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COMUE : le ministre de l’agriculture modifie la LRU2 - Blog "le sup en maintenance", 24 avril 2014

jeudi 1er mai 2014, par Mariannick

« Désormais, en France, on encadre le fonctionnement de l’université dans les lois agricoles... »

Je commencerai cette nouvelle chronique en citant la déclaration de Mme Blandin devant le Sénat : « Désormais, en France, on encadre le fonctionnement de l’université dans les lois agricoles... »
Et bien oui ! Après avoir bafouillé sur un texte rédigé par je ne sais qui devant l’Assemblée Nationale en janvier, c’est à coup de «  D’après ce que l’on m’a expliqué » et de « si j’ai bien compris » que Stéphane Le Foll, toujours ministre de l’agriculture du nouveau gouvernement Valls, a fait modifier la LRU2 Fioraso votée en juillet dernier (voir l’intervention du ministre : JO déb. Sénat, 15 avr. 2014, p.3132) [voir l’extrait ci-dessous].
« On » lui a donc dit, à M. Le Foll, que la LRU2 de Mme Fioraso était mal fichue. «  On » lui a dit qu’il fallait la changer et il pense donc qu’il faut la changer, M. Le Foll, même s’il ne sait pas vraiment pourquoi. Mais si « on le lui a dit » à M. le ministre de l’agriculture, c’est « qu’on » a une bonne raison…
Il n’aurait pourtant pas été inutile que M. Le Foll cherche à comprendre ce « qu’on » lui demandait de défendre car les modifications en question n’ont rien d’anecdotiques. Que supprime le texte pastoral dans le code de l’éducation ?

D’abord il supprime une bourde monumentale de Mme Fioraso que la technicité de la rédaction juridique ne permet pas de cacher : pour le fonctionnement des COMUEs la LRU2 de Mme Fioraso renvoyait à des chapitres… introuvables !

L’article L.718-7 voté en juillet dernier prévoyait d’appliquer aux COMUES : « les chapitres Ier, III et IV du livre VI de la présente partie » ; un jeu de piste qui ne débouche... sur rien.

Le Livre VI de la troisième partie législative du code de l’éducation compte en effet 8 « titres » et donc 8 « chapitres 1er », 7 « chapitres III » et 5 « chapitres IV » ! En plus, ces dispositions n’ont absolument rien à voir avec les établissements d’enseignement supérieur, elles concernent l’organisation des enseignements.

C’est en réalité au Livre VII du code de l’éducation qu’il fallait renvoyer ; quand on utilise des chiffres romains, il ne faut pas se tromper dans les bâtons... Le titre 1er du livre VII s’applique bien aux EPSCP avec un chapitre 1er consacré aux « principes d’autonomies » des EPSCP, le chapitre 3 aux « composantes des universités » et un chapitre 4 aux « services communs ». Voilà au moins une correction pertinente et c’est bien connu, il n’y a que les imbéciles qui ne font pas d’erreur.

Ensuite, et cette fois il s’agit d’une modification substantielle, le texte supprime le seuil posé en juillet par le Parlement pour la constitution des listes de candidats au conseil d’administration. Pour garantir un minimum de représentation des différents établissements membres, le Parlement avait exigé que les listes de candidats « assurent la représentation d’au moins 75% des établissements membres ». Dans une COMUE avec 5 universités et 6 organismes de recherche, il fallait que les listes enseignants, IATOSS et étudiants comprennent chacune des candidats issus de 4 universités. Dans l’hypothèse où se grefferaient 2 écoles, il fallait que les candidats proviennent d’au moins 6 établissements sur 7.

Tout cela n’est plus nécessaire avec la nouvelle rédaction. Les listes peuvent être constituées exclusivement de membres d’un établissement. Organiser une confrontation inter-établissements quand on prétend construire dans les COMUEs une stratégie de site partagée, il fallait oser !

