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Pour l’université et la recherche, le changement promis tourne au désastre - Tribune d’un collectif ; 21 mai 2013

samedi 1er juin 2013, par Mariannick

Cette tribune, publiée par l’Appel des appels est parue dans Le Monde du 21 mai 2013

De l’évaluation à l’anglais, François Hollande fait du Nicolas Sarkozy, en pire.

On se souvient que la loi Liberté et responsabilité des universités (LRU), adoptée dès août 2007, juste après l’élection de Nicolas Sarkozy à la présidence de la République et considérée comme la grande réussite de son quinquennat, devait rendre à l’université et à la recherche françaises le lustre qu’elles avaient perdu et les élever au niveau des meilleures universités du monde. Finalement, il s’avère que cette loi a été, à bien des égards, un piège. Ce n’est pas le principe de l’autonomie qui est en cause, mais la manière dont elle a été conçue et réglementée.

La loi LRU, loin d’assurer l’indépendance des universités, a renforcé leur dépendance à l’égard de l’Etat (curieuse autonomie). Elle a confronté les universités à des difficultés financières gravissimes en augmentant leurs charges sans moyens nouveaux. Ces difficultés financières sont donc structurelles. La loi oblige aussi les universités à réduire considérablement le remplacement des postes vacants. Ces postes sont gelés pour leur permettre de combler les déficits, d’où une crise de première grandeur sur la question de l’emploi scientifique.

Enfin, elle a renforcé le principe d’une évaluation interne des enseignements et de la recherche qui, en réalité, établit le règne des petits potentats locaux, le clientélisme et la médiocrité. Tel est le résultat de la politique mise en place par Nicolas Sarkozy et Valérie Pécresse en matière d’université et de recherche.

On aurait pu croire que l’arrivée du Parti socialiste au pouvoir changerait les choses. La jeunesse n’était-elle pas au centre de la campagne électorale du candidat François Hollande ? L’université et la recherche ne sont-elles pas les institutions dans lesquelles cette jeunesse reçoit une formation de haut niveau ? Ne sont-elles pas au coeur des projets d’avenir du pays et de son développement économique dans un monde où le savoir est devenu la clé des productions et des emplois de demain ?

Or, à quoi assiste-t-on ? C’est simple : la politique de François Hollande poursuit celle de Nicolas Sarkozy, peut-être même en pire. Le changement ne concerne que l’affichage, la réalité demeure la même, voire se dégrade. Un simple exemple peut l’attester.

L’Agence d’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur (Aeres) mise en place en 2007, mais s’inscrivant dans une dynamique lancée il y a plus de dix ans par le processus de Bologne, accréditée et renforcée dans ses moyens par Valérie Pécresse, est une institution qui coûte très cher à la nation, sans avoir la moindre légitimité dans les communautés scientifiques.

Elle risque d’être reconduite telle quelle, avec une petite modification d’affichage par le pouvoir socialiste sous le sigle Haeres (Haute Autorité de l’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur). Ainsi, l’amendement présenté par Christophe Borgel (député PS de la Haute-Garonne) et adopté, le mercredi 17 avril, par la commission des affaires économiques de l’Assemblée nationale prévoit-il de reprendre, sous une légère modification nominale, toutes les charges de l’Aeres.

Entre M. Sarkozy et M. Hollande, la différence ne réside que dans un jeu d’écriture. La réalité reste identique. Le député socialiste Christophe Borgel affirme que la reconduction de la même institution, sous une minuscule transformation nominale, s’explique par des " avantages juridiques et politiques ". C’est cela " le changement, c’est maintenant ". Un lendemain à l’image d’hier, en plus dégradé !

Rappelons que l’Aeres est fondamentalement contestée, donc l’Haeres le sera tout autant, dans sa légitimité (elle est entièrement constituée de membres nommés, c’est-à-dire choisis sur des critères obscurs, mais dont il est facile de comprendre que le principal est le copinage), dans sa représentativité (elle ne représente en rien les communautés scientifiques des grands secteurs de la recherche), mais aussi dans son fonctionnement et ses jugements, sans parler de son coût exorbitant.

