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Enseignement supérieur et recherche : en finir avec les plans sur les Comet - Tribune du collectif "Tu quoque Hollandi", Mediapart, 17 février 2013

dimanche 17 février 2013, par Mariannick

Le projet de loi sur l’enseignement supérieur et la recherche parachève les réformes du quinquennat Sarkozy, dénonce le collectif de chercheurs et universitaires Tu quoque Hollandi. Sous couvert d’une gestion simplifiée des universités, le collectif y voit une volonté de priver les acteurs universitaires du pouvoir de décision pour le transférer à quelques institutionnels.

L’Université allait déjà mal avant que les réformes du quinquennat de Nicolas Sarkozy ne lui mettent un genou en terre. L’actuel projet de loi sur l’Enseignement supérieur et la recherche (ESR) (en PDF) vient leur porter de nouveaux coups bas et parachever le processus initié par la majorité précédente. Etrange réforme, étrange rupture.

À la lecture du projet de loi et des deux rapports récemment rendus publics (lire ici et là en PDF), on est frappé par une série de contradictions qui rendent la chose illisible [1].

Contradiction d’abord entre les éléments de langage dont le projet de loi est truffé et son contenu effectif. Ainsi, pour « rétablir la collégialité et la démocratie » [2], le projet de loi rogne sans vergogne la représentation des enseignants-chercheurs – tout particulièrement celle des maîtres de conférences – ainsi que celle des Biatss (Bibliothécaires, ingénieurs, administratifs, techniciens, personnels sociaux et de santé) dans les nouveaux « Conseils académiques ». Surtout, il donne droit de vote pour l’élection du président de l’université aux membres extérieurs, nommés et non élus, du conseil d’administration [3]. Ce point avait suscité au printemps 2009 une telle hostilité que Valérie Pécresse elle-même avait dû reculer [4]. Pour « favoriser la coopération », ce même projet de loi accélère la constitution et la mise en concurrence de mastodontes fusionnés ou de constellations universitaires (les Comet, Communautés d’établissements, ou encore les futures « Communautés scientifiques ») qui pourront à leur tour concourir pour le nouveau programme annoncé d’Initiatives d’excellence. Quel Comet aura la chance de devenir l’une de ces supernovas qui, en Île-de-France en particulier, mettent en pièces à grande vitesse le réseau coopératif, patiemment tissé, de recherche et de formation ? Pour « simplifier le mikado institutionnel », on rebaptise des structures (qu’il eût fallu supprimer) et l’on ajoute au millefeuille de nouvelles strates qui présagent un réjouissant avenir d’usines à gaz bureaucratiques, dirigées de manière clanique et autocratique.

Contradiction encore, entre les vues du groupe Marc Bloch [5] , reprises à la virgule près dans le projet de loi malgré les dizaines de milliers de pages d’autres propositions publiées depuis un an, et les problèmes identifiés à la base, au plus près de la paillasse et des amphithéâtres. Ce groupe de pression [6], « composé de 59 présidents d’université, directeurs d’établissement d’enseignement supérieur et de recherche et hauts fonctionnaires », a réussi en un an à accaparer l’intégralité des leviers de l’ESR. En fait de « renouer le dialogue » avec la communauté universitaire, on assiste ainsi à une captation intégrale des questions universitaires par quelques institutionnels qui ont, depuis longtemps, oublié à quoi ressemblaient la recherche et l’enseignement. Il n’est, pour s’en convaincre, que de constater l’absence quasi-complète de membres de la communauté universitaire au grand Barnum des Assises.

L’illisibilité du projet de loi procède enfin de l’absence d’une vision cohérente, ambitieuse et fondée scientifiquement pour l’enseignement supérieur et la recherche, vision dont il constituerait la traduction législative. Il ne s’agit pas d’ailleurs d’une loi-programme alors que la communauté universitaire attendait une rupture avec les années et le projet sarkozystes. Du reste, le rapport des Assises ayant censément préparé ce projet de loi se présente comme une suite inarticulée d’items alternant vœux pieux, lieux communs et mesures sans lendemain. Comment expliquer cette contradiction encore entre la multiplicité des points abordés dans les deux rapports et le maigre contenu du projet de loi ? Pour ne prendre qu’un exemple, la communication a porté pendant un temps sur l’orientation des étudiants de premier cycle (licence). Qu’est-il advenu des centaines de propositions pour la réussite des étudiants en licence ? À croire que la communication tient lieu de pensée au ministère.