Et pour être certain de compliquer les choses, le nouveau texte aligne le régime électoral du Conseil académique sur celui du conseil d’administration de la COMUE ce qui permet d’avoir deux fois le même problème au lieu d’une seule. Quand « on » est incompétent et que « l’on » ne sait pas rédiger des lois, c’est jusqu’au bout.

Cette nouvelle affaire illustre jusqu’à la caricature toutes les dérives de ce gouvernement.

Vous retrouverez d’abord l’incompétence de feu le Ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche devenu secrétariat d’État qui fait voter une loi au mois de juillet 2013 et s’aperçoit au mois de janvier 2014 qu’elle est inapplicable.

Vous retrouverez ensuite la vacuité du travail parlementaire puisqu’aucun des deux rapporteurs socialistes de la LRU2, M. Feltesse à l’Assemblée Nationale et Mme Gillot au Sénat, n’ont été capables d’alerter les 577 députés et 348 sénateurs sur le fait qu’ils votaient des règles introuvables !

Vous retrouverez encore, de la part du gouvernement, le mépris affiché pour le Parlement puisque l’amendement vient supprimer un correctif heureusement apporté par les sénateurs à la loi LRU2 et approuvé par l’Assemblée Nationale. Sans même parler du mépris qui touche également l’enseignement supérieur puisque la suppression des dispositions votées est réalisée dans le cadre de la loi portant « avenir pour l’agriculture ».

Vous retrouverez surtout les mensonges du lobby qui entoure Mme Fioraso pour satisfaire une stratégie clientéliste à courte vue qui sert de politique depuis bientôt 2 ans. C’est en effet au prétexte que la règle des 75% rendrait les COMUEs ingouvernables que le gouvernement a justifié sa suppression.

Le MESR expliquait ainsi à l’AEF au mois de janvier dernier que « Les travaux d’application de la loi et le travail avec les présidents d’université et de COMUE [avaient] montré le caractère quasiment inapplicable de la clause des 75% ». Le ministère donnait même des exemples au journaliste de l’AEF et précisait : «  Pour une COMUE à 10 membres il faudrait 32 élus et donc 64 membres. Pour Saclais (22 membres), il faudrait 68 élus et donc 140 membres ». De telles affirmations sont de purs mensonges.

Mensonge d’abord, « le travail avec les présidents d’université et de COMUE ». Les présidents d’université n’ont jamais été saisis de la question, ni avant, ni après l’adoption de la loi. Quelques copains de la ministre, dont certains sont ou ont été présidents d’université ou de COMUE, l’ont par contre très certainement sollicitée ; ce n’est pas la même chose.

Mensonge surtout quand le MESR affirme que la règle des 75% rend les conseils pléthoriques et qu’il prétend que, pour une COMUE à 10 membres, il faudrait 32 élus et donc 64 membres. C’est faux.

Le code de l’éducation ne fixe pas un nombre minimum d’élus par établissement membre. Il n’impose pas non plus d’avoir autant de membres nommés que de membres élus. Il précise au contraire que les nommés doivent représenter « au moins » 30% des membres (et non la moitié) et les élus « au moins » 50% dont la moitié dans le collège des enseignants-chercheurs.

Surtout, la règle des 75% ne s’appliquait qu’aux « établissements » et non aux « membres » comme le prétend faussement le ministère. Or dans les COMUEs, le code de l’éducation distingue les « établissements » et les « organismes » de recherche (art. L.718-8 al. 1, c. éduc.) et seuls les premiers disposent d’élus.

Une COMUE de 10 membres dont 5 organismes de recherche doit compter au minimum 16 élus et le conseil d’administration peut être constitué avec seulement 23 membres. Nous sommes bien loin des 64 membres minimum affichés par le MESR et de la configuration pléthorique qui affole M. Le Foll !