Il ne faut pas compter sur le PS pour en corriger les travers structurels, parce que ce qui nous attend sera une aggravation de ces travers, en particulier si l’Haeres est associée à la mise en place de nouvelles instances d’évaluation locales. Aucune réflexion sérieuse d’ensemble n’a eu lieu.

La consultation nationale n’a été qu’un leurre : faire croire aux acteurs de ce domaine que l’on a tenu compte de leurs avis. Plus que jamais, le PS légitime par la gauche le dépérissement des institutions de savoir.

Outre la poursuite et même l’aggravation de la remise en question de la science française s’opère actuellement une destruction de l’emploi scientifique. Les universités ne peuvent plus renouveler leurs personnels enseignants, ou autre. Ainsi l’université Paris-Descartes, qui est loin d’être la plus en difficulté, n’a pas attribué 16 postes cette année pour faire face à ses charges supplémentaires, tandis que d’autres ont dû geler la totalité de leurs postes venant à renouvellement. Un grand nombre de jeunes scientifiques de haut niveau est ainsi dans l’impasse, obligés de vivoter sur des postes instables, quand ils ne sont pas obligés de s’exiler sous des cieux plus favorables, ou tout simplement de s’inscrire au chômage. Une classe d’âge est ainsi abandonnée à elle-même, voire sacrifiée.

En outre, cette prolétarisation des emplois se fera en " globish ", puisque Geneviève Fioraso, la ministre de la recherche et de l’enseignement supérieur, impose que les enseignements soient dispensés dans la langue de Wall Street. Incroyable !

Il semble que nos gouvernants actuels, comme leurs prédécesseurs, ne se rendent pas compte que la remise en question de la langue française pour l’enseignement et la recherche, sous prétexte de permettre l’accueil d’étudiants étrangers (Coréens, Chinois et autres), est la perte de ce qui a fait jusqu’à ce jour l’universalité de la culture française.

Imposer l’anglais pour l’enseignement et la recherche, ce serait réduire la France à une province sous tutelle linguistique et sans aucun attrait. Quel étudiant viendra en France plutôt qu’en Angleterre ou aux Etats-Unis ? Il faudrait que François Hollande passe plus de deux jours en Chine pour s’en rendre compte. Voilà la manière dont le gouvernement actuel fait de la jeunesse une priorité nationale.

Cette politique risque de saborder définitivement l’université et la recherche avec, en conséquence, un dépérissement des humanités et, de surcroît, un effondrement du transfert des connaissances vers l’industrie, dont Mme Fioraso fait l’éloge incantatoire. Personne ne pourra dire qu’il ne savait pas.

Or il existe des alternatives à cette politique destructrice, mais elles sont suspendues par le ministère de l’économie, qui, par exemple, a la haute main sur le crédit impôt recherche.

Il importe absolument que les citoyens de ce pays sachent que, à travers la crise dans laquelle se trouvent l’université et la recherche françaises, c’est la possibilité pour le pays de jouer un rôle dans la compétition internationale qui se pose. Pour peu qu’il ait encore le souci de l’avenir de la nation, il est urgent que le gouvernement se rende compte de cette situation et cesse de prendre M. Sarkozy et Mme Pécresse pour modèles inavoués et inavouables.

Collectif

Michel Blay, historien des sciences, CNRS ;
Barbara Cassin, philosophe, CNRS ;
Michèle Riot-Sarcey, historienne ;
Bruno Chaudret, chimiste, membre de l’Académie des sciences ;
Michel Chauvière, sociologue politique, CNRS ;
Michèle Gally, professeure de littérature française, université d’Aix-Marseille ;
Vincent de Gaulejac, sociologue, université Paris-Diderot ;
Roland Gori, psychopathologue, université Aix-Marseille ;
Pierrette Poncelat, professeure de droit pénal, université de Paris-Ouest Nanterre-La Défense ;
Emmanuel Saint-James, maître de conférences en informatique ;
Yves Charles Zarka, philosophe, Sorbonne, université Paris-Descartes.