Nous faisons pourtant l’hypothèse que, derrière les rideaux de fumée, ce projet de loi possède en réalité une cohérence, mais pas de celles que l’on met volontiers en avant. Il suffit de confronter ce projet à la logique, tout à fait explicite, des réformes du précédent quinquennat –mises en place avec zèle et enthousiasme par les membres du groupe Marc Bloch– que résumait ainsi Nicolas Sarkozy : « Je ne vois pas pourquoi l’actionnaire principal de France Télévisions, en l’occurrence l’État, ne nommerait pas son président. » S’agissant, donc, de « gérer l’État comme une entreprise », la logique mise en œuvre à l’Université tient en trois volets :

  • Autonomie de gestion des personnels [7] : mis en place à la fois par le passage aux Responsabilités et compétences élargies (RCE) et la Révision générale des politiques publiques (RGPP), ce volet est entièrement réalisé et a produit ses effets. En transférant de nouvelles charges aux universités sans transfert des moyens correspondants, celles-ci se sont toutes retrouvées en difficultés financières, elles ont amputé leurs crédits de fonctionnement, gelé des postes et réaffecté des personnels des composantes vers les services centraux. Il en résulte une dégradation patente et massive des conditions de recherche et d’enseignement. Pour créer ces services centraux, les équipes présidentielles (les membres du groupe Marc Bloch en particulier) ont engagé en CDD des gestionnaires venus du privé et formés au néo-management. Appâtés ou sous pression, un certain nombre de membres du personnel se sont spécialisés dans les tâches de management, acceptant des missions plutôt que de faire leur métier. Il en a résulté une gabegie et une dégradation des conditions de travail jusqu’alors inconnues. Seul « échec » dans ce premier volet : l’abandon momentané de la modulation de service pour les enseignants-chercheurs. Qu’on se rassure, elle reviendra bientôt avec la pression budgétaire, la spécialisation de certains dans les fonctions administratives, qui diminue d’autant leurs activités d’enseignement et de recherche, et la secondarisation de la licence imposant un volume d’heures à assurer toujours plus grand, mais à moindre coût.
  • Autonomie administrative : ce volet fait l’objet de la loi relative aux Libertés et responsabilités des universités (LRU). Il s’est agi de concentrer les pouvoirs entre les mains d’un exécutif (l’équipe présidentielle) entouré d’un conseil d’administration (CA) déclaré stratège pour l’occasion –au détriment des conseils élus chargés de la recherche et de l’enseignement. Ce serait une pleine « réussite », s’il n’y avait encore trois ombres au tableau : les présidents doivent être élus parmi les personnels de l’université par leurs pairs au CA et proviennent donc de la communauté universitaire ; les membres extérieurs ne peuvent voter pour l’élection du président ; les enseignant-chercheurs et les personnels administratifs (Biatss) conservent malgré tout une majorité au CA leur conférant un droit de regard sur leur métier et sur la marche de l’Université. Ce « défaut » de gouvernance est sur le point d’être « amélioré » par le projet de loi.
  • Autonomie financière : ce volet vient naturellement compléter la trilogie, qui ne saurait être achevée qu’avec l’instauration de droits d’inscription gradués en fonction des filières, des niveaux et des ressources familiales. Tout naturellement, l’autonomie financière ne peut être mise en place de manière synchrone, dans la mesure où elle touchera de plein fouet les étudiants, dont aucun membre du personnel politique ne souhaite qu’ils descendent tous à la fois dans la rue. La stratégie consiste donc à ouvrir progressivement une fenêtre de tir pour cette réforme ultime, en asséchant les finances des universités. Idéalement, il s’agirait que la communauté universitaire constate que les caisses sont vides, et de la placer dans la situation d’exiger cette réforme ultime, de lui faire coproduire la phase la plus difficile du programme. Elle passe notamment par la création de filières faciles d’accès (les moins sélectives et les moins onéreuses), vidées d’une grande partie des contenus disciplinaires et destinées à résorber la plus grande partie des étudiants, insuffisamment formés pour les filières classiques. De bons étudiants, suffisamment fortunés, pourront compléter de banales licences aux intitulés uniformisés et simplifiés pour plus de lisibilité par des DU prestigieux et plus onéreux. Ce « certificat » supplémentaire donnera sa mention d’excellence à un diplôme bas de gamme.

Cependant, le cœur du projet de loi est encore ailleurs. Il procède d’un glissement dans les échelles, de façon à placer les prises de décisions hors de portée des acteurs de l’Université. Pour la recherche comme pour l’enseignement, les structures optimales, démocratiques et mobiles, doivent être de l’ordre de cent personnes (pour assurer les cours à un nombre d’étudiants de l’ordre du millier) de sorte à répondre efficacement aux besoins du terrain et à prendre des décisions fondées scientifiquement. Les universités telles que nous les connaissons comportent typiquement de l’ordre de la dizaine de composantes et donc quelques milliers de membres du personnel pour quelques dizaines de milliers d’étudiants. Le projet de loi tend à imposer la création de monstres institutionnels de dizaine de milliers de membres du personnel pour plusieurs centaines de milliers d’étudiants, représentés par une dizaine de membres élus dans les instances de décisions.

