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Emploi public contre Fonction publique - Texte de Bernard Friot, publié par P. Maillard dans son blog de Mediapart- 27 juin 2013

vendredi 28 juin 2013, par Mariannick

A propos de la tentative de suppression de la qualification dans l’enseignement supérieur au nom de la valorisation du doctorat

Le doctorat est un diplôme et le diplôme ne vaut pas salaire. Le diplôme est de l’ordre de la certification et nous situe du côté de l’utilité sociale du travail. Le salaire est de l’ordre de la qualification et nous situe du côté de l’évaluation de la valeur économique du travail.

Or la qualification relève de deux procédures contradictoires qui sont aujourd’hui l’enjeu d’un affrontement décisif.

Soit c’est le poste de travail qui est qualifié (comme dans les conventions collectives) et on est sur le marché de l’emploi avec des employeurs qui pratiquent le chantage à l’emploi : c’est l’emploi qui est payé et entre deux emplois on est au chômage.

Soit c’est la personne même qui est qualifiée, il n’y a pas de marché du travail, pas d’employeur et pas de chômage : c’est la grande conquête du statut de la fonction publique d’Etat avec Thorez en 1946 (dans la fonction publique territoriale, hélas les maires sont des employeurs). L’attribution de la qualification à la personne, c’est le grade : un fonctionnaire est payé pour son grade et non pas pour son poste. Dans la fonction publique d’Etat, le grade s’obtient par concours national. Ainsi, dans l’enseignement, l’agrégation (du secondaire ou du supérieur), le capes, le concours de professeur des écoles, ou alors une procédure en deux temps dont le premier est national (CNU) avant l’épreuve locale (comité de sélection).

Les réformateurs (le trio PS, CFDT, Verts en est la variante de gauche, et n’oublions pas le trio Medef, UMP-UDI, FN qui en est la variante de droite) veulent en finir avec la fonction publique d’Etat. Pour affirmer "l’emploi public" contre la fonction publique et faire des enseignants des cadres évoluant sur un marché du travail avec des employeurs et du chômage, il faut exalter le diplôme (qui ne qualifie pas, il certifie) et marginaliser le concours pour en finir avec le grade tout en transformant les chefs d’établissement en employeurs. C’est tout l’enjeu de la LRU/loi Fioraso : confier la masse salariale aux présidents, donner au CA croupion de la présidence le dernier mot en matière de recrutement, et autant que possible marginaliser le CNU et faire des CS des organes donnant des avis à la présidence. La première mouture de la LRU prévoyait de faire du CNU un simple organe consultatif, il a fallu la grande grève de 2009 pour rétablir son caractère délibératif, mais les réformateurs n’abandonnent jamais et tentent à nouveau leur coup de force contre le concours fondateur du grade, donc contre le CNU, au nom (bien sûr) de la "valorisation du doctorat".

Il se passe la même chose avec la mastérisation qui prépare la marginalisation du capes et de l’agreg dans le secondaire.

Les enseignants sont la composante principale de la fonction publique d’Etat.
Faire sauter les concours d’enseignement fondateurs du grade des enseignants, leur substituer le couple diplôme/entretien d’embauche sur un emploi, est l’enjeu essentiel des réformateurs. S’ils gagnent, il y aura du souci à se faire pour la fonction publique et ce qu’elle représente comme subversion du marché du travail et affirmation du salaire à vie, une anticipation émancipatrice qui pourrait être, si nous la promouvions pour tous les salariés, l’anticipation du salaire à vie pour tous et, pour tous, de la disparition des employeurs. Nos adversaires, eux, n’arrêtent jamais de mener la lutte de classes.

Bernard Friot, Université Paris Ouest Nanterre, IDHE-CNRS, Institut européen du salariat, 24 juin 2013.

Texte paru sur la liste de l’ASES (Association des sociologues enseignants du supérieur), reproduit par Pascal Maillard ici