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L’université de Guyane bloquée depuis la rentrée - Lucie Delaporte, Mediapart, 5 novembre 2013

jeudi 7 novembre 2013, par Mariannick

Le pôle universitaire de Guyane, composante de l’université Antilles-Guyane, est bloqué depuis un mois par des étudiants et des enseignants qui dénoncent un enseignement supérieur au rabais et réclament un statut d’université de plein exercice.

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La récente agitation ministérielle sur le dossier n’y a rien fait. En Guyane, le pôle universitaire qui accueille normalement près de 2 500 étudiants est bloqué depuis un mois par une intersyndicale des personnels et un collectif d’étudiants qui ont décidé lundi soir, lors d’une nouvelle assemblée générale, de reconduire le mouvement.

Ces derniers jours, la ministre de l’enseignement supérieur, Geneviève Fioraso, avait multiplié les initiatives pour tenter de déminer le terrain, dans l’espoir que les cours reprennent après l’interruption des vacances de la Toussaint. « L’ensemble des difficultés constatées dans l’université sont en cours de résolution », nous assurait lundi son cabinet.

Sur le terrain, c’est plutôt à une radicalisation du mouvement – auquel se joignent depuis lundi les syndicats de salariés, comme l’Union des travailleurs guyanais (UTG) – que l’on assiste. Initialement, le blocage du pôle universitaire avait pour but de dénoncer les multiples dysfonctionnements d’une entité sous dotée au sein de l’université Antilles-Guyane. Désormais, étudiants et personnels réclament que le pôle universitaire de Guyane devienne une université de plein exercice, c’est-à-dire affranchie de la tutelle des Antilles, et ce dès 2015 et non d’ici 2017 comme l’avance la dernière proposition du ministère.

« Nous ne pouvons pas nous contenter du statu quo proposé, affirme Laurent Linguet, maître de conférences et l’un des porte-parole du mouvement. Il y a un grand élan populaire autour de notre action, tout simplement parce que l’université est en train d’être redonnée au peuple. »

Le pôle universitaire fonctionne « dans le dénuement le plus total », assure cet enseignant-chercheur pour expliquer la forte mobilisation. Un dénuement matériel dont pâtissent au quotidien les étudiants : pas de restauration sur place, pas même de cafétéria, aucune installation sportive, un système de transports déficient, mais aussi une forme d’enseignement au rabais avec une situation de sous-encadrement chronique, qui font que le pôle guyanais paraît lésé par rapport aux antennes de Guadeloupe ou de Martinique. « Nous sommes le parent pauvre de l’université Antilles-Guyane. Ici, 80 % des enseignants sont des vacataires », affirme Quentin Le Bert, l’un des porte-parole du collectif étudiant. Comme certains cours fondamentaux ne peuvent être assurés, les étudiants en sont purement et simplement « dispensés », ce qui nuit quelque peu à l’image des diplômes délivrés.

L’absence de maîtrise locale sur l’offre de formation cristallise aussi les frustrations. « L’offre de formation ne correspond pas aux besoins des étudiants guyanais », explique Quentin Le Bert. La fermeture arbitraire en cette rentrée de la licence professionnelle « protection de l’environnement » a mis le feu aux poudres. Ouverte depuis 2005, elle rencontrait un vrai succès auprès des étudiants de cette région traversée par la forêt amazonienne et pouvait afficher de bons résultats en terme d’insertion professionnelle. La suppression, l’an passé, de la licence de portugais avait elle aussi suscité la colère. «  Nous avons 600 kilomètres de frontières avec le Brésil et beaucoup de nos étudiants sont lusophones. Si cette licence a un sens, c’est bien ici ! » s’agace Laurent Linguet. L’allusion aux propos de Geneviève Fioraso est claire, la ministre ayant assuré dans un entretien à Mediapart qu’il n’était peut-être pas raisonnable que le portugais soit enseigné dans toutes les universités, provoquant en Guyane un mini-incident diplomatique. De même, alors que l’on constate une pénurie d’enseignants d’histoire dans ce département d’outre-mer qui connaît une croissance démographique exponentielle, fermer la licence dans cette discipline paraît, aux yeux des étudiants mobilisés, tout aussi absurde.

Obtenir le statut d’université de plein exercice permettrait, pour les grévistes, de résoudre une grande partie des dysfonctionnements actuels d’un pôle universitaire qui n’accueille que 10 % d’une classe d’âge. Pour Laurent Linguet, la tutelle antillaise « n’a plus aucun sens ». Le fait que toutes les décisions soient prises « à 2 000 kilomètres ne permet pas à l’université » de bien fonctionner.

Le ministère, qui doit nommer dans les prochains jours un administrateur provisoire, « en lieu et place de la gouvernance actuelle », a accepté le principe d’une université à part entière, mais estime qu’elle ne peut être créée du jour au lendemain. Il propose que le pôle guyanais travaille d’abord à un véritable projet. Dès 2014, le pôle guyanais devrait pouvoir bénéficier d’une autonomie de moyens et de gestion sur le niveau licence. Encore insuffisant pour les étudiants qui ont donc décidé de poursuivre le blocage de la fac. Une grande manifestation est prévue ce jeudi à Cayenne.