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Il n’y a pas d’innovation sans une recherche libre - le very bad trip de Nicolas Crespelle dans Le Monde du 30 janvier 2014

lundi 3 février 2014, par Elisabeth Báthory

Nicolas Crespelle est “conseil en stratégie & lobbying et Senior Advisor associé de la banque d’affaires Findercod”, mais aussi Président de la Fondation de l’université Pierre-et-Marie-Curie (Paris-VI) (il fut aussi membre nommé du CA de cette même université).

Le carnet rose de SLU : Nicolas Crespelle est marié à Sophie De Menthon, ex-candidate à la présidence du MEDEF.

La recherche n’a pas vocation à déboucher nécessairement sur de l’innovation. Surtout si l’on définit cette dernière comme étant l’utilisation des découvertes scientifiques par et pour l’économie. Toutefois, il n’y a pas d’innovation sans recherche.

Et pour inventer et créer, il est nécessaire de ne pas être entravé. Un chercheur doit pouvoir être libre d’orienter ses expérimentations en fonction de son état d’esprit ; libre, aussi, de prendre des risques financiers qui seront dictés par ses convictions personnelles.

C’est la raison pour laquelle le pôle de recherche et d’enseignement supérieur Sorbonne Universités a lancé, à l’initiative de la Fondation de l’université Pierre-et-Marie-Curie (UPMC), un fonds de capital-risque baptisé Quadrivium.

Outre l’UPMC, Sorbonne Universités rassemble l’université technologique de Compiègne, l’Institut européen d’administration des affaires (Insead), le Museum national d’histoire naturelle, la Fondation voir et entendre et le CNRS. Pour bâtir ce projet, le pôle a œuvré avec ses partenaires de la montagne Sainte-Geneviève – la Fondation Pierre-Gilles de Gennes, qui représente le Collège de France, l’Ecole supérieure de physique et de chimie industrielles de la Ville de Paris (ESPCI), l’Ecole normale supérieure, l’Ecole normale supérieure de chimie de Paris (ESCP), l’Observatoire de Paris et l’Institut Curie.

Quadrivium, doté de 60 millions d’euros par des investisseurs professionnels, c’est-à-dire des indépendants, est chargé de financer les start-up qui auront incubé dans tous ces prestigieux laboratoires.

Cette initiative montre une fois de plus que l’indépendance retrouvée des universités leur permet de disposer de toutes les armes pour revenir dans la compétition mondiale des talents et de l’innovation au profit de toute la société française.

Aujourd’hui, à un moment où nous nous trouvons devant un appareil productif ravagé, avec des territoires économiques transformés en " pages blanches ", le renouveau ne peut en effet venir que de mavericks, c’est-à-dire de chiens fous qui sortent des sentiers battus pour explorer les nouvelles frontières entrepreneuriales que leur ouvre la science.

La renaissance d’un solide tissu de sociétés ne pourra se faire que grâce à des innovations scientifiques de rupture bousculant l’ordre établi.

Ce sont elles, et elles seules, qui permettront aux entreprises qui les développent de dégager les marges qui garantiront leur croissance et leur survie dans un contexte où la concurrence est globale.

Et parce qu’elles se traduisent, en bout de chaîne, par la fabrication d’objets physiques – et pas seulement numériques et virtuels –, elles permettront également de créer de l’emploi. La production ainsi générée appellera et bénéficiera de l’excellence de notre industrie, de la qualité de notre main-d’œuvre et, particulièrement, du savoir-faire de nos ouvriers.

Or l’université est le seul lieu où la recherche est libre, à tout le moins en partie. Que l’Etat, par ses agences, souhaite l’orienter vers des thématiques qu’il considère comme stratégiques en accordant des financements par projets, est certes légitime. Mais, dans les faits, c’est le plus souvent parfaitement contradictoire avec les conditions qu’il faut remplir pour se mettre en capacité d’innover vraiment.

Les agences ne vont pas, la plupart du temps, financer les innovations de rupture. Or ce sont celles-là, parce qu’elles sont décalées et inattendues, qui vont faire surgir des entreprises uniques au monde, immédiatement conquérantes et avec un horizon global, comme le sont déjà d’innombrables start-up dont la technologie est issue de nos laboratoires.

Les innovateurs sont des rebelles. Ce ne sont pas des " gentils élèves ", conformes, mais des esprits habités. Quand l’innovation n’est pas sophistiquée, ils peuvent se trouver partout dans la société, comme au " 42 ". Cette école, qui a ouvert ses portes en 2013 à Paris, a été lancée par Xavier Niel, fondateur d’Iliad, la maison mère de l’opérateur de téléphonie Free (par ailleurs actionnaire à titre individuel du Monde). Nous devrions la labelliser.

Mais quand l’innovation repose sur les frontières du savoir, ces " dissidents " se trouvent uniquement dans les laboratoires académiques, là où les limites de la connaissance sont repoussées, en particulier dans ceux de la première d’entre elles, l’université Pierre-et-Marie-Curie.

Le fonds d’amorçage Quadrivium, géré par des investisseurs professionnels, leur offre une porte d’entrée, enfin évidente, sur les vrais financements ; sur un monde du capital-risque où ils se perdaient souvent avant d’en trouver la clé, allant jusqu’à abandonner ou à porter ailleurs, aux dépens de notre économie, des projets qui méritaient d’exister.

Les jeunes créateurs d’entreprise de Sorbonne Universités, et bien d’autres, sont les éclaireurs d’une nouvelle France. Ils déchirent la chape d’un ordre social confit dans son pessimisme, sa complaisance et son narcissisme et qui étouffe notre économie. Ce sont eux qui vont réinventer et sauver notre pays.

Sorbonne Universités se saisit de tous les instruments de son indépendance, notamment de sa fondation. Elle est dans son rôle en faisant appel à la " force de frappe " de la finance pour la mettre à la disposition de ses innovateurs. Aussi, parce que la Sorbonne est là depuis huit siècles, et qu’elle se doit d’être encore là, à leurs côtés, dans huit siècles.

Ces innovateurs vont nous bousculer, nous dépoussiérer. Tant mieux ! Ils sont la vie ; ils sont l’espoir.

Quadrivium n’est certes qu’un élément de renouveau. Une hirondelle parmi d’autres. Mais le printemps finit toujours par arriver quand elles sont de retour…

Nicolas Crespelle

Président de la Fondation de l’université Pierre-et-Marie-Curie (Paris-VI)

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