Les proportions entre les différents types d’acteurs s’en trouvent fondamentalement modifiées, de très nombreuses conséquences structurelles en découlant : discordances, aussi bien en termes d’enseignement que de recherche, entre les échelons local et central. Ce niveau adoptera des vues cavalières alors même que son pouvoir décisionnaire sera renforcé. La concentration des moyens humains, financiers et comptables éloignera encore –que l’on pense déjà à l’impossible « traçabilité » des postes depuis le passage aux RCE– la situation réelle des usagers et des personnels de la « technostructure ».

Cette restructuration correspond, du point de vue du gouvernement, à une simplification de sa gestion des universités, réunies, à l’échelle de « sites » –nouvelle notion, au périmètre très variable– et placées sous la direction de quelques établissements coordinateurs, qui contracteront des « accréditations » de l’Etat [8]. En somme, le changement d’échelle permet de placer les prises de décision hors de portée des acteurs universitaires [9], pour les laisser aux mains d’une poignée de dirigeants managers dont le nombre restreint permettra –enfin !– une gestion politique directe de l’enseignement supérieur et de la recherche par les cabinets ministériels. Le ministre, reprenant la terminologie de la Commission européenne, se fera stratège, mais prendra moins le casque de Périclès que celui du sapeur Camember… Il se fera le relai, ainsi que les CA des COMET et Supernovas, d’une stratégie de recherche et d’innovation extrêmement ciblée sur quelques domaines prioritaires, dans l’espoir d’en tirer des applications socio-économiques immédiates. À l’université d’assurer elle-même le transfert de ces innovations vers les acteurs économiques privés, quand ces résultats ont été financés par l’argent public. Une telle politique à courte vue est stérilisante pour la recherche. Conduira-t-elle bientôt à un cimetière d’éléphants ? Et que reste-t-il des libertés académiques ? L’autonomie n’a été qu’un leurre, agité tout au long d’un processus continu, menant de la politique de la droite sarkozyste à celle de la gauche hollandaise.

C’est ce projet de loi qui doit passer devant le Conseil national de l’enseignement supérieur et de la recherche (CNESER) le 18 février et être présenté début mars au Conseil des ministres.

L’Université, en charge de la démocratisation de l’enseignement supérieur en France, doit rester un « grand service public autogéré ». Elle ne le peut qu’à la condition que ses personnels demeurent des acteurs légitimes et ne deviennent pas les simples exécutants de prises de décisions émanant de l’empyrée technico-administratif des COMET, des cabinets ministériels ou de leurs alguazils. Le projet de loi est très loin de la rupture attendue… et annoncée pendant la campagne présidentielle. Plutôt qu’un plan sur les COMET, c’est bien une loi-programme pour l’ESR qui est nécessaire.

Collectif Tu quoque Hollandi

À lire dans Mediapart ici


[1Dans tout le texte, nous avons recours aux italiques pour mettre à distance le vocabulaire que les autorités ministérielles successives affectionnent mais que nous ne pouvons faire nôtre.

[2S’il existe une différence entre les pratiques ministérielles passées et en cours, elles portent précisément sur ces éléments de langage. Mme Pécresse prétendait en permanence, et contre l’évidence, apporter par milliards de nouveaux financements à l’Université. Les discours se portent maintenant, contre l’évidence, sur le « dialogue », la « concertation », « la sincérité », le renouveau « démocratique ».

[3Les membres extérieurs des conseils universitaires ont un niveau d’absentéisme extrêmement élevé dans lesdits conseils (pratiquement intégral dans les conseils de composantes). Mais ils n’en laissent pas moins de peser de tout leur poids dans la vie des établissements : en effet, on sait, par les procurations qu’ils remettent aux membres des équipes présidentielles, que leur vote est systématiquement légitimiste. On sait encore que le travail d’un vice-président de conseil d’administration consiste à contacter les membres extérieurs avant chaque réunion afin de s’assurer de leur vote bloqué en faveur de l’exécutif.

[4Une nouvelle tentative en décembre 2010, par le biais de cavaliers législatifs, avait aussi fait long feu.

[5Le projet de loi reprend intégralement et exclusivement les propositions sur l’enseignement supérieur et la recherche présentées par le groupe « Marc Bloch » à AEF le jeudi 2 février 2012.

[6Les présidents d’université ont par exemple obtenu que le non-renouvellement de leur mandat soit retiré de la proposition de loi.

[7Autonomie est ici à prendre au sens du néo-management et non dans un sens émancipateur.

[8Le bon fonctionnement des universités suppose que ce soient des représentants de la communauté universitaire qui assurent le contrôle politique de l’exécutif. Les fusions de Strasbourg et de Marseille démontrent que les mégas-universités atteignent les limites de ce que des vice-présidents universitaires sont à même de gérer. Le changement d’échelle s’accompagne donc de facto d’une prise de pouvoir par les administrateurs professionnels.

[9Nombreux sont les points communs avec le processus de décentralisation, dont les collectivités locales, et donc les usagers, connaissent le lourd prix à payer aujourd’hui.