la réforme. Les statistiques peuvent cacher des réalités criantes !

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