Voici un exemple de CA pour une COMUE de 10 membres dont 5 organismes de recherche parfaitement conforme à l’article L.718-11 du code de l’éducation :

- représentants nommés des établissements : 0
- personnalités qualifiées : 3
- personnalités extérieures : 4
- enseignants chercheurs : 8
- autres personnels : 4
- usagers : 4

Pourquoi un tel mensonge ? Peut-être à cause de Saclay. Le lobby qui fait de Saclay l’alpha et l’oméga de l’ESR et l’avenir de la politique industrielle de la France autour du nucléaire ne se retrouvait pas dans la loi LRU2. Et le MESR l’expliquait à l’AEF : « Pour Saclay (22 membres), il faudrait 68 élus et donc 140 membres ». Non, le code de l’éducation n’obligeait pas à constituer un CA de 140 membres à Saclay. Avec 12 établissements et 7 organismes de recherche, le CA de Saclay pouvait avoir 52 membres (voir la simulation ci-dessous). Mais les organismes de recherche influents auprès de la ministre comme le CEA voulaient être mieux représentés dans le CA pour conserver leur contrôle. Cela obligeait à augmenter le nombre de personnes nommées par rapport aux élus et donc la taille totale du CA. Alors il fallait modifier la loi quitte à mentir une fois encore aux français.

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Extrait du débat sénatorial :
Mme Brigitte Gonthier-Maurin, rapporteur pour avis de la commission de la culture. Monsieur le président, si vous le permettez, je défendrai en même temps les amendements nos 2 et 3.

L’article 27 bis revient sur deux dispositions de la loi du 22 juillet 2013 relative à l’enseignement supérieur et à la recherche. La commission de la culture considère qu’il s’agit de deux cavaliers, dans la mesure où le projet de loi d’avenir sur l’agriculture n’a pas vocation à modifier les normes régissant les conseils d’administration et les conseils académiques des universités.

Plus précisément, l’amendement n° 2 vise à maintenir la condition de représentation de 75 % des établissements membres au sein du conseil d’administration des communautés d’universités et d’établissements et, dans le même esprit, l’amendement n° 3 maintient l’élection au suffrage direct des représentants des personnels et des étudiants au conseil académique des communautés d’universités.

La recomposition du paysage universitaire doit en effet garantir la démocratie universitaire et éviter de nourrir les querelles entre établissements ainsi que l’inquiétude des enseignants-chercheurs.

La parole est à Mme Marie-Christine Blandin, pour présenter l’amendement n° 179.

Mme Marie-Christine Blandin. Madame Gonthier-Maurin ayant très bien expliqué le fond, je m’attacherai donc à expliquer la forme.

Les sénatrices et sénateurs qui sont experts des questions agricoles n’ont peut-être pas tous la traçabilité de l’article 27 bis qui vous est proposé, mes chers collègues.

Permettez-moi donc, en tant que présidente de la commission de la culture, de l’éducation et de la communication, de témoigner ici de l’élaboration de l’article L. 718–11 du code de l’éducation, tel que l’on veut aujourd’hui vous le faire modifier.

Quand la navette nous fit parvenir le projet de loi relatif à l’enseignement supérieur et à la recherche, peu d’observateurs donnaient cher de son avenir au Sénat.

Les groupes ont travaillé, amendé, ferraillé, fait des concessions, et trouvé un équilibre respectueux des convictions d’une majorité et de certaines propositions de l’opposition.

Il est vrai que la ministre de la recherche de l’époque et, surtout, son cabinet n’avaient pas beaucoup aimé que l’on précise que la représentation au conseil d’administration des communautés d’établissements devait être plus démocratique – c’est mon amendement n° 179 –, et se faire au suffrage universel – c’est mon amendement n° 191. Toutefois, le Parlement est souverain et ce fut voté, puis confirmé par nos collègues députés en commission mixte paritaire.

Eh bien, le Gouvernement, ou plutôt le cabinet de l’ex-ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche redevenu secrétaire d’État sur le même sujet, a inventé une procédure inédite : refaire voter la chose votée dans une loi qui n’est pas de sa compétence. (M. Jackie Pierre s’exclame.) Désormais, en France, on encadre le fonctionnement de l’université dans les lois agricoles…